Macarons nippons

Kei Kobayashi Son restaurant parisien a décroché en début d'année un troisième macaron Michelin. © BELGAIMAGE

Si les liens culinaires entre le Japon et la France ont des racines séculaires, les jeunes chefs japonais ont, ces dernières années, commencé une moisson d’étoiles Michelin en France. Travailleurs, passionnés, humbles, maniaques et créatifs, ils apportent à la cuisine française un regard neuf particulièrement vivifiant.

Au début de l’année, à la surprise générale, Kei Kobayashi a décroché sa troisième étoile Michelin. Né à Nagano il y a 35 ans, le Japonais sublime, dans son restaurant appelé simplement Kei et proche des Halles à Paris, les grands plats de la cuisine française. Kobayashi n’est pas un as du poisson comme sa nationalité pourrait le laisser supposer mais un artisan de la viande et du gibier qu’il travaille comme personne. Il faut dire qu’il a été formé par des as en la matière comme le tri-étoilé Gilles Goujon (Auberge du Vieux Puits près de Narbonne), le bi-étoilé Michel Husser (le Cerf à Marlenheim, qui a été rétrogradé depuis) ou Jean-François Piège, du temps où il officiait pour Alain Ducasse au Plaza Athénée. C’est en 2010 qu’il a ouvert son Kei. Dix ans pour décrocher trois étoiles…

Si la France a influencé des générations de chefs nippons, il ne faut pas oublier que la route culinaire n’est pas à sens unique.

Si Kei est le premier Japonais officiant en France à décrocher le graal suprême du Michelin, il n’est que la pointe de l’iceberg ou l’arbre qui cache la forêt. Une forêt peuplée de jeunes chefs japonais qui, les uns après les autres, décrochent des étoiles. Ce raz-de-marée qui peut surprendre vu de Belgique n’étonne pas dans l’Hexagone.

” Entre la France et le Japon, c’est une histoire d’amour réciproque, explique Estérelle Payany, autrice, journaliste culinaire et critique à Télérama Sortir. Une fascination mutuelle. Dans les années 1910, Akiyama Tokuzo est venu travailler chez Auguste Escoffier au Ritz à Paris. Peu de temps après, il a été nommé maître cuisinier de la cour impériale japonaise. Jusqu’en 1972, il a influencé la cuisine japonaise, drapé de l’héritage d’Escoffier. Le désir, puissant, des Japonais de venir cuisiner chez nous y trouve sa source. Un autre tournant de la relation se situe en 1972. Shizuo Tsuji, qui avait développé la fameuse école culinaire éponyme, a fait venir Paul Bocuse au Japon. Pour des conférences, des séminaires pratiques, etc. Cette année-là, Tsuji a été élevé au grade de Meilleur ouvrier de France honoris causa. Vous imaginez l’impact au Japon ! ”

Kazuyuki Tanaka          A Reims, son restaurant Racine totalise désormais deux étoiles.
Kazuyuki Tanaka A Reims, son restaurant Racine totalise désormais deux étoiles.© BELGAIMAGE

Des influences réciproques

Pour de nombreux observateurs, la légèreté de la nouvelle cuisine initiée par les Troisgros et autre Bocuse trouve sa source au Japon.

Il ne faut pas oublier que tous ces grands chefs (citons aussi Ducasse, Haeberlin, Robuchon, Senderens, etc.) ont ouvert des succursales au pays du Soleil Levant, suscitant l’envie des jeunes chefs du cru de traverser le globe pour découvrir la France. Si celle-ci a influencé des générations de chefs nippons, il ne faut pas oublier que la route culinaire n’est pas à sens unique et qu’en retour, le Japon a laissé des marques durables sur l’art culinaire français.

” Alain Senderens, encore tri-étoilé dans son Archestrate (le resto est, depuis, devenu l’Arpège d’Alain Passard, Ndlr), a causé la sensation en étant le premier chef, à la fin des années 1970, à utiliser la sauce soja dans sa cuisine, poursuit Estérelle Payany.

Son saumon shizuo était accompagné d’un beurre blanc à la sauce soja. Depuis, les Japonais ont apporté le dressage à la baguette, le shiitaké, le yuzu qui pousse même en France désormais, le bouillon dashi, etc. Toutes des choses entrées dans notre cuisine, comme ce fut le cas du risotto piqué aux Italiens. Sans oublier l’ ikejime, cette technique d’abattage du poisson qui permet de sublimer ses qualités gustatives et sa chair. Enfin, savez-vous quelle est l’origine de nos menus dégustation ? De l’ omakase japonais. Cela signifie ‘je m’en remets à vous’. C’était fréquent dans les restaurants de sushis. ”

Une motivation sans faille

Derrière Kei et Mauro Colagreco (Mirazur à Menton) qui sont les seuls chefs étrangers gratifiés de trois étoiles en France, une ribambelle de chefs japonais sont reconnus par le Michelin. Comme Kazuyuki Tanaka dans son Racine de Reims récemment pourvu d’une deuxième étoile, Yasunari Okasaki qui explose dans son Abysse installé au coeur du Pavillon Ledoyen de Yannick Alleno ou encore Nobuyuki Ashige dans son Automne parisien. Mais les chefs sont aussi des cheffes ! Avec son compagnon argentin pâtissier, Marcelo di Giacomo, Chiho Kanzaki, formée par Colagreco, joue une partition tout en finesse autour des plats de poisson dans son Virtus étoilé à Paris. Tous ont en commun l’envie d’être reconnus comme de grands chefs français. Ce désir vient aussi de la condition de cuisinier dans la société japonaise.

