Le verre se révèle

© PG/ B. GUGGISBERG /SCHIEPERS GALLERY / A. RAMSA

Au-delà des vases et des vitraux de l’artisanat traditionnel, le verre s’est imposé dans certains pays comme un des matériaux privilégiés de l’art contemporain. Rencontre avec Sue Schiepers qui a ouvert la première et – pour l’instant – unique galerie spécialisée en Belgique.

Comme le montre l’alliance récente entre ArtPrice, leader mondial de l’information dans le secteur artistique, et Artron, son homologue chinois, le marché de l’art n’en finit pas de se globaliser. Dans ce contexte ultra-mondialisé sans cesse en recherche de nouveautés, on ne peut qu’être étonné de découvrir des aspects encore ignorés de la création actuelle. Ainsi le verre, très populaire dans les musées et les foires d’art contemporain aux Etats-Unis, reste confidentiel dans nos contrées. A l’occasion d’une nouvelle exposition dans sa galerie à Hasselt consacrée au contemporary glass, nous avons interrogé l’une des seules spécialistes belges à propos des subtilités esthétiques et des débouchés commerciaux de cette matière à la fois familière et riche en potentiel.

Même s’il y a des acheteurs belges, la plupart de mes clients viennent des Pays-Bas, d’Allemagne et de France. ” Sue Schiepers

Pourquoi se cantonner au verre ? Face au décloisonnement des techniques et des supports propre à l’art contemporain, le choix d’une spécialisation peut sembler atypique. A cette question, la galeriste Sue Schiepers convoque immédiatement les couleurs translucides et brillantes du matériau qui s’anime au contact de la lumière. Une qualité qui, selon elle, s’accorde bien avec nos habitats contemporains et leurs grandes fenêtres. ” Vous ne pouvez pas exposer un Rubens à la lumière directe alors qu’une oeuvre en verre ne craindra pas le soleil “, argumente-t-elle. Autre avantage, contrairement aux tableaux, les sculptures verrières s’exposent également à l’extérieur, dans les parcs et jardins.

Sue Schiepers
Sue Schiepers© PG/ SCHIEPERS GALLERY

Le pari d’une spécialité

Loin de revendiquer une esthétique particulière, Sue Schiepers vante surtout l’hétérogénéité de cette matière, capable encore aujourd’hui de surprendre aussi bien dans ses formes que dans sa texture. Mais dans l’amour de notre interlocutrice pour le glass art, il y a sans doute aussi une forme de prosélytisme. Malgré quelques artistes qui le travaillent et des collectionneurs qui en ont fait leur spécialité, le verre est assez méconnu du public en Belgique. Un désintérêt que Sue Schiepers interprète comme une formidable opportunité. ” Je compare souvent le marché de l’art contemporain sur verre avec celui de la photographie d’art qui était encore sous-représenté il y a quelques années en Belgique et dont le marché s’est beaucoup développé avec l’ouverture d’un certain nombre de galeries spécialisées. ”

Offrir de la visibilité à un médium méconnu, c’était d’ailleurs le pari même de la galerie qu’elle a créée il y a deux ans à Hasselt. Après un cursus universitaire en histoire de l’art complété par un master sur le business de l’art à Manchester et un MBA à Anvers, la jeune femme s’est occupée pendant six ans du montage d’expositions pour le Forum des Arts Würth à Turnhout. Son rôle de curatrice lui a permis non seulement de côtoyer quelques grands artistes contemporains tels que Christo & Jeanne-Claude, François Morellet ou Stephan Balkenhol mais surtout de développer une vraie fascination pour le verre à travers l’organisation d’expos thématiques.

