Paul Jorion

Le risque lié au réchauffement climatique en Bourse

Se soucier de la survie du genre humain est une préoccupation qui concerne chacun de nous et pas seulement une partie de l’humanité.

Aux Etats-Unis, les démocrates aimeraient faire adopter une mesure qui obligerait les entreprises cotées en Bourse à déclarer à la fois le risque qu’elles présentent au reste du monde en étant impliquées dans des activités produisant des gaz à effet de serre, et le risque auquel elles sont exposées du fait du réchauffement climatique. Les républicains s’y opposent: la Securities and Exchange Commission, le régulateur des marchés boursiers, n’a pas à “faire de la politique”, affirment-ils.

On comprend ce que “faire de la politique” signifie dans ce contexte: faire prévaloir des considérations partisanes. Mais, me direz-vous, se soucier de la survie du genre humain est une préoccupation qui concerne chacun de nous et pas seulement une partie de l’humanité. Sans doute, mais si les républicains s’y opposent, la preuve n’est-elle pas faite qu’il s’agit d’une opinion liée à un certain parti? Quelles que soient les vues des uns et des autres, les deux types de risque – émettre davantage de gaz de serre et subir davantage de catastrophes naturelles, comme des sécheresses, des incendies ou des inondations – ne disparaîtront pas pour autant.

Se soucier de la survie du genre humain est une préoccupation qui concerne chacun de nous et pas seulement une partie de l’humanité.

Les compagnies d’assurance permettent aux sociétés humaines de mutualiser le risque. Jouant sur le fait statistique qu’en temps ordinaire, tous les sinistres ne se produisent pas en même temps, il est possible de s’assurer pour un montant minime par rapport au coût de l’accident redouté. Un calcul actuariel fondé sur la fréquence des sinistres, combiné à leur montant moyen, permet à l’assureur de calculer la prime réclamée.

Ces assureurs n’étant pas à l’abri de remboursements inhabituellement importants, ils s’assurent eux-mêmes auprès de réassureurs pour des risques dépassant en taille les réserves qu’ils ont constituées. Enfin, assureurs et réassureurs se délestent d’une partie du risque qu’ils courent en le redistribuant parmi les investisseurs via des catastrophe bonds ou cats: des obligations “catastrophe” qui rémunèrent par un “coupon” élevé (5,5%, par exemple, pour ceux émis par le National Flood Insurance Program américain), en échange du risque de non- remboursement si une catastrophe de tel ou tel type devait se produire.

Le principe d’une telle titrisation du risque a été surnommé en France “veuve de Carpentras”: l’idée qu’une multitude de petits investisseurs disperseront le risque dans la population tout entière. La crise des subprimes de 2008 a cependant mis en évidence que le principe de la “veuve de Carpentras” n’est pas fiable et ceci, paradoxalement, en raison du travail des agences de notation. Celles-ci cherchent en effet à évaluer au plus près le risque objectif des différents produits de dette.

Or, que s’était-il passé en 2008? Les établissements financiers n’avaient pas revendu aux veuves de Carpentras les titres adossés à des prêts subprimes (asset-backed securities) dont le risque semblait minime pour un rendement élevé: elles les avaient conservés dans leur propre portefeuille. On se souvient de ce qui arriva: le bail-out, le sauvetage de la finance, aux frais de la communauté. En résumé donc: les contribuables s’assurent auprès des assureurs, ceux-ci auprès des réassureurs, qui redistribuent eux-mêmes le risque parmi les gros investisseurs, lesquels seront repêchés, en cas de très gros pépin, par… les contribuables. La boucle serait bouclée!

Que signifie alors ce refus républicain de “faire de la politique” que constituerait l’obligation pour les entreprises de divulguer le risque qu’elles incarnent et auquel elles sont exposées du fait du réchauffement climatique? Confirmer une fois encore un grand principe implicite: privatisation des profits et mutualisation des pertes.

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