Publicité et coronavirus: les annonceurs se réinventent

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Anesthésiées par le coronavirus, les grandes marques se sont faites discrètes durant le confinement, avant de revenir progressivement aux affaires. Si les investissements publicitaires semblent repartir à la hausse, les annonceurs n’en demeurent pas moins prudents dans leur discours, avec des campagnes moins axées sur le produit et davantage empreintes d’humanité. Petit tour d’horizon des tendances de la rentrée.

Quatre mois. Pendant quatre mois, Coca-Cola a joué la carte du silence absolu dans l’univers publicitaire. Tétanisée par la crise du Covid-19, la marque de sodas a en effet suspendu dès le mois d’avril ses campagnes de pub dans le monde entier, préférant la discrétion totale à l’éventuelle maladresse d’un message dissonant. Durant cette période, le géant américain n’a toutefois pas complètement disparu des radars médiatiques puisqu’il a maintenu le lien avec sa communauté de fans sur les réseaux sociaux et soutenu financièrement des organisations humanitaires face au coronavirus. Mais dans le monde de la pub : rien, niks, nada !

Comme de nombreux autres annonceurs, Coca-Cola s’est donc effacé du paysage publicitaire pendant plusieurs semaines, plaçant dans l’inconfort financier des médias qui, paradoxalement, n’ont jamais été autant consultés. Certes, d’autres grandes marques ont continué à diffuser leurs messages commerciaux sur les ondes et dans la presse, mais dans l’ensemble, la pression publicitaire a chuté de manière spectaculaire avec l’émergence du Covid-19. Ainsi, pour les six premiers mois de l’année 2020, le bureau d’études Nielsen a noté chez les annonceurs un recul de 26% de leurs investissements en Belgique par rapport au premier semestre 2019.

Retour aux affaires

Avec le déconfinement, la reprise de parole des marques s’est toutefois fait ressentir et aujourd’hui, les annonceurs repartent à l’attaque du marché avec un discours qui s’est adapté à cette crise de société. Preuve en est justement avec Coca-Cola qui a signé son grand retour au début de ce mois d’août, porté par une campagne ambitieuse et très “post-Covid-19”. Intitulée Ouvert, plus que jamais, cette offensive publicitaire tranche dans le paysage ambiant puisque le produit est totalement absent du message “commercial” et que le nom Coca-Cola n’y figure qu’en petits caractères. Ainsi, dans les journaux qui ont affiché cette campagne, la marque a uniquement déployé la vague graphique de son logo rouge et blanc sous un long message qui invite les lecteurs à porter un nouveau regard sur le monde. Présenté comme un poème, le texte commence avec la phrase “Qui a dit qu’il fallait que tout reprenne comme avant ?” et se termine par “Je suis ouvert… Ouvert, plus que jamais.”

Avec la montée en puissance de la responsabilité sociétale des entreprises et la crise du Covid-19 qui en a accéléré le mouvement, les marques n’ont guère plus d’autre choix que de repenser leur discours.

Mais pourquoi la marque de sodas a-t-elle opté pour cette communication exclusivement axée sur l’humain ? “La crise du Covid n’est pas encore terminée mais nous pensons que c’est malgré tout le bon moment pour dire aux Belges d’apprécier les belles choses, explique Ben Bijnens, country director Coca-Cola Services Benelux. Avec cette campagne, nous voulons utiliser la puissance de notre marque pour diffuser un message d’encouragement. L’idée est d’inspirer les gens et de les inciter à avoir un esprit ouvert et optimiste. Dans une marque, il y a le produit, bien sûr, mais il y a aussi les valeurs. Il ne faut pas sous-estimer notre rôle. Chaque jour, nous vendons 10 millions de boissons en Belgique et au Luxembourg. Nous avons une certaine responsabilité et nous devons être inspirants.

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Un jeu d’équilibriste

Déclinée dans plusieurs médias, la nouvelle campagne de Coca-Cola montre clairement, dans le chef de l’entreprise, l’envie d’un changement positif et durable en ces temps chahutés. Le Covid-19 aurait-il à ce point bouleversé les annonceurs, désormais obligés de communiquer sur les enseignements du confinement plutôt que sur leurs produits de base ? Si le géant du soda incarne l’exemple ultime d’un engagement de marque face à la crise actuelle, force est constater que tous n’ont pas été aussi loin dans leur réflexion, même si le coronavirus a évidemment changé les plans de communication d’une grande majorité d’annonceurs pour la rentrée.