Une stratégie sans frontières

Décidée à convertir sa passion en projet entrepreneurial, Sue Schiepers s’est heurtée au climat de crise ambiante qui plane sur le marché de l’art depuis 2008. ” Les gens me disaient que ce n’était pas le moment, mais ce n’est jamais le moment “, proteste la quadragénaire qui a conjuré les prédictions négatives en misant dès le début sur un positionnement international. En termes de localisation d’abord. Le choix d’Hasselt, qui peut paraître surprenant, est en réalité lié à une stratégie transfrontalière. ” Même s’il y a des acheteurs belges, la plupart de mes clients viennent des Pays-Bas, d’Allemagne et de France “, commente-elle. En installant sa galerie dans l’Euregio Meuse-Rhin, une zone de coopération interrégionale et transnationale au coeur de l’Union européenne, la jeune entrepreneuse a joué la carte d’une certaine dynamique géographique. Même volonté d’ouverture concernant sa sélection d’artistes. ” Je ne dis pas que nous n’avons pas de bons artistes en Belgique mais il est très important d’avoir des pointures internationales pour attirer les grands collectionneurs “, explique la galeriste qui souligne le gage de qualité que constitue généralement aux yeux des connaisseurs une programmation artistique cosmopolite.

Le verre se révèle
© PG/ SCHIEPERS GALLERY

Dès la première année, Sue Schiepers réalise un coup de maître en exposant les oeuvres de Carol Milne, une artiste canado-américaine très réputée dans le milieu pour ses impressionnants ” tricots de verre ” dont la réalisation réunit un ensemble de techniques complexes. Ce solo show, le premier de cette artiste en Europe, se révèle un succès commercial pour la jeune galerie. ” Les gens me demandent souvent quand je vais réorganiser une exposition avec elle “, commente Sue Schiepers qui a su depuis offrir à ses visiteurs d’autres noms prestigieux. Les trois expositions prévues en 2019 en sont d’ailleurs une bonne illustration. La première qui s’est ouverte ce 2 février (jusqu’au 20 avril) nous donne l’occasion de faire connaissance avec l’univers du couple helvético-américain, Philip Baldwin et Monica Guggisberg, dont les oeuvres sont montrées et primées dans de nombreux pays et dont la récente exposition à la cathédrale de Canterbury au Royaume-Uni a été un succès médiatique. La deuxième sera consacrée à Kait Rhoads, une artiste basée à Seattle qui présente pour la première fois ses créations en Europe, tandis que la troisième mettra à l’honneur Christine Vanoppen et Wouter Bolangier, deux créateurs belges aux talents confirmés.

Parmi tous les artistes représentés par la galerie de Sue Schiepers, une part non négligeable vient des Etats-Unis ou y a déjà exposé. C’est que là-bas, l’engouement pour le glass art ne date pas d’hier. Dans les années 1960-1970, la naissance du Studio Glass movement a donné une nouvelle impulsion à ce matériau en le sortant des usines grâce à de nouvelles techniques utilisables dans de simples ateliers. Des fondations, des écoles et des communautés artistiques se sont alors développées sur tout le territoire autour de créateurs comme Harvey Littleton, Lino Tagliapietra, Marvin Lipofsky ou encore Dale Chihuly, artiste contemporain et homme d’affaires à la Jeff Koons, dont les oeuvres exposées dans le monde entier font parfois scandale. Aujourd’hui, les musées et les revues spécialisées continuent d’entretenir le goût des Américains pour cet art dont ils apprécient l’aspect coloré et ludique. ” L’ american way of life cultive une mentalité joyeuse, excentrique et extravertie qui correspond bien à la nature du verre “, analyse Sue Schiepers, qui souligne que cette popularité se reflète sur les prix affichés dans les galeries des Etats-Unis, souvent plus élevés qu’en Europe.

C’est à moi de transmettre la compréhension de cette matière à mes visiteurs, pour leur donner envie un jour d’acheter une pièce qui leur plaise.

