Marc Du Bois, CEO de Spadel: “Les gens me regardaient comme un extraterrestre”
Le patron du premier minéralier belge a décidé il y a 10 ans de faire du développement durable l’un des piliers de sa stratégie. Les performances de l’entreprise, dit-il, ne seraient pas ce qu’elles sont aujourd’hui sans cet accent mis sur la responsabilité sociétale.
Marc du Bois dirige le groupe familial Spadel (Spa, Bru, etc.) depuis 2005. L’homme a mené son entreprise à la neutralité carbone. Il nous explique son cheminement.
TRENDS-TENDANCES. Dans son livre, Bill Gates explique qu’il y a 20 ans, l’enjeu climatique ne le tracassait pas vraiment. Et vous, qu’en pensiez-vous à l’époque?
MARC DU BOIS. J’avais 38 ans. A l’époque, nous disions que l’entreprise avait bien performé parce que les mois d’été avaient été chauds. Du coup, si Spadel fonc- tionnait mal, c’était parce que les températures n’avaient pas été au rendez-vous. Le fait d’analyser ainsi la croissance de l’entreprise en fonction du facteur climat m’a toujours terriblement perturbé. Mais je n’étais pas aussi franc et engagé qu’aujourd’hui sur la question de l’environnement. Quel fut le déclic?
Il y a un peu plus de 10 ans, sans doute parce que j’avais pris un peu de bouteille depuis le décès de mon frère et la reprise de la société, je me suis dis que j’allais enfin dire ce que je voulais vraiment. Et ce que je voulais était en fait la base de toute la réflexion actuelle autour de la sustainability (durabilité, Ndlr). A l’époque, l’entreprise était extrêmement fière du renouvellement de ses certifications Iso. Mais je voulais passer à l’étape supérieure, à savoir le développement durable et les fameux trois P: People, Planet, Profit. Les gens me regardaient comme un extraterrestre. Nous étions alors dans une société qui ne se portait pas excessivement bien, en train de faire du cost- cutting. Pour beaucoup, il était inimaginable de faire à la fois du développement durable et des économies. J’étais moi aussi parfois en plein doute.
Aujourd’hui, notre empreinte carbone est neutre dans tous les pays et sur toutes nos marques.
Mais vous avez continué…
Très rapidement, nous avons mené un exercice consistant à cadastrer tous les efforts que l’entreprise avait réalisés sur 100 ans en matière d’environnement. Nous avons mis autour de la table des gens récemment engagés et des gens en place depuis des décennies, et nous nous sommes rendu compte que nous avions des bases extrêmement solides. Le socle était là. Nous avons alors décidé de bâtir sur ce socle. En 2010, je signale à l’ensemble du management que je voudrais que l’entreprise prenne un rôle de pionnier en matière de durabilité. Le développement durable devient l’un des trois piliers de la stratégie du groupe et nous nous donnons pour ambition de réduire notre empreinte carbone de 20% à l’horizon 2015, d’être neutres en 2020 et positifs en 2039.
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Comment traduisez-vous cela dans votre business à l’époque?
Nous commençons tout d’abord par lier une partie de la rémunération du management à l’atteinte d’objectifs environnementaux. Ensuite, notre responsable développement durable passe sous ma direction. Enfin, nous multiplions les contacts avec les parties prenantes, et notamment le monde politique, y compris les écologistes, afin de voir si ce que nous mettons en place a du sens. Les objectifs sont déclinés année par année et nous avançons. Pour réduire notre empreinte carbone, nous décidons de modifier toutes nos gammes de produits, nous allégeons toutes les bouteilles. Nous passons au papier PEFC, à des encres végétales et nous réduisons le suremballage. Au niveau de nos lignes de production, nous installons une unité de cogénération à Spa Monopole, nous plaçons des panneaux photovoltaïques sur les usines de Spa et Bru et nous faisons passer deux lignes de production sur une seule, plus flexible et moins consommatrice en eau et en énergie. En 2015, nous atteignons l’objectif fixé cinq ans plus tôt. Et aujourd’hui, notre empreinte carbone est neutre dans tous les pays et sur toutes nos marques.
Comment avez-vous atteint cette neutralité carbone?
Une fois que vous avez réduit votre empreinte carbone de 20%, vous ne pouvez plus aller beaucoup plus loin, surtout lorsque vous êtes dans un business croissant. Vous devez donc compenser. Pour ce faire, vous devez aller chercher des projets. Par exemple, nous travaillons sur un très gros projet au Rwanda dans le cadre duquel nous restaurons des puits sur une durée de 10 ans. Nous donnons ainsi à 250.000 Rwandais l’accès à une eau potable. Une eau qu’ils auraient normalement dû faire bouillir, ce qui implique de dépenser de l’argent pour acheter du bois, et donc de déforester.
Tout cela ne vous coûte-t-il pas énormément d’argent?
Bien sûr. On ne peut donc pas imaginer d’être autant investi
en développement durable sans aussi investir financièrement.
Il est clair que nous avons consacré décemment des investissements à l’atteinte des objectifs qui sont les nôtres, sans quoi nous ne les aurions pas atteints. Si j’avais voulu être plus capitalistique et embellir davantage la performance du groupe, j’aurais pu y parvenir sans faire de développement durable. Mais quand vous regardez la performance de l’entreprise en 2010-2011 et que vous la comparez à celle d’aujourd’hui, vous constatez que la croissance est assez significative. Pour y parvenir, vous devez faire en sorte qu’à côté de vos ambitions en matière de développement durable, vous ayez aussi des ambitions économiques de croissance des volumes et de tous les indicateurs qui font en sorte que l’entreprise est ce qu’elle est.
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Les performances financières ne restent-elles donc pas avant tout le résultat d’autres facteurs?
Si nous n’avions pas pris toutes les mesures environnementales évoquées, je pense que nos performances économiques n’auraient pas été celles qu’elles sont. La performance financière d’une entreprise dépend d’abord des hommes et des femmes qui y travaillent. Nous avons toujours essayé d’avoir les meilleurs éléments. Et si nous n’avions pas eu de vision claire en matière de durabilité, je pense qu’un bon nombre de ces meilleurs éléments ne seraient pas venus. Par ailleurs, je suis convaincu que le consommateur d’aujourd’hui va choisir des marques pas seulement parce qu’elles sont leaders de leur segment mais aussi parce que ces marques sont particulièrement attentives au bien de la société.
Seriez-vous prêt à accepter des réglementations plus strictes, voire des taxations, afin de verdir l’économie?
Je ne pense pas que ce soit en taxant que l’on améliore les comportements. Ce qui me ferait plaisir, c’est que des entreprises qui déploient les efforts que nous déployons depuis des années, et parfois au détriment d’une rentabilité qui aurait pu être meilleure, soient, je ne vais pas dire remerciées, mais au moins épargnées et reconnues. Quant aux réglementations, ce que je vais dire va peut-être irriter, mais j’assume pleinement: le monde politique, qu’il soit belge ou européen ferait bien, avant d’inventer des lois, de mieux connaître le monde de l’entreprise et de mesurer la faisabilité de ce qu’il imagine.
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