Assurances: la nouvelle stratégie de la Lloyd’s passe par la Belgique

Sonja Rottiers et John Neal © Cristophe Ketels (BelgaIMAGE)

Le Brexit est une opportunité, estiment Sonja Rottiers et John Neal, responsables respectivement de la Lloyd’s of London en Belgique et au niveau mondial. Les deux veulent accroître le développement en Europe du vénérable groupe d’assurance britannique.

Les députés britanniques éprouvent visiblement beaucoup de mal à se positionner sur le Brexit, mais ce n’est pas le cas de certaines entreprises insulaires. Prenez la Lloyd’s of London, le plus que tricentenaire marché de l’assurance qui opère dans 200 pays dans le monde. Dès le 30 mars 2017, soit un jour seulement après la notification officielle par Theresa May de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, l’assureur décidait d’établir une filiale en Europe continentale, plus particulièrement à Bruxelles. Un déménagement sur le continent était en effet indispensable pour être sûr de continuer à bénéficier du ” passeport européen “, et de pouvoir continuer à opérer sur tout le territoire de l’Union.

La filiale de Bruxelles est la seule compagnie d’assurances, avec celle de Chine, que le groupe britannique compte dans le monde. ” John Neal, CEO de Lloyd’s of London

Les chose n’ont donc pas traîné. L’an dernier, la filiale belge a reçu son agrément de la Banque nationale – le gendarme des assureurs chez nous. Elle s’est ensuite installée dans son nouveau QG européen, porte de Namur, à Bruxelles. Et un nouveau CEO a été nommé, Sonja Rottiers, ancienne directrice financière d’Axa Belgique. ” En pratique, le siège de Bruxelles compte une cinquantaine de personnes, à quoi il faut ajouter environ 45 à l’extérieur, dans les 19 succursales européennes qui sont gérées par des country managers qui connaissent bien leur marché local “, explique Sonja Rottiers. Cette filiale est la seule compagnie d’assurances, avec celle de Chine, que le groupe britannique compte dans le monde, et elle est pleinement opérationnelle depuis le premier janvier de cette année.

” Lloyd’s est résolument engagé sur le marché européen continental, et j’étais naturellement intéressée, poursuit la nouvelle CEO. C’était pour moi l’opportunité de participer à cette transformation et au développement du business pour les cinq prochaines années. J’étais très attirée par l’idée de travailler dans une société qui avait embrassé une culture de start-up “. Oui, car Lloyd’s peut être tricentenaire et le loss book, le registre des pertes, a beau être toujours rédigé à l’encre et à la plume, la vieille dame se fait une nouvelle jeunesse car elle doit relever d’importants défis.

Moins cher et plus digital

Le premier consiste à renforcer sa profitabilité. Ces deux dernières années, Lloyd’s a affiché des pertes non négligeables : -2 milliards de livres sterling en 2017, -1 milliard en 2018. ” Les résultats de 2017 et 2018 n’ont pas reflété la qualité de notre franchise, admet John Neal, le CEO de Lloyd’s of London. Nous avons donc pris des mesures assez fortes et mis en place de meilleurs standards opérationnels. La bonne nouvelle, c’est que pour ces premiers mois de 2019, nos indicateurs montrent que nos performances sont au moins en ligne avec nos attentes, si pas un peu meilleures. ”

Parmi les points forts de la réforme annoncée, il y a notamment la création d’un plateforme digitale destinée à la vente des contrats les plus communs, comme l’assurance des navires marchands standards. Les contrats plus spécifiques, comme ceux couvrant les plateformes pétrolières ou les mains de Keith Richards, le guitariste des Rolling Stones, seront eux toujours confectionnés à l’ancienne, sur mesure.

