Le putsch de mon père

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Une fois le quatrième tome de L’Arabe du futur refermé, on sent directement que l’on est arrivé à un moment crucial de l’histoire du jeune Riad Sattouf. Le climax vers lequel nous amène l’auteur depuis le début de cette autobiographie dessinée commencée voici plus de cinq ans a été mûri et réfléchi. ” Le secret familial de ce volume 4, qui est le centre de l’histoire de ma famille, est un petit peu l’étoile noire autour de laquelle gravite la série depuis le début, explique Riad Sattouf. C’était évidemment pour arriver à cet événement que j’ai repris l’histoire en la commençant dans les années 1970. ” Nous ne révélerons pas l’événement dont parle Sattouf, ” coup d’Etat dans la famille “, et sur lequel se clôt ce chapitre consacré aux années 1987 à 1992, tout simplement pour conserver le suspense.

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Pour celles et ceux qui découvriront cette oeuvre, Riad Sattouf revient dans cette excellente série sur son enfance partagée entre la France maternelle et le Proche-Orient cher à son père syrien. Professeur d’histoire, Abdel Sattouf croit dur comme fer en l’esprit du panarabisme de Khadafi. Pour lui, l’avenir du monde arabe se jouera sous la coupe d’un dirigeant autoritaire et juste. Il emmène sa famille en Syrie, aux premières heures du putsch alaouite, et confronte femme et enfants à une vie qui n’a rien du rêve. Les femmes restent à la maison et les rejetons suivent un enseignement à la discipline de fer, cultivant un sentiment national aveugle. Dans ce nouveau chapitre, la famille est éclatée. Riad et ses frères sont retournés en Bretagne avec leur mère tandis que leur père enseigne dans une université saoudienne. Les tensions parentales s’approfondissent, les délires paternels épuisent et la fascination du jeune adolescent se brise. L’art de Sattouf est de garder dans sa narration ce regard d’enfant, point de vue innocent mais toujours pertinent qu’il travaille dans nombre de ses créations comme Les cahiers d’Esther, quotidien d’une fillette de la banlieue parisienne. Dans L’Arabe du futur, il marie cette fausse naïveté avec la grande histoire. L’emprise de celle-ci sur les péripéties de sa famille mettent en lumière les défaites paternelles, sans jugement mais avec lucidité. ” Mon père était un prof d’histoire d’extrême droite, un moderniste qui voulait faire progresser le monde arabe mais il n’était pas du tout pour la démocratie et était pour la peine de mort. Sa vraie idole était Saddam Hussein. ” C’est l’histoire d’une génération étouffée des milieux pauvres voyant dans un autoritarisme laïc et moderniste une voie d’émancipation. En face, le sunnisme politique s’affirme. Le réveil est difficile. ” Toute son analyse reposait sur le fait que personne ne chasserait Saddam Hussein du pouvoir. Et quand il a été renversé par la coalition internationale. Il l’a pris comme une défaite personnelle. ”

Exutoire

Comment être ado dans cette ambiance ? ” Je voulais raconter ce moment de bascule aussi avec cette histoire de l’identité. Comment faire avec un père qui déteste les femmes et un grand-père maternel qui est obsédé par les filles ? ” Cette quête personnelle d’une identité mixte assumée, l’auteur la mène par le dessin, véritable refuge durant ses jeunes années. Aujourd’hui adulte, la bande dessinée est une sorte d’exutoire, même si elle ne s’intellectualise pas. ” Je voulais emmener le lecteur avec moi dans cette histoire parce que dans la vie réelle je n’avais jamais réussi à la partager avec quiconque, explique l’auteur. Je crois qu’il y avait une grande part d’inconscient dans ce processus, mais en tout cas je savais où aller. ” L’Arabe du futur contient tout à la fois : le romanesque de la fresque d’une fin de siècle, l’humour d’un récit adolescent et l’émotion de la saga familiale.

Riad Sattouf, ” L’Arabe du Futur – t. 4 : 1987-1992 “, éditions Allary, 288 pages, 25, 90 euros

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