Ne laissons pas le Covid-19 tuer nos démocraties

ALAN DOSS, CONSEILLER SPÉCIAL DE LA FONDATION KOFI ANNAN © BELGA IMAGE

La convergence de crises économique, sociale et politique est toujours source de troubles et d’instabilité. En Afrique, les élections pourraient en être le détonateur. Plus de 20 pays du continent devaient organiser des élections nationales en 2020. Beaucoup d’entre eux étaient en guerre, venaient d’en sortir ou allaient y entrer. A cause de la pandémie, seuls cinq – le Togo, la Guinée, le Mali, le Burundi et le Malawi – ont vu le scrutin se dérouler comme prévu, certains pacifiquement, d’autres avec des résultats contestables. Par chance, aucune de ces élections n’a provoqué une flambée de Covid-19. Partout, les gouvernements sont confrontés à un défi énorme: comment imposer de strictes restrictions sociales pour prévenir la contagion tout en laissant les citoyens participer comme il se doit au processus électoral? Pour l’année 2021, un nombre moins important d’élections sont prévues en Afrique, mais les pays concernés connaîtront les mêmes inquiétudes.

Partout, les gouvernements sont confrontés à un défi énorme: comment imposer de strictes restrictions sociales pour prévenir la contagion tout en laissant les citoyens participer comme il se doit au processus électoral?

Que peut-on faire pour sauvegarder les avancées démocratiques et les libertés individuelles récemment acquises par les Africains, souvent au prix de grands sacrifices? Selon les recommandations d’un groupe international d’experts électoraux mis sur pied par la Fondation Kofi Annan, il y a plusieurs mesures à prendre. Le principe fondateur est l’Etat de droit. Les mesures d’urgence en matière d’élections doivent reposer sur des dispositions constitutionnelles et des lois électorales. Si le cadre juridique national ne prévoit pas la situation actuelle, la loi doit être amendée conformément aux normes admises par la communauté internationale. Le report d’élections ne doit pas être illimité. Il faut plutôt faire preuve de clarté et de transparence dans les conditions sanitaires à respecter pour que les élections puissent se tenir en toute sécurité.

MOHAMED IBRAHIM, CRÉATEUR DE LA FONDATION MO IBRAHIM
MOHAMED IBRAHIM, CRÉATEUR DE LA FONDATION MO IBRAHIM© GETTY IMAGES

Ensuite, les dirigeants doivent consulter largement les partis pour favoriser la confiance et le consensus dans le paysage politique. Sans quoi les mesures d’urgence qu’ils prennent pourraient être perçues comme visant à servir leurs intérêts personnels, ce qui détruirait la confiance publique nécessaire pour faire face à la crise sanitaire.

Troisièmement, la transparence: gouvernements et autorités électorales doivent assurer une communication claire et régulière avec le public. Les citoyens doivent comprendre quelles mesures sont envisagées, par qui et pour quelles raisons. Les médias et les groupes de la société civile ont un rôle crucial à jouer pour préserver la démocratie en gardant un oeil sur la mise en place des politiques, en encourageant les débats et en braquant les projecteurs sur les problèmes majeurs. Les gouvernements doivent défendre la liberté d’expression. En politique comme dans le domaine sanitaire, les tentatives pour étouffer les scandales ne font qu’aggraver les choses.

Enfin, toutes les initiatives prises par les gouvernements – telles que les mesures de protection dans les bureaux de vote ou la modification des modes d’enregistrement des électeurs, de vote ou de comptage des bulletins – doivent être raisonnables et proportionnelles au risque sanitaire. Le virus ne doit pas être un prétexte pour s’affranchir des bonnes pratiques électorales.

Certains pays auront par ailleurs besoin d’une aide importante pour sortir de la crise. Les soumettre à une stricte austérité dans un contexte de chômage massif constituerait une menace pour la stabilité et le progrès démocratique. Les difficultés peuvent rendre la population plus sensible aux appels de populistes et d’extrémistes jouant sur les hostilités interethniques. En prenant ces mesures, l’Afrique pourra empêcher la crise sanitaire de tuer ses jeunes démocraties.

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