Les lumières de l’IA

DEMIS HASSABIS © BELGAIMAGE

C’est peut-être l’invention de la méthode scientifique qui a marqué le plus grand bond en avant de l’histoire moderne. Elle a en effet établi un moyen de valider la vérité scientifique à une époque où la désinformation était la norme, permettant ainsi aux physiciens d’explorer l’inconnu. De la prédiction du mouvement des planètes à la découverte des principes de l’électricité, les scientifiques ont amélioré leur capacité à faire la synthèse des connaissances sur l’Univers en émettant des hypothèses, puis en recourant à l’expérimentation pour les valider. Au vu de toutes les avancées de la civilisation depuis les Lumières, on ne peut s’empêcher d’être admiratif devant tout ce que l’humanité est parvenue à accomplir grâce à cette méthode. Et je pense que l’intelligence artificielle (IA) pourrait entraîner une nouvelle ” renaissance ” de la recherche et servir de démultiplicateur du génie humain en ouvrant des domaines de recherche inédits et en poussant l’humanité à exploiter tout son potentiel.

La mise au point d’une intelligence artificielle est tout autant une affaire d’innovation qu’un voyage à la découverte des rouages internes de l’esprit.

De la même manière que le télescope nous a permis de comprendre le mouvement des planètes, qui a ensuite inspiré la physique moderne, les enseignements de l’intelligence artificielle pourraient aider les scientifiques à relever certains défis très complexes auxquels la société est aujourd’hui confrontée. Des programmes d’IA de nouvelle génération, inspirés par les neurosciences, sont capables d’apprendre par eux-mêmes à partir de principes fondamentaux. Ils peuvent ainsi identifier des modèles et des structures que l’homme a du mal à déceler seul, ouvrant ainsi la voie à de nouvelles solutions novatrices.

Les programmes d’intelligence artificielle autonomes permettent déjà certaines avancées dans le monde réel. En étudiant rapidement un éventail de possibilités, l’intelligence artificielle peut ainsi aider les chercheurs à mettre au point des solutions optimales en une fraction seulement du temps qu’il faut généralement pour mener une expérience aujourd’hui. Par exemple, avec d’autres chercheurs, nous nous servons de l’IA pour tenter de répondre à l’une des grandes questions en suspens du domaine de la biologie : comment les protéines forment-elles des structures en 3D et comment cette structure influe-t-elle sur leur fonction ? L’IA pourrait alors permettre aux chercheurs de mieux comprendre certaines maladies, comme Alzheimer, Parkinson et d’autres.

Ma foi dans le potentiel de l’IA se fonde également sur certains indices selon lesquels elle pourrait contribuer à atténuer les effets néfastes de certaines habitudes bien ancrées. Par exemple, les travaux de DeepMind sur les programmes d’IA automatisés ont d’ores et déjà permis de réduire de 30 % la quantité d’énergie nécessaire au fonctionnement des centres de données en optimisant l’utilisation des systèmes de refroidissement. Et, pour l’avenir, j’entrevois des solutions plus radicales encore que permettrait l’IA dans la lutte contre le dérèglement climatique, comme des avancées décisives dans la science des matériaux, qui aboutiraient à la conception d’un nouveau catalyseur capable de piéger le dioxyde de carbone de l’atmosphère à moindre coût et bien plus efficacement que les méthodes actuelles.

Si j’ai voué ma vie au développement de l’intelligence artificielle, c’est parce que je suis persuadé qu’elle sera la technologie la plus importante de l’histoire, ouvrant de nouvelles perspectives pour la recherche scientifique, améliorant ainsi les conditions de vie pour des milliards de personnes. Les prodiges du cerveau humain sont bien la preuve qu’une intelligence artificielle forte est possible ; la mise au point d’une IA est tout autant une affaire d’innovation qu’un voyage à la découverte des rouages internes de l’esprit. Le développement du cortex a doté l’homme d’une intelligence accrue qui nous a permis d’édifier des structures sociales plus complexes et plus coopératives, donnant naissance in fine à la civilisation moderne. De la même manière, l’intelligence artificielle peut nous aider à imaginer des modes de vie améliorés radicalement nouveaux. La curiosité, qui est à l’origine de l’invention de la méthode scientifique, pourrait bien être la clé non seulement des grands défis que la société a aujourd’hui à relever, mais aussi de la compréhension de nous-mêmes et de l’univers qui nous entoure.

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