Chercher les chefs-d’oeuvre

Américains ou pas, faire venir des artistes renommés, ou simplement de qualité, n’est sans doute pas toujours aisé, surtout quand on dirige une galerie encore récente. Sue Schiepers n’est pourtant pas du genre à se décourager. Bien que positionnée sur un segment spécifique, la galeriste sait très bien où trouver de nouveaux talents. Rien ne sert par exemple selon elle de chercher à débusquer la jeunesse à tout prix. ” La plupart des bons artistes sur verre ont plus de 35 ans “, indique-t-elle. En effet, à la différence de la peinture qui ne requiert qu’une toile, quelques tubes de couleur et un pinceau, le verre demande pas mal d’équipements et une certaine maîtrise. ” Ça ne s’apprend pas en un an “, fait remarquer joyeusement Sue Schiepers qui souligne la diversité des températures à respecter et la complexité de certains processus de refroidissement qui empêchent le mélange de couleurs. Très peu d’écoles proposent en Belgique un véritable cursus autour de ces techniques. A Malines, l’Ika ( Instituut voor kunst en ambacht) a néanmoins acquis une bonne réputation auprès des professionnels grâce à une formation en horaire décalé qui accueille principalement des étudiants belges et néerlandais. Beaucoup d’apprentis verriers choisissent cependant d’apprendre en exerçant la fonction d’assistant dans l’atelier d’un autre artiste.

Le verre se révèle
© PG/ SCHIEPERS GALLERY

Que l’on soit artiste, collectionneur ou galeriste, il est vrai que l’art sur verre est un petit monde où les gens finissent par se connaître rapidement. Sue Schiepers a elle-même bénéficié du bouche à oreille et profite de cette exiguïté pour contacter directement les personnes qui l’intéressent. Usant rarement des mails qu’elle juge impersonnels, elle n’hésite pas à se déplacer pour parler aux têtes d’affiche des grands musées ou pour visiter l’atelier d’un artiste qu’on lui a recommandé. Même le duo déjà réputé Baldwin et Guggisberg, qu’elle a approché grâce à l’entremise de l’artiste néerlandais Peter Bremers, a eu droit à une visite. ” C’est très important de voir comment chaque artiste travaille, insiste-t-elle, surtout si voulez pouvoir ensuite expliquer leur démarche aux clients potentiels. ”

Sue Schiepers prend son rôle de pédagogue très à coeur. ” Le verre en Belgique n’est pas très connu et c’est à moi de transmettre la compréhension de cette matière à mes visiteurs pour leur donner envie un jour d’acheter une pièce qui leur plaise. ” Attentive et patiente, la galeriste l’est jusqu’au bout. Aux acheteurs indécis, elle propose souvent de placer l’oeuvre chez eux quelques jours afin qu’ils se familiarisent avec elle. ” S’ils sont satisfaits, j’envoie la facture, sinon je reviens la chercher. ” En bonne commerçante, elle considère que ses clients ne doivent pas regretter leurs acquisitions. D’autant que les montants sont relativement élevés, comme elle le reconnaît elle-même. A titre d’exemple, les oeuvres présentées dans l’expo qu’elle organise actuellement sont affichées entre 5.000 et 40.000 euros, avec un rapport entre les prix et certains formats qui peut dérouter. Sue Schiepers n’y voit cependant rien d’extravagant. Les sommes sont justifiées à la fois par la réputation des artistes et par le travail de recherche derrière les oeuvres.

Le verre se révèle
© PG/ SCHIEPERS GALLERY

Petit univers

Déterminée à convertir le public belge aux charmes du verre contemporain, Sue Schiepers n’est pas pour autant pressée de s’agrandir. ” J’essaie de garder des relations personnelles avec chacun de mes interlocuteurs “, commente-elle. Seule à bord, la galeriste tient à accueillir elle-même ses visiteurs à chaque événement. Preuve du succès de sa méthode, elle a été contactée par plusieurs musées à l’étranger pour monter des expositions en tant que commissaire. Un projet à Tel-Aviv fin 2019, un autre aux Etats-Unis l’année prochaine et même une collaboration pour un centre culturel belge. Transparent ou non, le verre a visiblement encore beaucoup de choses à nous montrer.

Schiepers Gallery / Contemporary Glass, 30 Dokter Willemsstraat, 3500 Hasselt. www.schiepersgallery.com. Ouvert pendant les expositions du jeudi au samedi, de 14 h à 18 h.

Le verre se révèle
© PG/ SCHIEPERS GALLERY

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