Le populisme des dividendes

Christophe De Caevel

“Si tu n’augmentes pas les salaires, je gèle les dividendes.” Le monde politique belge semble, hélas, embarqué dans une nouvelle querelle de cour de récréation. Chacun flatte son camp et tant pis pour les raccourcis. Lier les deux sujets a-t-il du sens? On peut débattre à l’infini du sens respectif du salaire qui récompense un travail fourni et du dividende qui est une fraction du bénéfice réalisé. Mais la fameuse loi de 1996 sur la compétitivité, celle qui fixe les règles de la modération salariale, dresse bel et bien un lien entre salaires et dividendes (ainsi qu’avec les loyers, les allocations sociales et les revenus des professions libérales). Cette loi autorise en effet, en son article 14, le gouvernement à prendre “des mesures de modération équivalente” (à celles prises sur les salaires) pour ces autres types de revenus. Première remarque, “une modération équivalente”, a priori, cela ne signifie pas l’interdiction de versement de dividendes mais une norme de croissance similaire à celle des salaires, en l’occurrence 3,2%.

Les dividendes sont l’indispensable corollaire à toute tentative de mobiliser l’épargne en faveur d’investissements directs dans l’économie.

Plus fondamentalement, les dividendes ont une fonction structurante, que nos dirigeants devraient conserver bien à l’esprit en cette période de plans de relance. D’une part, ils contribuent à une certaine stabilité: plus le dividende est élevé, plus l’actionnaire a intérêt à conserver l’action au lieu de chercher à réaliser une plus-value (non taxée, au contraire du dividende) et plus on donne le signal que l’on préfère les investisseurs à long terme aux spéculateurs. D’autre part, les dividendes sont l’indispensable corollaire à toute tentative de mobiliser l’épargne privée en faveur d’investissements directs dans l’économie. Ce n’est évidemment pas en menaçant de geler ces versements que l’on va inciter les Belges à se montrer plus audacieux dans leurs placements, comme le préconisent pourtant nos multiples plans de relance. L’an dernier, quelque 25 milliards d’euros supplémentaires sont venus garnir nos comptes d’épargne et comptes à vue. C’est plus que suffisant pour financer tous les plans de relance de tous les niveaux de pouvoir de notre pays. A condition de mobiliser intelligemment ses moyens.

Parallèlement, en 2020, les Belges ont aussi investi 6,2 milliards d’euros en actions de sociétés cotées, nous apprend la Banque nationale. Ils espèrent logiquement en retirer des dividendes. Parmi ces investisseurs, il y a sans doute quelques millionnaires. Mais il y a surtout des milliers de représentants de la classe moyenne qui attendent un complément de leur pension, de leur salaire ou de leur revenu d’indépendant. Ils ne peuvent décemment constituer la cible d’une querelle politique.

Le problème n’est évidemment pas les dividendes en tant que tels, mais peut-être leur répartition inégale entre les individus. Notez, c’est vrai aussi dans les salaires. L’Echo a publié récemment le palmarès des patrons du Bel20. Il révèle des écarts salariaux pouvant aller jusqu’à 126 (UCB) ou 108 (Solvay) entre les collaborateurs les mieux et les moins bien payés d’une même entreprise. On peut avancer toutes les explications, distinguer les parts fixes et variables, le brut et le net, il n’en demeure pas moins que l’idée qu’un homme ou une femme, au sein d’une même entreprise, puisse valoir plus de 100 fois certains de ses collègues heurte notre sens de l’équité. Accord interprofessionnel ou pas, gel des dividendes ou pas, il en faudra des augmentations de 3,2% des plus petites rémunérations pour ramener cette tension salariale à des proportions plus raisonnables.

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