Le western des apparences

François Boucq ne pouvait attendre. Le 11e tome de la série Bouncer paraît moins de deux mois après le 10e. La démarche semble naturelle puisque les deux albums forment une seule et même histoire. Et dans l’état actuel de saturation que connaît le marché francophone de la bande dessinée, il convient de ne pas faire trop attendre un lecteur qui est soumis à de multiples tentations (comprenez d’autres achats). Mais d’un point de vue artistique, le dessinateur s’est aussi laissé emporter par cette histoire prenante, qu’il se devait de développer en deux tomes, L’or maudit, paru début janvier, et L’échine de dragon, en librairie depuis le 7 mars.

Il faut croire que j’ai un don pour ressusciter. A moins que ce ne soit mon fantôme qui vienne te hanter jusqu’ici.

Bouncer, justicier manchot, enquête cette fois sur la mort tragique de la fillette de l’horloger Zeiss. Très vite, ses investigations lui font découvrir une confusion dans le chef des assassins avec la jeune Panchita, dont le crâne tatoué révèle une fois rasé la carte d’un trésor convoité. L’enfant kidnappée par de véritables bourreaux ne pourra que compter sur le héros pour la délivrer. Créée en 2001, Bouncer émanait d’une envie commune à Alejandro Jodorowsky et à François Boucq à vouloir toucher au genre si codifié du western, et sinon à le bousculer. ” Les Américains ont une vision très pragmatique du western : c’est tantôt l’histoire d’un maire qui veut défendre sa ville dans laquelle débarquent des bandits, un pantagruélique éleveur qui ne veut pas qu’on mette des barrières sur les terres ( sympathique allusion à Lucky Luke, Ndlr), constate le dessinateur qui commande seul la série. Nous, notre conception est de pouvoir l’élever et l’amener à une dimension supérieure. Avec Il était une fois dans l’Ouest, Sergio Leone l’a emmené vers la tragédie grecque. Comme lui, nous nous servons du western pour raconter notre culture européenne. ”

Pour ce faire, le multi-talentueux scénariste franco-chilien ( L’Incal et La Caste des Méta-Barons) a imaginé alors un personnage de justicier auquel il manque un bras et confronté dans les premiers tomes à son histoire familiale, mais ici, sa quête s’avère presque métaphysique. La scène inaugurale de L’or maudit portait en elle d’ailleurs l’essence de l’intrigue de ce diptyque : les apparences sont souvent trompeuses. Un manchot qui s’avère fin tireur, une fillette au secret bien dissimulé, un assassin aux ongles aiguisés comme des rasoirs, un environnement changeant dont il faut se méfier des caprices… D’une certaine manière, quand on est dessinateur, on va dessiner ces formes mais avec l’envie aussi d’aller au-delà. C’est ça l’itinéraire d’un dessinateur : s’interroger sur la forme. Et là commence alors une aventure de l’esprit. ” Tous ces ingrédients composent une sauce au goût relevé et fin à la fois.

Dans L’échine du dragon, une fois passé le Rio Grande, le désert mexicain de la Sonora revêt ses habits de jeune premier tant il dirige l’intrigue cousue de main de maître par Boucq. Il fallait d’ailleurs tout le talent d’un dessinateur réaliste de son envergure pour nous immerger dans cette nature faite de roches, de sable et de vents. ” Ce qui est intéressant avec le western, c’est de replacer l’être humain dans sa forme presque primitive : il est au coeur d’un espace vierge, une sorte de paradis qui peut être complice mais aussi hostile. L’humain est donc dans sa version essentielle. Comment va-t-il exister par lui-même ? ” Là est l’enjeu. Encore un jeu d’apparences, où s’y fier, c’est courir le risque de se faire tuer.

Par sa gestion du temps (le voyage se dilate sur deux tomes), sa description de caractères tantôt hors normes (violence et pudeur se dosent avec doigté) tantôt profond (Bouncer cache encore bien des facettes) et sa maîtrise de la mise en scène, François Boucq prouve que le western a de beaux jours devant lui et ne fait que parler de la nature humaine. ” C’est tout ce qui m’intéresse dans mon travail en bande dessinée “, conclut-il.

François Boucq, ” Bouncer – t. 11 : L’échine du dragon “, éditions Glénat, 80 pages, 18 euros

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