Chez Delhaize qui, contrairement à Coca-Cola, n’a jamais cessé de communiquer depuis le début de la crise, le défi a précisément consisté à adapter en permanence le message en fonction du contexte. La chaîne de supermarchés a, il est vrai, tiré profit du confinement (elle a vu ses bénéfices doubler au deuxième trimestre 2020) mais elle a dû malgré tout rester attentive aux annonces à distiller tout au long de cette crise pas encore terminée. “Ces derniers mois ont été une période très riche pour les marketers et le challenge est toujours d’actualité, confie Aude Mayence, directrice marketing chez Delhaize. Car il faut faire preuve d’agilité dans ce jeu d’équilibriste qui consiste à adapter constamment sa communication. Pour la rentrée, nous avons, par exemple, un plan qui est déjà bien ficelé, avec toutefois une série de backups car on ne sait jamais comment les choses peuvent évoluer.”

“Il faut faire preuve d’agilité dans ce jeu d’équilibriste qui consiste à adapter constamment sa communication” – Aude Mayence (Delhaize)© DR

Le top 100 chamboulé

La marketer Aude Mayence n’en fait pas mystère : contrairement à d’autres secteurs économiques qui ont freiné leurs investissements publicitaires durant plusieurs mois, la grande distribution a maintenu, voire intensifié, ses dépenses durant cette crise qui lui a été favorable. “Nous avons effectivement augmenté nos investissements médias, reconnaît la directrice marketing de Delhaize, et il est plus que probable que les acteurs de la grande distribution monteront de quelques places dans le classement 2020 des plus gros annonceurs de Belgique.”

Etabli par l’institut Nielsen, le top 100 des annonceurs risque en effet d’être chamboulé au terme de cette année. Figurant à la sixième place avec 64 millions d’investissements bruts dans les médias traditionnels (Nielsen ne dispose pas des montants dépensés sur Facebook et Google), le groupe Colruyt s’est ainsi hissé à la première place du classement établi pour le mois de juin 2020. Ses concurrents Delhaize et Aldi (occupant l’année dernière les 12e et 21e places avec respectivement 48 millions et 31 millions investis en 2019) suivent la même courbe ascendante puisqu’ils se retrouvent à la quatrième et cinquième places du top des annonceurs au mois de juin dernier.

Maintenir le lien

Prévisible, le retour de la pression publicitaire en ces temps déconfinés ne touche toutefois pas que le monde de la grande distribution. Ainsi, BNP Paribas Fortis a aussi décroché une belle neuvième place en ce mois de juin 2020 alors que la banque était classée 40e l’année dernière dans le top 100 des annonceurs en Belgique avec 19 millions investis en 2019. Peu après la réouverture des magasins le 11 mai dernier, BNP Paribas Fortis a en effet lancé une grande campagne avec le slogan Yes, on est ouvert jusqu’à la fin du mois de juin pour marquer son soutien aux commerçants et aux entrepreneurs.

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“Contrairement à d’autres annonceurs dont les points de vente étaient fermés, nous avons maintenu le lien avec nos clients durant toute la crise, explique Annemie Goegebuer, responsable de la communication chez BNP Paribas Fortis. Bien sûr, nous avons dû changer nos plans initialement prévus car le Covid-19 a bouleversé la prise de parole des marques, mais nous sommes restés très présents et nous avons d’ailleurs pris de l’avance par rapport à d’autres annonceurs qui renouent seulement maintenant avec leur audience. Après le coup de pouce à nos clients entrepreneurs à travers la campagne Yes, on est ouvert en mai et en juin, nous avons lancé une nouvelle campagne de positionnement en juillet avec le mot-clé #PositiveBanking et un message ‘inspirationnel’ à l’attention du public – Construire ensemble un avenir positif – pour souligner le rôle et la raison d’être de BNP Paribas Fortis.

Transformer l’incertitude en énergie positive

Le concurrent ING insiste aussi sur l’importance d’un message optimiste en ces temps chahutés, tout en rappelant l’immense défi auquel ont été confrontées toutes les marques dans leur prise de parole face au Covid-19 : “Dès le début, nous avons appliqué toutes les règles en matière de communication de crise, confie Marie-Noëlle De Greef, responsable Communications & Brand Experience chez ING Belgique. Le plus important était d’apporter une information claire à nos employés, d’être totalement transparent par rapport à nos clients et d’entreprendre aussi des actions de soutien. Il était moins opportun de diffuser de la communication commerciale au début et ce n’est que dans un deuxième temps que nous avons adapté nos objectifs à la nouvelle réalité avec une approche de communication plus globale axée sur la santé financière. “

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Pour ce faire, ING Belgique a développé un “concept-ombrelle” autour de la formule C’est le moment avec une plateforme numérique où le client pouvait et peut toujours trouver un ensemble de solutions claires pour ses projets professionnels et privés au coeur de cette crise sanitaire. “Aujourd’hui, tout le challenge consiste à transformer l’incertitude en énergie positive avec du contenu et des solutions qui ne doivent jamais cesser d’être pertinents”, conclut Marie-Noëlle De Greef qui espère garder en 2020 un niveau d’investissements médias similaire à celui de l’année dernière.

