Les saveurs métissées des Philippines

El NIDO Un faux air de baie d'Along. © getty images

Au fil de leur histoire, les Philippines ont subi de nombreuses influences : chinoises, espagnoles ou américaines, qui se ressentent dans les saveurs du pays, variées, loin des idées reçues de la cuisine asiatique. Le pays tente aujourd’hui d’exporter ses spécialités. Le rhum Don Papa s’est déjà fait un nom chez nous..

Si l’on rêve des plages d’Indonésie ou de Thaïlande, les Philippines sont une destination touristique moins courue. Avec leurs faux airs de baie d’Along, les paysages d’El Nido et de Coron, dans la région de Palawan, offrent pourtant de superbes cartes postales. Et si le tourisme de masse a déjà fait des ravages sur l’île de Boracay, les Philippines restent en grande partie un pays à découvrir.

Il en va de même pour la cuisine. Si l’on a tous en tête une image, même imprécise, de la cuisine chinoise, thaï, vietnamienne ou même indonésienne (avec le nasi goreng), difficile de citer une spécialité philippine. A part peut-être l’emblématique halo-halo, dessert composé de glace pilée et de lait concentré, agrémenté de gelées, de fruits au sirop, de haricots noirs, etc. S’initier aux saveurs philippines, c’est, comme souvent, faire un voyage dans les origines du pays, avec les invasions successives qui ont façonné sa population, ses paysages, mais aussi ses saveurs.

Les saveurs métissées des Philippines
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Le plus vieux Chinatown du monde

Durant la période préhispanique, l’archipel était habité de peuplades austronésiennes qui ont jeté les bases, clairement océaniques, de la cuisine philippines : utilisation des produits de la mer, du carabao (buffle d’eau), du poulet ou du taro dans des cuissons simples (eau, vapeur, grillade).

S’il existe encore quelques tribus indigènes, les Philippines sont aujourd’hui un creuset de cultures. Dès le 1er siècle, l’archipel entre en contact avec des marchands venus de Chine, d’Inde et d’Arabie, lesquels venaient se fournir en perles, corail, riz et poissons séchés. Ces derniers sont d’ailleurs toujours omniprésents sur les étals des marchés, comme celui, immense, que l’on trouve dans le quartier de Quiapo, à Manille. Dès le début du 13e siècle, les Chinois installent des comptoirs aux Philippines et amènent avec eux le tofu, la sauce soja et la sauce de poisson. De même que les nouilles de riz, renommées ici pancit et très appréciées, notamment dans le pancit palabok, avec une riche sauce agrémentée de crevettes, de poisson fumé et de chicharrón.

Les Chinois sont toujours très présents aux Philippines. Fondé en 1594 par le gouverneur espagnol de Manille, le quartier de Binondo, au nord d’Intra Muros (la ville espagnole historique), est d’ailleurs le plus vieux Chinatown au monde. Où, à chaque coin de rue, on se régale de spécialités régionales chinoises.

Autre influence chinoise, au buffet du petit-déjeuner de l’hôtel, on trouvera systématiquement du congee, porridge de riz populaire dans toute l’Asie. Préparé avec du gingembre et du poulet, on le nomme ici arroz caldo ou lugaw et on l’assaisonne de calamansi, petit agrume typique des Philippines, de vinaigre, de sauce soja… Petit-déjeuner traditionnel philippin, le silog est, lui aussi, d’origine chinoise. Il se compose de riz sauté ( sinangang en tagalog, la principale langue des Philippines) et d’oeuf ( itlog) que l’on accompagne de poissons séchés frits, de beef tapa (boeuf séché) ou de longganisa (saucisses).

Halo-Halo
Halo-Halo© getty images

La période malaise

Durant le 14e siècle, les Philippines passèrent sous influence malaise et indonésienne. L’islam se diffuse (mais il reste minoritaire dans ce pays très catholique) mais aussi de nouveaux parfums, comme les currys. Très populaire dans tout l’archipel, le sinigang, un bouillon acidulé (souvent au tamarin ou au vinaigre) et aux feuilles de moringa est très proche du singgang malais. De cette époque date également l’utilisation d’ingrédients comme le bagoong (pâte de poisson fermentée), le lait de coco, notamment dans ce plat phare qu’est le kare-kare, un ragoût de viande au lait de coco et cacahuètes.

