Ne pas l’oublier

Isabelle Autissier, " Oublier Klara ", éditions Stock, 320 pages, 20 euros.

On peut découvrir Mourmansk par l’eau, en s’engouffrant en été dans la baie de Kola, porte d’entrée maritime vers la plus grande ville au nord du cercle Arctique. Iouri, l’un des protagonistes d’ Oublier Klara, a choisi les retrouvailles via les airs, parce qu’il y a urgence. Son père, Rubin, est mourant. Ce n’est pas tant de revoir son paternel, ancien marin pêcheur au caractère rude, qui tourmente le voyageur mais plutôt de refaire face à son passé et à cette Russie qui l’a indirectement rejeté, lui et son homosexualité. Pour aimer, pour exister en somme, il fallait partir. Acclimaté à la way of life américaine, il retrouve sa ville natale intacte. ” L’impression était déroutante. Tout avait changé, mais rien n’avait changé. ” Pensant simplement devoir remplir quelque formalité de fin de vie avant de repartir, il n’imagine pas un séjour prolongé jusqu’à ce que son père lui confie une ultime mission : ne pas oublier Klara, la grand-mère de Iouri, scientifique ayant mystérieusement disparu après son arrestation dans les années 1950. Et le jeune homme de se lancer dans une quête des origines, plongeant par la même occasion dans la mémoire d’un pays.

Iouri avait laissé l’URSSS en noir et blanc, la Russie était passée à la couleur.

Charge de l’Histoire

Quand la navigatrice française Isabelle Autissier a découvert Mourmansk, elle accompagnait l’académicien et économiste Erik Orsenna, avec qui elle a écrit Passer par le Nord. En suivant la route du Nord qui relie l’Atlantique au Pacifique, longeant la Sibérie, elle a été fascinée par ce ” lieu clé de la flotte nordique “. ” J’y ai senti toute la charge de l’Histoire “, de quoi inspirer celle qui est aussi romancière. Elle nous parle de Iouri : ” Il vit ce voyage de l’intérieur. Pour sa génération, l’URSS et la Chine ont représenté des mondes meilleurs. Au début, il est comme tous les petits enfants qui croient tout ce qu’on leur dit. Puis advient la perestroïka et son capitalisme sauvage. Quand il s’en va, il pense qu’il ne reviendra pas. ” Le voilà pourtant à retourner l’humus pollué d’un pays à la recherche de cette grand-mère qu’il n’a jamais vue en photo. Au fil de son enquête, la chronologie des événements se précise : la naissance de son père, le travail de Klara comme chercheuse, son arrestation pendant une des pires périodes de répression que connut le pays, sa détention pour des recherches sur l’environnement, puis sa disparition des tablettes.

Récit de l’intime

A l’instar de Iouri, Isabelle Autissier a mené l’enquête, prenant petit à petit conscience de la ” violence de l’horreur ” d’un régime stalinien ayant besoin d’esclaves, y compris des scientifiques. Evidemment, dans ce roman, l’actuelle présidente de WWF France ne pouvait s’empêcher de parler d’écologie, tout en évitant la lourdeur du militantisme. La défense de l’environnement sert ici de point d’intersection à Klara et Iouri, dont les histoires racontées en parallèle se rejoignent dans leur regard respectif porté vers les oiseaux, symbole de deux aspirations à la liberté. ” Quand je parle de pêche, j’évoque évidemment la surpêche. Quand je parle des Nenets ( peuple autochtone du Grand Nord russe, Ndlr), je n’élude pas les problèmes de privations des terres. Mais cela reste un récit de l’intime. ” Et l’on s’y laisse volontiers prendre, tant la plume pleine de romanesque de l’auteure de Soudain, seuls a l’art de nous emporter, profitant de l’occasion pour nous rappeler l’importance des histoires. ” J’étais une petite fille à qui on racontait des histoires. Mes grands-mères surtout. Je crois en leur force et en ce plaisir de s’inventer. Seule en mer, on se raconte. L’esprit vagabonde. Ecrire, c’est comme être en mer, c’est un moment d’intense présence. Ça fait vivre sa vie. ”

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