Les Etats, les entreprises et les politiques priés de ” photoshoper ” leur passé

Amid Faljaoui

Sale temps pour la raison. Notre histoire, par statues interposées, est questionnée, remise en question. Ce n’est pas nouveau, les historiens l’ont déjà rappelé. Déjà au temps des pharaons, Akhenaton a voulu imposer, quitte à détruire, la figure du dieu unique Aton. Plus tard, pour effacer les traces de la Royauté, les ” fous de la République ” ont cru bon d’abolir le calendrier et de réformer les noms des rues de France. Mais la grande différence avec ces époques qu’on croyait révolues ou réservées aux talibans (souvenez-vous des statues de Bouddha), c’est qu’aujourd’hui, plus personne de raisonnable ne discute des méfaits du colonialisme ou des injustices raciales. Mais ni la fin ni la condamnation unanime de ces systèmes n’empêchent les déboulonneurs de statues de livrer ” une guerre contre des fantômes ” pour reprendre la jolie formule de l’historien Loris Chavanette. De son côté, Boris Johnson, s’est prononcé contre toute volonté de ” réécrire ” ou de ” photoshoper ” le passé.

A force de chercher des coupables, on finit par déresponsabiliser les citoyens.

Mais rien à faire, le mouvement radical est trop fort. Les patrons et les politiques qui lisent ce modeste éditorial doivent également se méfier. Ils sont aussi dans la ligne de mire. Leur communication évoluera désormais en terrain miné. Le géant de l’agroalimentaire Mars, sous la pression du mouvement Black Lives Matter, a par exemple dû promettre de changer l’identité visuelle de sa marque centenaire Uncle Ben’s. En France, la même pression avait déjà eu lieu il y a quelques années avec la marque Banania, obligée de se séparer de son slogan ” Y’a bon ” jugé trop choquant.

Qu’elle soit motivée ou pas, la critique est prise en compte par les entreprises concernées. La raison ou plutôt les raisons ? 1) Si la marque ne bouge pas, elle risque d’être boycottée via la caisse de résonance des réseaux asociaux. 2) C’est devenu aussi un enjeu de ressources humaines, car pour attirer et séduire les jeunes générations, l’entreprise doit leur montrer qu’elle partage les mêmes valeurs qu’elles.

Quant aux politiques, s’ils pouvaient ” photoshoper ” leur passé, ils n’hésiteraient plus. La pandémie l’a encore montré, ils devront avaler un crapaud chaque jour avant d’exercer leur métier. Des citoyens français, italiens, belges ont décidé d’attaquer en justice leurs responsables politiques. Normal, après le décompte des victimes, il faut chercher des responsables, voire des coupables. Le philosophe André Comte-Sponville a raison de rappeler que l’élève qui fait une erreur de calcul dans un devoir est assurément responsable, mais il n’y a aucune raison de dire qu’il est coupable car s’il avait su que c’était une erreur, il ne l’aurait pas commise ! Remplacez le mot ” étudiant ” par ” politique ” et vous verrez les choses avec un autre oeil.

Prendre une décision en incertitude, c’est prendre un risque. Mais si à ce risque, les citoyens ajoutent le risque judiciaire, c’est simple : plus personne ne voudra exercer une activité politique. Ou pire encore, les politiques agiront en pensant d’abord à se protéger pénalement avant de nous servir. En clair, ils ne feront plus rien. Leur seule politique sera la politique du parapluie. André Comte-Sponville tire la sonnette d’alarme : à force de chercher des coupables, on finit par déresponsabiliser les citoyens.

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