Les rapatriements à la loupe

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L’étau se resserre autour des détenteurs de capitaux rapatriés à l’occasion des différentes amnisties fiscales: leur l’origine va devoir être scrupuleusement contrôlée par les banques.

Mauvaise nouvelle pour tous les Belges passés par la case amnistie fiscale. Les banques vont devoir vérifier l’origine des rapatriements suite aux différentes déclarations libératoires uniques (DLU). En cas de doute, elles devront procéder à une dénonciation à la CTIF ( la cellule qui traque l’argent sale, Ndlr). En cause, une récente circulaire de la Banque nationale (BNB) qui invite les banques du pays (BNP Paribas Fortis, Belfius, etc.) à appliquer ce que les spécialistes appellent la règle du look-back, c’est-à-dire vérifier l’origine des capitaux rapatriés il y a de nombreuses années.

Les capitaux fiscalement prescrits qui n’ont pas été régularisés ne sont théoriquement pas à l’abri de poursuites.” Denis-Emmanuel Philippe (Bloom Law)

Notre pays a en effet connu pas moins de quatre amnisties fiscales ces dernières années: la DLU de 2004, la DLU bis (de 2006 à mi-2013), la DLU ter (de mi-2013 à fin 2013) et la DLU quater (en vigueur depuis 2016). “Des milliers de Belges ont ainsi rapatrié en Belgique leurs capitaux non déclarés, qui se trouvaient sur des comptes ouverts auprès de banques étrangères, en ne les régularisant que partiellement, situe Denis-Emmanuel Philippe, avocat chez Bloom Law. De nombreux praticiens considéraient en effet que, dans le cadre des trois premières DLU, on pouvait se limiter à régulariser les revenus non encore fiscalement prescrits (dividendes, intérêts), sans pour autant devoir inclure les capitaux fiscalement prescrits (une vieille succession, par exemple).”

Denis-Emmanuel Philippe (Bloom Law)
Denis-Emmanuel Philippe (Bloom Law)© PG

C’est ainsi que des milliards d’euros non déclarés, mais non taxables en raison de l’expiration des délais d’imposition, dorment aujourd’hui dans les banques belges. D’où cette circulaire de la BNB, “qui vient implicitement conforter la thèse, certes controversée, suivant laquelle l’amnistie conférée par les précédentes DLU ne s’étendait pas aux capitaux fiscalement prescrits, lorsque seuls les revenus non fiscalement prescrits ont été soumis au prélèvement de la régularisation. Les capitaux fiscalement prescrits qui n’ont pas été régularisés ne sont théoriquement pas à l’abri de poursuites pénales, même si une régularisation partielle des revenus non fiscalement prescrits a été faite”, souligne Denis-Emmanuel Philippe.

Plus de 40 milliards

En pratique, les banques vont donc devoir se livrer à un travail titanesque de vérification de l’origine des fonds rapatriés depuis… 17 ans! Elles vont devoir retracer les virements intervenus, reconstituer les dossiers et contacter les clients pour leur demander de rassembler des documents probants. Selon la BNB, “les banques doivent apprécier si les éléments à leur disposition sont suffisants pour dissiper tout soupçon quant à l’origine illicite des fonds, ajoute Denis-Emmanuel Philippe. On peut s’attendre à des déclarations à la CTIF en masse. Les banques ne prendront aucun risque”.

Pour éviter les ennuis, certains décideront de recourir à la – très coûteuse – DLU quater qui expire fin 2023 et dont le gouvernement cherche à encourager l’utilisation malgré les critiques qu’elle suscite (charge de la preuve, impôts régionaux). Alors que le covid creuse le déficit budgétaire, l’enjeu financier est en effet de taille. Selon un récent rapport de la Cour des comptes, il y aurait plus de 40 milliards d’argent noir sur les comptes belges, qui ont été rapatriés dans le cadre des DLU précédentes.

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