TRENDY, la nouvelle cuisine philippine...
TRENDY, la nouvelle cuisine philippine…© getty images

La période espagnole

Le 16 mars 1521, Magellan est le premier Européen à débarquer aux Philippines, où il se fait tuer quelques semaines plus tard. Prenant le nom du futur roi d’Espagne Philippe II, les îles passent sous domination espagnole pour plus de trois siècles suite à la conquête de Miguel López de Legazpi en 1565, qui fonde la ville de Manille six ans plus tard.

L’influence espagnole est toujours palpable dans la toponymie, dans l’utilisation du peso mais aussi dans le vocabulaire culinaire, riche d’emprunts hispaniques : arroz caldo, puchero (soupe de viande), torones (beignets farcis à la banane ou au fruit du jacquier), lechón (porc grillé), cocidos, escabeche, etc. Tandis que le plat national est l’ adobo, du poulet ou du porc mariné à la sauce soja et au vinaigre de coco, un autre marqueur de la gastronomie philippine.

Durant l’empire espagnol, les Philippines étaient gérées depuis le lointain Mexique. Entre les deux côtes du Pacifique, le commerce était florissant. On en trouve une trace dans l’un des gâteaux les plus populaires des Philippines, le cassava cake, préparé avec du lait concentré, du lait de coco et de manioc râpé (dont la culture fut importée d’Amérique du Sud au 16e siècle). De cette époque date également la production de café, dont les Philippines furent le quatrième pays exportateur jusqu’à la fin du 19e siècle, quand les plantations furent décimées par la rouille du caféier. Aujourd’hui, il subsiste une petite production artisanale, notamment dans la région montagneuse de Sagada, au nord de Manille.

Ici et là, d'anciennes
Ici et là, d’anciennes ” haciendas ” des barons du sucre.© J. Paquay

L’occupation américaine

Aux Philippines, le nom de José Rizal est toujours révéré. Mort en martyr en 1896, il est le symbole de la résistance contre les colons espagnols. Un combat soutenu par les Etats-Unis durant la guerre hispano-américaine. Saut qu’à l’issue de celle-ci en 1898, les Philippines n’obtiennent pas leur indépendance, mais sont vendues pour 20 millions de dollars… aux Etats-Unis ! Ce qui déclenche une nouvelle guerre d’indépendance qui fera 1,5 million de morts. Avant que le pays ne soit enfin indépendant en 1946, à l’issue de l’occupation japonaise durant la Seconde Guerre mondiale. La période américaine a eu une influence déterminante sur le développement économique du pays mais aussi sur la cuisine. Directement inspiré du ketchup, le banana ketchuppropose une belle synthèse de la cuisine philippine, à la fois douce, vinaigrée et un poil pimentée.

don papa Un rhum premium doux et vanillé distillé sur l'île des Negros.
don papa Un rhum premium doux et vanillé distillé sur l’île des Negros.© pg

Les ” barons ” du sucre

L’île de Negros, au centre de l’archipel, a connu son âge d’or à la fin de l’ère espagnole et pendant la période américaine. Quand on atterrit sur l’île, on découvre en effet d’immenses champs de canne à sucre. A la moitié du 19e siècle, les Negros étaient devenus le centre de la production sucrière philippine, qui s’est développée avec l’industrialisation et les accords commerciaux avec les Etats-Unis. Comme on le découvre en apercevant ici et là les anciennes haciendas construites par les ” barons ” du sucre ou en visitant la Gaston Farm, fondée en 1840 par un Normand et transformée en musée. Même si les cours du sucre ont drastiquement chuté depuis le milieu des années 1980, la canne reste au centre de l’économie au nord de Bacolod, la capitale de la province Negros Occidental. Non loin de la Gaston Farm, à la vénérable sucrerie Hawaiian-Philippine, on peut d’ailleurs assister à la fabrication d’une autre richesse de l’île : le célèbre sucre brun muscovado.

Don Papa, l’expression des Negros

C’est aussi dans cette sucrerie que le rhum Don Papa se fournit en mélasse, le résultat du processus de raffinage du sucre. Avec sa bouteille élégante reconnaissable entre toutes, Don Papa s’est rapidement fait une place de choix parmi les rhums dits ” premium “. Lancée aux Philippines en 2012, la marque est désormais présente dans 24 pays, avec l’Europe comme marché principal. Il s’en écoule ainsi 70.000 bouteilles en Belgique et 200.000 en France. En décembre 2018, trois mois seulement après sa mise en rayon, l’édition spéciale Don Papa Masskara s’est même classée en 10e position des meilleurs lancements de produits de grande consommation en France, selon une étude Nielsen ScanTrack.

