Les Saoudiens peuvent-ils utiliser l’arme du pétrole pour nous faire taire ?

Amid Faljaoui Rédacteur en chef de Trends-Tendances

L’Arabie saoudite peut-elle provoquer une crise pétrolière ? La question est posée depuis l’assassinat commandité par les autorités saoudiennes du journaliste et dissident saoudien Jamal Khashoggi à Istanbul. Pourquoi cette interrogation ? Parce que pour tenter de couper court à toute tentative de boycott, les autorités saoudiennes ont fait passer plusieurs messages via leurs médias officiels. L’un d’eux a fait comprendre que déstabiliser ou boycotter l’Arabie saoudite, reviendrait à déstabiliser la capitale du pétrole. En clair, si les pays importateurs de pétrole (et donneurs de leçon) ne sont déjà pas satisfaits avec un baril à 80 dollars, qu’en sera-t-il demain si ce pétrole est à 200 dollars ou même le double ? D’où la question : les Saoudiens peuvent-ils utiliser l’arme du pétrole pour arriver à leurs fins ? Peuvent-ils espérer que les Occidentaux retournent au business as usual et que l’on cesse de parler de ce journaliste dépecé par les sbires de son gouvernement ?

Ne nous racontons pas d’histoire, l’Arabie saoudite dépend des Etats-Unis pour ses armes, pour leur entretien et pour la formation de ses soldats.

L’histoire montre que les Saoudiens ont déjà usé de l’arme pétrolière. En 1973-1974, ils ont réduit leur production de 5 % par mois tant que l’armée israélienne ne s’était pas retirée des territoires arabes occupés. De plus, l’Arabie saoudite et ses alliés de l’époque avaient aussi imposé un embargo sur les Etats-Unis et d’autres pays occidentaux. Le résultat a été foudroyant : à court terme, l’argent rentrait dans les caisses du Royaume mais, à long terme, le royaume wahhabite s’est tiré une balle dans le pied. Motif ? Les pays occidentaux ont réduit fortement leur dépendance à l’égard du pétrole en favorisant d’autres sources d’énergie comme le charbon, le gaz et le nucléaire. L’Arabie saoudite a d’ailleurs perdu des parts de marché considérables qu’elle n’a jamais récupérées depuis lors. Mais utiliser l’arme du pétrole pour taire les critiques serait insensé aujourd’hui. Pour la simple raison que le marché du pétrole est à la fois plus diversifié et mondial. La preuve : s’ils décidaient d’augmenter les prix de l’or noir pour faire taire les critiques américaines, les Saoudiens affecteraient du même coup la Chine et l’Inde, les deux plus grands marchés d’avenir pour le pays. Les Etats asiatiques en général perdraient leur confiance et se tourneraient vers la Russie et d’autres sources alternatives pour compenser le brut saoudien. Sans compter qu’aujourd’hui, les Etats-Unis produisent plus de pétrole que l’Arabie saoudite et n’importent qu’une petite partie de leur or noir du Moyen-Orient.

Mieux encore, si les Saoudiens devaient augmenter artificiellement les prix du pétrole, cela accélérerait l’essor des voitures électriques (tant mieux pour le site de Caterpillar). Et puis, ne nous racontons pas d’histoire, l’Arabie saoudite dépend des Etats-Unis pour ses armes, pour leur entretien et pour la formation de ses soldats.

Pire encore, avec une population constituée de 70 % de fonctionnaires, l’Arabie saoudite a besoin des consultants étrangers – et notamment américains – pour faire tourner son secteur privé. Le pays n’est pas même capable de faire tourner seul les complexes de cinéma ouverts sur son territoire depuis l’accession au pouvoir du prince héritier. Bref, sans les Etats-Unis, l’Arabie saoudite serait vulnérable face à son ennemi voisin, l’Iran. Voilà pourquoi en dehors de la rhétorique, le royaume saoudien ne pourra pas utiliser l’arme du pétrole. Sauf à vouloir se suicider.

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