” C’est un métier bas de gamme assimilé à celui d’ouvrier, explique Takashi Kinoshita, étoilé au Château de Courban ( lire l’encadré). Le statut de ceux qui oeuvrent dans les hôtels ou les grands restaurants est différent mais ils sont peu nombreux. Mes parents sont professeurs de français et de maths au Japon. Quand je leur ai dit que je voulais faire l’école hôtelière, c’est presque s’ils ne m’ont pas mis à la porte. C’était indigne d’eux. Aujourd’hui, l’histoire n’est plus la même ( rires)… Mon père a commencé à me prendre au sérieux quand j’ai travaillé à l’Elysée. Aujourd’hui, il est très fier. ”

Tomoyasu Kamo est le seul chef japonais étoilé en Belgique.
Tomoyasu Kamo est le seul chef japonais étoilé en Belgique.© X.B.

A côté de leur amour pour la culture et la cuisine française, les chefs japonais ne sont pas en France par hasard. Ils ont envie d’être aussi bons que leurs idoles, ne ménagent pas leur peine, revisitent les vieux classiques même désuets de la cuisine française et y apportent une touche très personnelle. Et travaillent souvent avec des brigades 100 % japonaises. ” C’est vrai, sourit Takashi Kinoshita. C’est une question de mentalité. Nous sommes des maniaques qui aimons aller au bout des choses. Nous voulons être meilleurs que bons et ne ménageons pas notre peine. Je pense qu’un chef japonais a une soif d’apprendre inextinguible. Nous avons tout lu, tout étudié et tout essayé ! ”

Et en Belgique ?

La Belgique ne connaît pas cette folie japonaise étoilée. Chez nous, seul le restaurant Kamo à Bruxelles est récompensé d’une étoile Michelin. Et encore, il fait de la cuisine japonaise. Le chef Tomoyasu Kamo, comme nombreux de ses compatriotes cuisiniers que nous avons croisés, fait montre d’une invraisemblable humilité. ” Je ne pense pas avoir le niveau, dit-il. C’est une petite étoile. Un jour peut-être, je me trouverai à niveau. Evidemment que je rêvais d’être étoilé. J’ai 13 ans de carrière depuis mon retour en Belgique. L’étoile est là depuis 2011. Elle est sans doute venue un peu tôt. ” Ne l’écoutez surtout pas. Depuis la réouverture post-Covid, Kamo travaille sans relâche de 8 h du matin à minuit pour assurer la mise en place, deux services le soir et uniquement le lunch le vendredi. Son équipe est réduite mais la qualité de ses deux menus n’a pas varié d’un iota. C’est du japonais de haut niveau. De la vraie gastronomie quoi qu’il en dise…

Takashi Kinoshita
Takashi Kinoshita ” Je pense qu’un chef japonais a une soif d’apprendre inextinguible. Nous avons tout lu, tout étudié et tout essayé ! “© PG

Du grand art au Château de Courban

Plus que l’accession de Kei Kobayashi au graal suprême du Michelin, c’est une visite au Château de Courban à la table de Takashi Kinoshita qui nous a inspiré le thème de cet article. Plantons le décor. Courban est un petit village perdu de la Côte d’Or, celle de Bernard Loiseau. En Bourgogne mais à un jet de bouchon de la Champagne.

Issue de la région lilloise, la famille Vandendriessche y a transformé patiemment une ancienne grande maison de maître en un véritable havre de paix avec deux piscines et un spa. A quatre bonnes heures de route de Bruxelles, c’est une destination idéale pour un week-end romantique. Il manquait une touche gastronomique à ce bel ensemble. Frédéric Vandendriessche, désormais aux commandes, a eu le nez fin quand il a déniché Takashi Kinoshita en 2015. Il faut dire que le savoir-faire du jeune chef a des racines lilloises qui devaient l’interpeller. S’il a fréquenté les cuisines de l’Elysée sous la direction de Guillaume Gomez ou l’étoilé Pré aux Clercs de Jean-Pierre Billoux à Dijon (aujourd’hui revendu à Georges Blanc), c’est à Vaison-la-Romaine au Moulin à Huile de Robert Bardot qu’il estime avoir le plus appris. Les plus anciens se souviendront que Bardot, Meilleur ouvrier de France, a inventé la soupe aux poissons du cultissime restaurant Pérard au Touquet et qu’il fut doublement étoilé au tout aussi légendaire Flambart de Lille.

Si la pandémie a réduit la brigade de Takashi Kinoshita et limité les services du resto gastronomique au profit de la plus modeste Orangerie du Parc, les choses vont revenir à la normale dès la dernière semaine d’octobre avec des tables du bistrot réservées aux clients de l’hôtel qui demandent une cuisine plus simple et le retour du gastromique plein pot. Et c’est heureux car la table mono-étoilée vaut le détour. Lors de notre passage cet été, Takashi nous a régalés avec des assiettes, certes complexes, pour lesquelles il réalise la synthèse entre produits locaux de qualité et influences japonaises. Il propose des assemblages osés mais terriblement goûteux. Comme ce brillat-savarin servi en mousse avec du caviar de la Gironde et des herbes du potager. Ou encore la langoustine de Bretagne frite au tapioca et accompagnée d’une tartelette de courgettes et petits pois en mousseline ou le foie gras de canard laqué à la japonaise et servi avec une salade de concombres et de wakamé. Mention presque parfaite pour le saint-pierre, pak choï, artichaut farci aux légumes, fumet réduit et zéphyr de safran ou le veau de l’Aube, délicieusement fondant, servi avec une mousseline de carottes, des haricots en botte et relevés par de la cazette (noisette torréfiée de Bourgogne) et jus truffé. Du grand art qui se déguste patiemment et qui mériterait, peut-être, un poil de simplification pour que le chef progresse encore dans la sublimation des produits.

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