Car le système de fonctionnement du Lloyd’s, avec des brokers, des coverholders, des syndicats, des managing agents absorbe environ 40% des primes versées par les clients. ” Si nous prenons 100 euros de prime et que nous en dépensons 40 en coûts de distribution et d’administration et qu’il reste donc seulement 60 euros pour indemniser les sinistres, la proposition n’est pas bonne, explique John Neal. Abaisser les coûts vous donne donc un meilleur produit, meilleur marché. C’est en cela que le digital peut servir nos clients. Nous sommes désormais l’Amazon de l’assurance. Et quand vous analysez ce qui fait le succès d’une plateforme comme celle d’Amazon ou d’Apple, vous voyez qu’il repose sur deux éléments : être centré sur le client et être complètement digital. ”

” L’Europe continentale représente 13% des primes récoltées, soit environ 40 milliards d’euros cette année, poursuit John Neal. L’Amérique du Nord, c’est seulement la moitié de ces revenus. Aussi ironique que cela puisse paraître, l’Europe, pour nous, est une opportunité. S’il y a un point positif à retenir du Brexit, c’est qu’il nous a forcés à nous installer sur le continent. Et cette installation est pour nous l’occasion de nous développer. L’Europe devrait en effet représenter plus que 13% de notre marché. ” Où se situent ces opportunités ? A la fois en attirant davantage d’investisseurs prêts à assurer les risques, et davantage de clients désireux de se couvrir.

Un paysage qui a changé

Côté investisseur, l’idée est d’élargir les horizons de placement. ” Historiquement, Lloyd’s est très attrayant pour des capitaux désireux d’investir dans l’assurance à un horizon de trois à cinq ans. Mais il y a ceux dont l’horizon est plus court (un ou deux ans) ou plus long comme les firmes de private equity ou de venture capital qui cherchent plutôt des placements sur 5 à 10 ans. ” Nous mettons en place des instruments pour répondre à ces demandes. ”

Côté client, le défi est de les sensibiliser davantage aux bienfaits de l’assurance. ” Les opportunités sont nombreuses, mais il y a spécialement ce qui concerne l’assurance de risque complexe, comme le cyber risque “, observe Sonja Rottiers.

” Un de nos grands problèmes est que les gens sont encore sous-assurés, abonde John Neal. C’est également vrai pour les gouvernements, qui, pour la plupart, n’assurent pas leurs infrastructures et leurs actifs intangibles. Or, plus on achète de couvertures, plus le prix de celles-ci se réduit. Notre premier défi est donc de convaincre les gens que transférer des risques de leur bilan vers notre bilan est une bonne chose pour eux. Le second est que le bilan des entreprises aujourd’hui est bien différent de ce qu’il était il y a 40 ans. Le paysage du risque a changé. A l’époque, ces bilans étaient constitués à 85% d’actifs tangibles, comme des bâtiments, des machines, etc. Aujourd’hui, 85% des actifs sont intangibles. Ce sont des logiciels, des données relatives aux relations avec les clients, à la chaîne de production. ” Dans son dernier rapport, Lloyd’s estime ainsi le coût de la criminalité informatique à quelque 400 milliards de dollars par an.

Un marché de ” Names ”

Lloyd’s of London n’est pas une compagnie d’assurance, mais un marché, qui fait se rencontrer ceux qui cherchent à se couvrir de certains risques et ceux prêts à les assurer. Mais c’est aussi une société qui, le cas échéant, garantit le paiement des indemnités en cas de sinistre.

L’histoire de la Lloyd’s remonte aux alentours de 1688, lorsqu’un certain Edward Lloyd ouvre un café au coeur de Londres. Armateurs et hommes d’affaires s’y retrouvent. Bientôt, les armateurs s’y rendent aussi pour chercher à assurer leur cargaison auprès de riches investisseurs, les Names. Ces Names se regroupent en syndicats, gérés par un managing agent et qui agissent chacun comme une compagnie d’assurance. Le système fonctionne très bien jusqu’à la crise de l’amiante, au début des années 1990, qui cause la faillite d’environ 1.500 Names (sur 34.000) incapables de rembourser les entreprises qui s’étaient assurées contre les plaintes de leur personnel. Lloyd’s revoit alors son système et permet à des sociétés étrangères d’en devenir membre, avec des responsabilités limitées.

Lloyd’s peut compter aujourd’hui sur un réseau mondial de 300 courtiers qui négocient les assurances auprès des syndicats pour le compte de leurs clients, et de 4.000 coverholders, des intermédiaires qui souscrivent des risques pour le compte de syndicats.

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