“Les limites de la croissance”

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Rudy Aernoudt

Au début des années 1970, le rapport du Club de Rome suscitait déjà un tollé. “La croissance économique ne peut se poursuivre à un rythme aussi effréné sous peine d’épuisement des ressources de la planète”, y lisait-on.

La conclusion alarmante du rapport était sans appel : si nous ne freinons pas notre consommation – et nous avons fait exactement le contraire – les réserves de matières premières seront complètement épuisées dans 50 ans (aujourd’hui donc). Un rapport de Bruxelles qui actualiserait ce document serait bien utile. Les marcheurs pour le climat se focalisent trop sur l’appel, ma foi très noble, à faire de l’environnement une priorité. Qui oserait dire le contraire ?

Les marcheurs pour le climat démontrent par la même occasion à quel point ils ont besoin de l’économie et de la prospérité. Bon nombre d’entre eux rêvent de voyages en avion, de stages et d’études à l’étranger. De toute évidence, la plupart ne s’habillent pas dans les boutiques de seconde main. Il ne s’agit nullement d’une critique négative mais d’un appel à l’équilibre. Oui, nous avons besoin de la planète et oui, nous devons essayer de limiter notre empreinte écologique. Mais il faut aussi laisser se développer notre économie, source de bien-être et productrice des biens et des services qui améliorent notre quotidien, y compris celui des marcheurs pour le climat.

Les mesures prises en faveur du climat donnent trop souvent lieu à une réglementation excessive et une surenchère fiscale qui ne font que freiner un peu plus la croissance.

Selon l’enquête SAFE (*), menée par la Commission européenne, les trois principaux obstacles à la croissance pour 2019 sont le manque de personnel, le manque de clients et la surrégulation pour, respectivement, 25%, 23% et 13% des entreprises européennes. Les entreprises belges jugent également ces trois obstacles préoccupants mais les pondèrent différemment. L’obstacle n°1 est le manque de personnel qualifié. Pour quelque 36% des entreprises belges, cette pénurie constitue le principal obstacle à la croissance. Sur les 28 pays de l’Union européenne, seuls les Pays-Bas et la Finlande lui attribuent un score encore supérieur : 37%. Le deuxième frein à la croissance est la régulation à outrance, considérée par 15% des entreprises belges comme le plus gros obstacle. En troisième place vient la recherche de clients (14%), ex aequo avec l’impôt sur le travail (14%).

Malgré le discours politique vantant la simplification administrative, la surrégulation apparaît donc comme un des principaux obstacles à la croissance. Et c’est précisément là que se situe la zone conflictuelle avec la priorité au climat. Les mesures prises en faveur du climat donnent trop souvent lieu à une réglementation excessive et une surenchère fiscale qui ne font que freiner un peu plus la croissance. Les entrepreneurs et les entreprises ne sont pas par définition les ennemis de l’environnement et les considérer d’entrée de jeu comme des pollueurs qu’il faut punir fiscalement n’aurait aucun sens. Il est beaucoup plus difficile d’estimer l’impact extérieur négatif afin de chiffrer le coût social. La sensibilisation des entrepreneurs à l’environnement et la prise de conscience par les marcheurs pour le climat de leur comportement consumériste pourrait donner lieu à une dialectique productive qui dépasse la dichotomie environnement/économie. Il nous faut trouver un nouvel équilibre qui fait rimer respect de la planète avec considérations économiques. Et pour dépasser le stade de la rhétorique, il convient de quantifier pareil comportement en cartographiant cet équilibre.

Le score ESG ( environnement, social et gouvernance) permet d’évaluer les efforts consentis par les entreprises pour respecter ces trois critères. Les résultats ESG de Bloomberg, par exemple, ont permis de cartographier plus de 10.000 entreprises d’après un score ESG complexe basé sur 120 paramètres comme les émissions de carbone, l’impact sur le changement climatique, la pollution, le traitement des déchets, l’énergie renouvelable, l’épuisement des ressources alternatives, les chaînes d’approvisionnement, la discrimination, la diversité, les droits de l’homme, le système de rétribution de la direction, les droits des actionnaires, etc. La recherche universitaire a montré qu’un bon score ESG est synonyme d’une moins grande volatilité du cours des actions de l’entreprise concernée et d’une plus grande crédibilité.

Permettez-moi, pour finir, de citer le père de l’économie, Adam Smith, qui écrivait il y a 250 ans : ” Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur et du boulanger que nous attendons notre dîner mais plutôt du soin qu’ils apportent à la recherche de leur propre intérêt “. Si consommateurs et activistes environnementaux privilégient systématiquement les entreprises durables, dont la performance est exprimée par un score ESG ou non, il sera inutile de surréglementer et désormais possible de parvenir à un équilibre durable entre planète et bénéfices. Et maintenant back to school car l’économie a cruellement besoin de personnel qualifié.

(*) Survey to the access to finance of enterprises.

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