Le mythe MW

Christophe Heynen " Je suis un entrepreneur. Ce titre de Master of Wine est une option de plus. " © PHOTOS PG

Au bout de cinq ans de travail acharné, Christophe Heynen a rejoint le cercle très fermé des ” Masters of Wine “. C’est le deuxième Belge à atteindre le graal mais le premier francophone. Il peut désormais accoler les initiales MW à son nom. Mais qu’est-ce donc qu’un ” Master of Wine ” ?

A l’instar de Gainsbourg qui avait immortalisé son amour pour Brigitte Bardot dans Initials BB, nous allons aujourd’hui vous chanter les louanges des initiales MW. Accolées derrière un nom, elles signifient que son porteur est Master of Wine. Ils sont 408 dans le monde, soit moins que les hommes et femmes envoyés dans l’espace. S’ils sont si peu nombreux, c’est que le graal est réservé à une élite. Il ne faut être ni riche ni bien né mais il faut TOUT savoir sur le vin ou, à tout le moins, y tendre. L’origine de cette certification remonte à 1953. Elle témoigne de la volonté des Britanniques, dans l’après-guerre, de professionnaliser davantage le business du vin, un domaine où ils excellent pourtant depuis des siècles. En 1953, la Wine and Spirit Association décide de certifier les meilleurs éléments. Elle s’associe avec la Vintner’s Company, l’une des 12 grandes corporations londoniennes. Spécialisée dans le business du vin, elle a reçu ses lettres de créance en 1363 ! En 1955, les six premiers Masters of Wine décident de créer The Institute of Masters of Wine qui, depuis, perpétue la certification. Non seulement elle récompense une excellence unique mais, en outre, elle engage les porteurs des initiales MW à suivre un code de conduite qui impose la probité, l’intégrité, le respect et l’honneur et qui invite le Master of Wine à partager son savoir dès que possible.

Se lancer dans l’aventure ” Master of Wine ” fut, pour lui, le défi de la quarantaine.

Un deuxième Belge

Depuis le 28 août, la Belgique compte un deuxième MW. Après le très discret Jan De Clercq, un importateur caviste de Maldegem en 1998, Christophe Heynen a en effet terminé brillamment la certification. Diplômé de l’école hôtelière de Lausanne, le Liégeois est depuis 2001 le propriétaire de Gustoworld, l’une des rares maisons belges qui disposent d’une distribution nationale. Basée à Alleur, Gustoworld est spécialisée dans l’importation et la distribution de vins du monde (lisez ” non français “). Elle est aussi présente au Luxembourg et en France où elle dispose d’une filiale qui alimente 850 cavistes. Avec le temps, Christophe Heynen est devenu un entrepreneur avisé qui dirige six sociétés liées au monde du vin. Se lancer dans l’aventure Master of Wine fut pour lui le défi de la quarantaine. ” J’importe depuis longtemps en Belgique les vins espagnols de Norrel Robertson, MW écossais devenu vigneron. Un jour, nous avons parlé de la certification. Il était persuadé qu’avec mon profil international et ma parfaite connaissance de l’anglais, je devais la faire. Sur le moment, j’ai balayé l’idée. Je ne m’en croyais pas capable. Quand j’ai créé Gustoworld, j’étais un simple amateur de vin, je me suis formé sur le tas et entouré de gens compétents. Mais l’idée a percolé et ce fut ma crise de la quarantaine. Rétrospectivement, c’était une idée de dingue. L’inconscience de l’entrepreneur, sans doute. ”

Un marathon qui dure des années

Avant de pouvoir s’inscrire à l’Institut, il faut montrer patte blanche. D’une part, avoir une lettre de référence signée d’un Master of Wine. Dans le cas de Christophe, ce fut évidemment Norrel Robertson mais aussi Pedro Ballesteros et Fiona Morrisson, nos deux MW d’adoption. Le premier travaille à la Commission européenne, la deuxième est l’épouse de Jacques Thienpont, l’heureux propriétaire belge, entre autres, du Château Le Pin, un pomerol aussi réputé que rare. D’autre part, il faut pouvoir exciper d’années d’expérience dans le domaine du vin en tant qu’acheteur, journaliste, sommelier, oenologue, vigneron, etc. Enfin, il faut avoir un niveau qui correspond au Diploma du WSET, une organisation qui éduque au vin et forme à la dégustation. ” Je n’avais pas officiellement ce niveau, se souvient Christophe Heynen. J’ai obtenu du WSET de directement passer les examens du niveau 3 sans suivre les cours afin de réussir le niveau 4 ou Diploma l’année suivante. Avec tout ça en poche, il faut encore passer l’examen d’entrée aux Masters of Wine. Nous fûmes 2.000, seuls 200 ont réussi. De la théorie et de la dégustation. Ils savent que le candidat va ramer mais ce qu’ils évaluent, c’est sa capacité de réflexion et son ouverture d’esprit. Après, on est lancé. Il faut comprendre qu’il n’y a aucun cours ex cathedra. Il faut se débrouiller tout seul pour tout savoir et tout goûter. Evidemment, c’est impossible. C’est un marathon que l’on doit disputer au sprint. Chaque chose nouvelle apprise en ouvre une autre et cela ne semble pas avoir de fin. Tout étudiant MW passe par une période de dépression face à l’immensité de la tâche. Au bout de la première année, il faut réussir un mini-examen : de la théorie et 12 vins à déguster à l’aveugle. Là aussi, ils savent que tu vas ramer mais ils cherchent à savoir si tu as compris le système et la manière de s’exprimer et si tu es sur la bonne voie ; 50 % des candidats vont échouer à ce stade et ne pas se représenter. ”

Trente-six vins à analyser

A partir de là, le candidat dispose de trois essais pour réussir la théorie finale (15 % de réussite) et la dernière dégustation (7 %). L’examen théorique comporte cinq parties qui durent trois heures chacune : viticulture, oenologie, commerce et histoire, contrôle et qualité et, enfin, les questions libres. Mais ce n’est pas tout de tout savoir, il faut pouvoir expliciter les réponses avec des exemples pratiques personnels.