“Tout le challenge consiste à transformer l’incertitude en énergie positive avec du contenu et des solutions qui ne soivent jamais cesser d’être pertinents” – Marie-Noëlle De Greef (ING Belgique)© DR

Ne pas faire comme si de rien n’était

Repenser partiellement, voire complètement, les standards de sa communication, tel a aussi été le défi de l’assureur AG en ces temps de coronavirus. Il y a trois ans à peine, la première compagnie d’assurance belge se lançait pour la première fois de son histoire dans la publicité “grand public” avec une campagne bon enfant mettant en scène des animaux humanisés, histoire de faire passer le message suivant : N’attendez pas une autre vie, vivez pleinement avec les assurances AG. Un slogan qui passerait mal aujourd’hui et que la compagnie a dû abandonner dès l’apparition du Covid-19.

“La crise sanitaire a touché chacun d’entre nous, partout dans le monde, rappelle Nathalie Erdmanis, director strategic marketing d’AG Insurance. C’est un facteur anxiogène qui a changé la perception et la réalité des gens par rapport à ce qu’ils tenaient pour acquis et permanent. Notre système de valeurs fondamentales est aussi remis en question et, dès lors, cela a un impact sur la façon de communiquer en tant que marque. On ne peut pas juste faire comme si de rien n’était, ni maintenir notre ancienne communication qui pourrait paraître non appropriée par rapport à ce qui nous inquiète. Avec cette crise, nous avons donc adapté nos plans de communication et nous travaillons depuis sur des campagnes qui sont plus en phase avec la nouvelle réalité des gens.

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Durant le confinement, AG Insurance a ainsi décidé de communiquer sur une problématique plus fondamentale : le sentiment de solitude exacerbé par la crise sanitaire. Avec la complicité de l’agence Air Brussels, l’assureur a lancé une campagne de sensibilisation ancrée “dans l’émotionnel, l’entraide et la solidarité”, dixit Nathalie Erdmanis, notamment via le déploiement d’une plateforme numérique – toujours active aujourd’hui – qui regroupe plusieurs associations oeuvrant au quotidien contre le fléau de la solitude.

“Notre système de valeurs fondamentales est remis en question et, dès lors, cela a un impact sur la façon de communiquer en tant que marque” – Nathalie Erdmanis (AG Insurance)© DR

En phase avec son “purpose”

Avec la montée en puissance de la responsabilité sociétale des entreprises et la crise du Covid-19 qui en a accéléré le mouvement, les marques n’ont guère plus d’autre choix que de repenser leur discours. Chez Belfius, le processus a été enclenché bien avant le coronavirus avec un plan stratégique 2020-2025 qui entend faire du bancassureur un acteur inspirant de société belge. La marque avait d’ailleurs prévu un important road-show cette année pour présenter aux clients sa nouvelle raison d’être, mais le coronavirus en a décidé autrement, bloquant momentanément tous ses événements. L’entreprise n’a pas abandonné l’idée de communiquer pour autant, fort de son application mobile qui touche aujourd’hui 1,5 million de clients. “C’est un vrai outil de communication de masse, se réjouit Mieke Debeerst, responsable du marketing chez Belfius. Le monde de la pub est en train de changer et nous allons utiliser de plus en plus notre propre canal de communication pour toucher le consommateur. Cela ne veut pas dire cependant que nous allons abandonner les médias traditionnels du jour au lendemain…”

Plus impliqué dans le “monde d’après”, le bancassureur a choisi de s’éloigner drastiquement des campagnes purement produits pour être davantage en phase avec son “purpose” (un mot très à la mode dans les sphères du marketing pour désigner l’âme d’une entreprise) : Meaningful & inspiring for the Belgian society. Together. Cette stratégie de communication qui se veut plus émotionnelle est d’ailleurs palpable dans le dernier spot de Belfius vantant les mérites d’une assurance “pro-mobilité durable”. Son argumentaire ? “Moins vous roulez et moins vous émettez de CO2, plus vous recevez de réductions sur notre assurance auto”. Un vrai changement.