Le sucre muscovado. Fabriqué aux Negros, l'île de la canne à sucre, il est un peu la cassonade des Philippines.
Le sucre muscovado. Fabriqué aux Negros, l’île de la canne à sucre, il est un peu la cassonade des Philippines.© J. Paquay

Cette réussite fulgurante, on la doit au flair d’un homme, Stephen Carroll. Ancien cadre chez Diageo et Remy Cointreau, ce Britannique d’une cinquantaine d’années a imaginé ce rhum après un voyage à Bacolod,

En plein ” Sugarlandia “, l’idée du Don Papa fait immédiatement sens. D’autant que la canne des Negros est réputée parmi les plus raffinées au monde. En 2011, Stephen Carroll fonde donc la Bleeding Heart Rum Company en vue de développer le premier rhum haut de gamme des Philippines. Il choisit le nom Don Papa en hommage à Papa Isio, héros qui mena la révolution contre les Espagnols dans les Negros à la fin du 19e siècle.

L’étendard des Philippines

Boudé par certains bartenders qui le jugent trop sucré ou trop vanillé, le Don Papa a pourtant ses aficionados qui s’arrachent ses éditions spéciales. Malgré une petite semaine passée aux côtés des équipes Don Papa aux Philippines, cet alcool reste entouré de mystère. La visite de la distillerie s’est faite en voiture, sans que l’on ait pu accéder aux installations de production. Le contraste est d’ailleurs saisissant entre l’image que l’on se fait d’un rhum artisanal et la distillerie Bago, la plus grande des Philippines, propriété du groupe San Miguel (propriétaire des bières et du gin du même nom) qui produit le Don Papa à façon.

Mais en pénétrant dans l’entrepôt où vieillissent les rhums Don Papa, on est tout de suite enivré par cette odeur caractéristique de vieux bois et d’alcool. Ici, on déguste quelques rhums directement au tonneau. Et l’on est séduit par la qualité du produit. Notamment cet excellent rhum vieilli en fûts de Fino (utilisé dans l’édition limitée Sherry Cask). Et l’on s’étonne que le Don Papa 7 ans, emblème de la marque, soit aussi sucré…

En discutant avec directrice de Don Papa, Monica Llamas-Garcia, nous apprenons qu’au moment de l’embouteillage, une liqueur de sucre est ajoutée. ” Nous restons dans les normes internationales “, précise la jeune femme. ” Le goût philippin est très sucré, ajoute-t-elle. Nous avons donc choisi spécifiquement d’élaborer un rhum plus doux. D’habitude, les produits philippins de qualité ne sont pas consommés ici dans le pays, mais exportés. Nous ne voulions pas de ça avec Don Papa. ”

On peut donc dénicher des bouteilles de Don Papa dans les bars chics de Manille, comme à l’excellent Run Rabbit Run, à Makati. Mais le rhum que l’on trouve partout, jusqu’aux petites échoppes les plus reculées, c’est le Tanduay, vendu 1,50 euro la bouteille (contre 25 euros pour le Don Papa 7 ans). Un rhum brut de décoffrage, essentiellement réservé au marché domestique, qui fait des Philippines le troisième pays producteur de rhum au monde.

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Un avant-goût philippin à Bruxelles

Ambassadeur du rhum Don Papa pour la Belgique depuis deux ans, Glen Ramaekers est la personne idéale pour ce job. Par sa mère, il a en effet des racines philippines, aux Negros qui plus est. Il est également, depuis mars 2016, à la tête du Humphrey chez Pias, l’un des rares restaurants à proposer de la cuisine philippine en Belgique.

Depuis l’ouverture, le chef Yannick Van Aeken s’en est allé et c’est Glen, diplômé, comme lui, de Ter Duinen, qui a repris la cuisine en mains. L’excellent Raf Van Pottelbergh a endossé le rôle de sommelier et sort de son chapeau de bonnes bières artisanales ou un Varron Savagnin du Jura 2016 dont les notes oxydatives fonctionnent à merveille avec les saveurs philippines.

