Sous l’apparat d’un foisonnement romanesque flamboyant, l’Italien Sandro Veronesi chante les vertus du stoïcisme: supporte et abstiens-toi.
A 14 ans, Marco Carrera est beaucoup plus petit que les garçons de son âge, sa mère le surnomme le colibri. De son enfance dans les années 1960 jusqu’à ses derniers jours à l’orée 2030, comme l’oiseau, il mettra toute son énergie à demeurer immobile. Avec une sorte de fatalisme zen, on l’entend presque accueillir les drames les plus poi-gnants d’un “allons bon” cher aux héros d’Haruki Murakami. “On comprend sans mal que le mouvement obéit à un motif alors qu’il est plus difficile de saisir qu’il en va de même pour l’immobilité.” Contre une forme d’aliénation à la post-modernité, dans une époque où tout le monde veut le changement, Carrera attend d’être rattrapé par un destin exceptionnel. Car il revient à notre héros placide d’élever l’homme du futur, lequel sera une femme: “nouvelle humanité capable de survivre à la ruine dont l’ancienne est responsable”. On n’a encore rien dit du destin d’Irène, soeur ombrageuse, que déjà, à Rome, l’ophtalmologue Marco Carrera reçoit la visite du psychanalyste de sa femme venu le mettre en garde contre un grave danger… Après Caos Calmo (Chaos Calme) en 2006, Sandro Veronesi remportait l’année dernière pour la seconde fois le prix Strega, le “Goncourt” italien, avec Il colibri. Virtuose, le style télescope les formes (correspondance, listes, dialogues) et les époques, embrasse les affinités prodi- gieuses et fait résonner la musique du hasard croisée jadis chez Paul Auster. Pour dire les querelles familiales, la perte d’un enfant ou d’un parent, l’Italien enchante un roman hors norme où rien n’arrive par hasard, surtout pas le fait de se tenir coi face à l’agitation incessante qui bouleverse les dominos de l’existence. Remarquable.
Sandro Veronesi, Le Colibri, éditions Grasset, 384 pages, 22 euros.