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Mettre plus d’humain

Durant le confinement, certains secteurs ont cependant été plus malchanceux que d’autres et ont vu leurs points de vente condamnés, ce qui a logiquement freiné la communication de nombreuses entreprises envers leur clientèle. Habitués à figurer dans le top 50 des annonceurs en Belgique, les grands constructeurs automobiles ont ainsi fortement réduit leurs investissements publicitaires au printemps dernier, comme le groupe PSA, propriétaire des marques Peugeot, Citroën, DS et Opel, pourtant cinquième au classement annuel belge des annonceurs avec 70 millions dépensés en 2019 (hors Facebook et Google).

Cela n’avait aucun sens de faire de la publicité pendant le confinement puisque toutes nos concessions étaient fermées, argumente Didier Blokland, CMO director du groupe PSA en Belgique. Nous avons donc arrêté toute communication, à l’exception de quelques messages sur le digital, avant de rétablir le lien avec le client en juin. Nous avons pris alors l’angle du positivisme avec une campagne baptisée Reconnection aux couleurs plus chaudes et avec plus d’humain dans le visuel que par le passé. C’est une tendance qui était déjà en marche avant le Covid-19 mais il est clair que la crise sanitaire l’a accélérée, comme elle a accéléré d’ailleurs d’autres tendances existantes telles que la personnalisation, par exemple.”

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En cette rentrée, le groupe PSA va poursuivre sur sa lancée positive avec une nouvelle campagne qui sera elle aussi placée sous le signe de l’humain et des rapports privilégiés avec les clients. Le concept des traditionnelles portes ouvertes de septembre se transformera en des prises de rendez-vous privés et personnalisés (la contrainte sanitaire s’est muée en argument marketing ! ) tandis que la stratégie, au niveau de l’achat médias, bannira désormais les toutes-boîtes du plan de communication. “Ce média est devenu trop cher et trop peu flexible dans ce contexte de crise sanitaire”, justifie Didier Blokland qui précise que les investissements publicitaires du groupe PSA en Belgique auront sans doute baissé de 25% sur l’ensemble de l’année 2020 : “Un recul en phase avec la baisse du marché automobile”, conclut-il.

Un virus catalyseur

Chez le concurrent D’Ieteren, distributeur des marques du groupe Volkswagen en Belgique (VW, Audi, Skoda, Seat, etc.), on estime que les investissements médias auront même chuté “de 30 à 40% par rapport aux prévisions initiales” pour l’année 2020. Si le groupe n’a jamais cessé de maintenir une présence digitale durant la crise sanitaire, il a lui aussi décidé de suspendre toute forme de publicité durant le confinement pour revenir peu à peu dans l’arène médiatique avec des visuels qui, là aussi, mettent beaucoup plus en avant des hommes, des femmes et des enfants autour des véhicules photographiés. “Le Covid-19 n’a pas fondamentalement transformé nos prises de parole mais il a accéléré une tendance sociétale qui était déjà présente, note José Fernandez, chief customer experience officer du groupe D’Ieteren. Il a agi tel un catalyseur qui révèle des priorités comme l’humain ou encore la durabilité dans les stratégies de communication. “

Incontournable, cette “nouvelle” dimension des rapports humains repensés sous le prisme du coronavirus est effectivement au coeur de nombreuses campagnes, comme celle de Proximus qui vante les mérites de son offre de pack personnalisable Flex fraîchement lancée sur le marché. “Cette offre était en gestation depuis longtemps et on aurait sans doute communiqué autrement s’il n’y avait pas eu le Covid-19, explique Sophie De Nys, communication manager chez l’opérateur télécom. La crise nous a tous pris de court et nous avons d’ailleurs dû mettre certaines campagnes au frigo, par exemple celles liées à l’Euro 2020 qui a été reporté à l’année prochaine ( Proximus est sponsor des Diables Rouges, Ndlr). Mais elle nous a aussi contraints à réagir rapidement en termes de communication et à adapter nos prises de parole en privilégiant l’enthousiasme en cette période difficile, sans tomber toutefois dans le covid-washing.

Etre empathique sans paraître opportuniste, tel sera en effet le nouveau casse-tête des marques en cette fin d’année 2020.

-26%

Le recul des investissements publicitaires en Belgique pour le premier semestre 2020 par rapport à 2019, selon le bureau d’études Nielsen.

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