A l’apéro, on peut ainsi grignoter des longganisa (14 euros), saucisses philippines traditionnelles, préparées ici avec du sanglier, avant de se laisser envoûter par la douceur du kare-kare (18 euros), un ragoût à la viande (en l’occurence, du mouton) délicieusement fondante, cuisinée dans une sauce riche au beurre de cacahuètes. Et avec quelques brocolis du jardin, dont s’occupe la pétillante Julie De Block, bras droit et épouse du chef.

On est tout aussi impressionné par le sisig (16 euros) : de la tête de cochon croustillante proposée avec un jaune d’oeuf, du calamansi frais et… une oreille de cochon. Délicieusement décadent !

Les saveurs métissées des Philippines
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Certes, chez Humphrey, les saveurs ne sont pas 100% authentiques. On tend ici vers une version raffinée des classiques philippins. Mais elles ne sont pas occidentalisées pour autant.

Glen Ramaekers relève en tout cas un sacré défi en tentant d’imposer à Bruxelles une cuisine méconnue qui réserve de vraies surprises gustatives. Comme avec cet étonnant estopato sa tubo (28 euros), un bouillon de canard au radis blanc, spécialité des Negros. Réalisée ici avec du canard sauvage, cette soupe fait voyager, avec la badiane et la sauce soja, du sucre de canne (typique des Negros) mais aussi une belle acidité apportée par de l’eau de coco et… de la vodka. Voilà qui donne sacrément envie de s’envoler pour les Philippines…

36-38 rue Saint-Laurent, 1000 Bruxelles. Fermé samedi et dimanche. Rens. : 02.219.39.16 ou www.humphreyrestaurant.com.

Toyo, élu meilleur restaurant des Philippines.
Toyo, élu meilleur restaurant des Philippines.© J. Paquay

De passage à Manille ?

Immense métropole de près de 12 millions d’habitants au trafic impossible, Manille n’est pas la destination la plus attirante des Philippines. Mais c’est clairement là qu’on y mange le mieux ! A Makati, le quartier des affaires, on trouve quantité de restaurants revisitant avec brio la cuisine philippine traditionnelle.

l Dans ses deux Sarsa, bistrots à l’excellent rapport qualité-prix, le chef médiatique JP Anglo propose des classiques philippins comme le sisig (petits morceaux de tête de porc croustillants) mais aussi des spécialités des Negros, l’île d’où il est originaire, dont l’ isaw, de formidables petites brochettes d’intestins de poulet que l’on trempe dans une sauce addictive à base de soja, de vinaigre et de calamansi.

l Dans le même esprit, Lampara se présente comme un bistrot néo-philippin à la déco moderne soignée et aux assiettes très travaillées. On n’est pas près d’oublier sa soupe de fruits de mer, composée d’un fabuleux bouillon noir à la noix de coco brûlée !

l On monte encore en gamme du côté de Hapag et de Toyo. Dans le menu dégustation du premier, si les influences occidentales sont parfois trop marquées, la cuisine de Jordy Navarra, chef du second, est renversante. Dans son beau restaurant au décor industriel, le chef repense des plats du quotidien en version gastronomique. Comme le tinoal (bouillon de poulet) ou le burro (pâte de riz fermentée aux crevettes, proposée ici avec du lard croustillant). De quoi lui permettre de décrocher le titre de ” meilleur restaurant des Philippines ” au World’s Fifty Best 2019.

l Manille accueille également des chefs étrangers au sacré tempérament. Au très chic Gallery by Chele, l’Espagnol Chele Gonzalez magnifie les produits philippins avec une grande maestria technique. Il repense, par exemple, le classique pan de sal (un petit pain moelleux) en version meringue ou propose une géniale dégustation de vinaigres maison.

l Jeune chef anglais autodidacte de 32 ans ayant pas mal bourlingué, Josh Boutwood a, lui, ouvert le Helm, l’un des restaurants les plus trendy de Manille. Installés au bar qui entoure la cuisine, 18 clients y dégustent tous les soirs un menu de haute volée, aux saveurs occidentales mais préparé avec les meilleurs produits, sourcés le plus localement possible. Preuve s’il en fallait de la modernité des Philippines, pays qui, décidément, déjoue toutes les attentes…

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