” La partie Commerce ne m’a pas trop posé de problèmes puisque c’est mon domaine, raconte Christophe. Le volet Contrôle et qualité porte, entre autres, sur l’embouteillage ou la stabilité des vins. Pas trop chinois… Par contre, j’ai vraiment eu du mal avec Viticulture et OEnologie. J’ai d’ailleurs repris des cours de chimie pour être à niveau et bien comprendre les subtilités techniques. Par exemple, s’ils vous demandent quelles sont les maladies du bois de la vigne, il faut les identifier toutes ainsi que les remèdes utilisés. Mais, surtout, il faut donner au minimum six exemples différents, c’est-à-dire qui ne concernent pas le même pays ou la même couleur de vin. Ce n’est pas simple et j’ai eu la chance de profiter de mes voyages pour Gustoworld pour interroger les responsables de culture et les oenologues. Pas si simple partout car il règne quand même une certaine omerta dans le monde du vin et l’on ne vous confie pas si facilement les secrets de fabrication ou les techniques développées. Quant aux questions libres, elles sont du genre : est-ce que le vin nature est meilleur pour la santé ? Pas question d’être mièvre. Il faut défendre une position et expliquer pourquoi. ”

Christophe Heynen
Christophe Heynen ” Avec ce titre, je suis encore davantage pris au sérieux. Des vins compliqués à obtenir deviennent soudainement accessibles.© PHOTOS PG

Pour réussir, Christophe Heynen a étudié tous les jours de 5 h à 7 h du matin pendant quatre ans. Sans compter les audiolivres et interviews écoutés dès qu’il montait dans sa voiture. Avec à la clé des milliers d’heures de dégustation. Contrairement au concours du meilleur sommelier du monde, le Master of Wine n’est ni émotionnel ni sensuel. On lui demande une dégustation analytique.

Connaître tout le spectre

” Il faut déguster comme un détective et écrire comme un avocat, sourit-il. L’examen final comporte 36 vins à découvrir : 12 rouges, 12 blancs et 12 autres qu’ils soient rosés, pétillants ou mutés. Il faut répondre à des questions précises sur la composition, le potentiel de garde, l’origine, l’acidité, les tanins, les méthodes culturales et de vinification, la densité, le niveau qualitatif, le prix, etc. Ils font déguster des vins de tous les niveaux. Tout cela demande un entraînement de long cours. Au bout d’un an, j’ai arrêté les dégustations à l’aveugle pour me concentrer sur les dégustations croisées. Je me trompais trop : 6/12 ou 7/12, c’est trop peu. Croiser permet de trouver les différences afin de ne plus confondre les vins. Les blancs peu aromatiques comme les cépages italiens, ce n’est pas si simple de les différencier. Tu dois connaître tout le spectre. Un Master of Wine n’est pas une bête de cirque comme De Funès dans L’aile ou la cuisse mais un expert du vin qui sait analyser. ”

Christophe Heynen est devenu une vraie machine de guerre qui, pendant cinq ans, n’a fait qu’analyser les vins au point de perdre le plaisir de les boire.

A l’arrivée, Christophe Heynen est devenu une vraie machine de guerre qui, pendant cinq ans, n’a fait qu’analyser les vins au point de perdre le plaisir de les boire. Il lui a fallu quelques semaines avant d’avoir envie d’ouvrir une bouteille. L’examen en poche, il lui fallait encore écrire une thèse. Son sujet concernait le crowdfunding dans le cadre de la création et du développement de vignobles et de chais. Une thèse qu’il a réussie en deux ans après avoir dû la rendre plus digeste au niveau technique. Et maintenant, que faire de ce titre prestigieux ? Devenir un consultant recherché comme le Néerlandais Frank Smulders ou la journaliste allemande Caro Maurer ?

” Je suis un entrepreneur, conclut Christophe Heynen. Ce titre de Master of Wine est une option de plus. Honnêtement, je n’ai pas besoin de ça, mes affaires marchent très bien déjà. Mais évidemment, cela va aider mon business. J’ai déjà reçu des offres de service. Je suis encore davantage pris au sérieux. Des vins compliqués à obtenir deviennent soudainement accessibles. Je fais déjà de la consultance mais à ce stade de ma vie, avec mes enfants, je n’ai pas l’intention de la développer outre mesure, mais elle va certainement prendre un tour différent. Je vais continuer à affiner mes connaissances et les partager. Ce qui est sûr, c’est que je souhaite garder mon indépendance. Parler de la Belgique en tant que Master of Wine est un devoir mais sans pression de qui que ce soit et sans esprit mercantile. Pour qu’on arrête de se moquer de nous à l’étranger. Il y a encore beaucoup à faire au niveau de la professionnalisation mais je suis persuadé que dans une génération, nous aurons une viticulture de qualité internationale. Enfin, j’aimerais aussi, sans aucune agressivité, intervenir de temps en temps dans le débat public. Pour recadrer les choses quand je lis des bêtises dans la presse. Et j’en lis beaucoup… ”

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