Lulu, l’ami qui vous veut du bien

© NICOLAS TRONC

En lançant à Paris son concept de conciergerie de proximité, Charles-Edouard Vincent, venu du monde de la high-tech, veut remettre de l’humain dans les villes et réintroduire les petits boulots qui faisaient la fierté des anciens.

Même dimension, même couleur vert bouteille : sur la charmante place Saint-Paul, près de la rue de Rivoli, à Paris, ” Lulu dans ma rue ” a des fausses allures de kiosque à journaux. La présence amie de chaises d’extérieur, de plantes vertes, de tables de jardin, d’un percolateur et de livres de seconde main que les habitants sont invités à s’échanger, dissipe rapidement le malentendu. Cette conciergerie de proximité a fait son apparition il y a deux ans dans la capitale française. Elle propose de mettre en relation les gens du quartier avec des personnes de confiance pour leur donner un coup de main, moyennant un coût fixé entre 5 et 20 euros la demi-heure, déductibles à 50 % des impôts. Derrière l’étroit comptoir, l’homme aux clés d’or, qui peut aussi être une femme, se tient à disposition du public. L’équipe est là pour expliquer, conseiller et orienter les demandes des riverains. Fixer une tringle à rideau, changer une ampoule, arroser les plantes, ouvrir des huîtres pour un dîner de huit personnes, rafraîchir d’un coup de peinture le salon ou changer une vanne de radiateur : les sollicitations sont aussi variées que le profil des prestataires. Dans le jargon maison, on les appelle les ” Lulus “. Leurs tâches ponctuelles leur rapportent en moyenne entre 500 et 700 euros par mois.

Un rayon de 50 mètres

Halima a le sens de la débrouillardise. Cette ancienne comptable au sourire lumineux a tenu un institut de beauté avant de se reconvertir un temps agent immobilier. Mais à 50 ans, elle s’est retrouvée sans emploi et sans ressources. ” C’est un âge où il est difficile de retrouver du travail. Il y a six mois, je suis tombée par hasard sur Lulu dans ma rue. J’ai été à une réunion, j’ai postulé et j’ai été retenue. Je suis ravie. Nous avons le statut de micro-entrepreneur. On nous fait parvenir les demandes des clients, on choisit d’accepter ou non la prestation, et on gère notre emploi du temps comme on l’entend. On fait partie d’un groupe qui nous accompagne tout en étant autonomes. Chaque mois, on se retrouve pour un apéritif, l’ambiance est bonne et on se sent moins seul. ”

Halima enchaîne une quinzaine de ” missions ” par semaine qui vont du ménage au repassage au conseil en comptabilité jusqu’aux visites de courtoisie pour les personnes isolées. ” J’espère continuer le plus longtemps possible “, avance la travailleuse indépendante sur le parvis Saint-Paul. Charles-Edouard Vincent, fondateur et directeur général, fait son apparition au kiosque. L’ambiance est à la décontraction. Une cliente de passage en profite pour féliciter l’initiative du quadragénaire. ” Aujourd’hui tout est à portée de clic mais quand on a besoin d’une aide pour faire garder son chat ou bouger deux cartons, on ne sait jamais à qui demander. Et pourtant la compétence et le besoin existent dans un rayon de 50 mètres autour de chez soi. Dans la société d’autrefois, ces petits boulots existaient et créaient du lien social en donnant une place juste et digne à ceux qui les exerçaient. ”

A 45 ans, l’entrepreneur a entrepris le troisième chapitre de sa vie professionnelle. Ingénieur polytechnicien, diplômé de l’université de Stanford (Californie), cette tête bien faite, férue de technologie, a longtemps travaillé pour des poids lourds de l’informatique (Netscape, SAP) avant d’intégrer, en 2004, Emmaüs, le groupement de solidarité fondé par l’abbé Pierre. ” Depuis longtemps, j’avais un besoin d’agir pour les exclus et les gens très abîmés par la vie “, raconte l’ex-bénévole des Restos du Coeur. En 2007, il fonde Emmaüs Défi, une structure d’insertion qui propose du travail aux sans domicile fixe. Une expérience qui débouchera six ans plus tard sur Lulu dans ma rue dont la phase de pilotage a été rendue possible grâce à ses compétences et son réseau. Le projet a bénéficié de subventions moitié publiques (Fondation LFSE, Ville de Paris, ) et privées (Véolia, Carrefour, JP Morgan, Vinci) à hauteur de 1,6 million d’euros, répartis sur deux années. Une aide directe à laquelle il faut ajouter le soutien de cabinets de conseils (Accenture, Boston Consulting Group) pour les études de faisabilité et la mise à disposition gratuite de kiosques (JCDecaux). Vingt- quatre mois après le décollage du ” premier étage de la fusée “, le bilan est encourageant. La jeune pousse, qui compte 30 salariés, s’appuie sur un maillage de 130 Lulus – dont près d’un tiers sont inscrits au RSA – une allocation qui assure le revenu minimum, pour un total de 25.000 prestations réalisées. Le taux de satisfaction avoisine les 99 %. ” Un chiffre stalinien “, s’amuse le directeur qui explique le score par l’état d’esprit des Lulus dont 30 % ont moins de 30 ans et sont un peu plus souvent des hommes que des femmes. ” On recrute des bons bricoleurs, des gens ponctuels et honnêtes mais aussi des personnes pour qui rendre service à un sens. Ce n’est pas qu’une question de prestation. Les gens blasés ne nous intéressent pas. ”

Privilégier l’ancrage physique

Une nouvelle levée de fonds est en cours afin d’accélérer le développement de la start-up, qui prélève 21 % de commission sur chaque prestation et vise à terme l’autonomie financière, à condition de tripler le nombre de prestations… Le fondateur ne doute pas de la portée de son concept. Un troisième kiosque vient d’ouvrir dans le 15e arrondissement, après le 4e et le 17e arrondissements, et trois autres devraient voir prochainement le jour dans le sud et l’est parisien tandis que Lulu mobile, une camionnette customisée, sillonne les marchés de la capitale pour se faire connaître et donner corps à son offre de services. Un corner Lulu vient même d’ouvrir dans un hypermarché Carrefour de la ville. ” Par rapport aux plateformes collaboratives classiques, nous sommes attachés à un ancrage physique même si nous avons un back-office qui gère les demandes via notre site internet. Les kiosques sont essentiels car ils participent à une logique de proximité et à une valorisation des contacts humains. Cela veut dire qu’on existe pour de vrai “. Y compris à l’étranger qui a eu vent du modèle. De la Belgique à l’Italie, les sollicitations sont nombreuses. Alors à quand un Lulu in Strada et une franchise à l’international ? ” Notre objectif premier est de couvrir Paris avec 500 prestataires répartis par quartiers. Après, nous verrons comment nous déployer intelligemment en régions et ailleurs. Nous n’en sommes encore qu’au ramp-up. Tout est envisageable même si je pense que la succursale est préférable à la franchise pour garder la maîtrise du développement. Il faut s’assurer que le projet, qui a un pied dans l’économie et l’autre dans le solidaire, ne sera pas dévoyé. L’équilibre est fragile. Pour l’instant, on apprend à marcher. ” De préférence sans trébucher, même si on peut toujours compter sur un Lulu pour aider à vous relever.

ANTOINE MORENO

Changer une ampoule, arroser les plantes, ouvrir des huîtres pour un dîner de huit personnes ou rafraîchir d’un coup de peinture le salon : les sollicitations sont aussi variées que le profil des prestataires.

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