“Private banking” – Le monde discret des grands patrimoines
Avec la débâcle d’Archegos, les discrets “family offices” se sont retrouvés au coeur de l’actualité. Loin de cette image spéculative, l’essentiel de ces structures veille prudemment sur le patrimoine des familles très fortunées.
Au début du printemps, la débâcle d’Archegos Capital Management a secoué les marchés financiers. Ce family office américain voué à la gestion de la fortune de l’homme d’affaires Bill Hwang prenait des positions extrêmement risquées et a vu ses 20 milliards de dollars partis en fumée en l’espace d’à peine deux jours. La liquidation de ses positions a plombé des secteurs entiers en Bourse. Dans le secteur des médias américains, ViacomCBS et Discovery ont perdu près de la moitié de leur valeur en une semaine. Les géants technologiques chinois Baidu (-18%) et Tencent (-33%) font aussi partie des principales victimes. La liquidation a aussi causé d’importantes pertes aux banques comme Credit Suisse (5 milliards de dollars), Morgan Stanley (1 milliard), UBS (774 millions) ou le groupe financier japonais Nomura (2,9 milliards).
En Belgique, d’un point de vue légal, un “family office” est avant tout une appellation commerciale.
Aux Etats-Unis, un concept différent
Faut-il en conclure qu’un family office est un instrument extrêmement risqué? Mathieu Saudoyer, porte-parole de la FSMA, souligne avant tout que ce concept est différent aux Etats-Unis où “le statut de family office existe en droit américain”. Ce statut est toutefois très souple. Comme ses confrères, Archegos était ainsi exempté des obligations de déclaration imposées par les autorités boursières américaines, à savoir la Securities and Exchange Commission (SEC) et la Commodity Futures Trading Commission (CFTC). Ces dispenses avaient été octroyées dans l’idée que les familles fortunées, gérant leur propre argent au sein des family offices, ne présentaient pas de risque pour les investisseurs individuels. Toutefois, le scandale Archegos pourrait remettre en cause ce statut favorable. Bill Hwang a en effet abusé de ces dispenses de déclarations pour prendre des positions extrêmement risquées dans quelques titres. Tout d’abord, il recourait massivement à des instruments dérivés lui permettant d’obtenir un effet de levier, c’est-à-dire d’investir bien plus qu’il ne possédait. Ensuite, il profitait de l’absence de déclaration pour prendre d’importantes positions dans différentes banques qui n’avaient ainsi pas conscience de l’extrême concentration des avoirs d’Archegos. La réputation de Bill Hwang a pu contribuer à les aveugler. L’ancien gérant de hedge funds était en effet considéré comme un investisseur hors pair. Selon l’agence Bloomberg, il disposait de 200 millions de dollars lors de la fondation d’Archegos en 2013. Avant sa chute, le family office valait plus de 20 milliards de dollars, c’est-à-dire une multiplication par 100 du capital en à peine huit ans.
Pas de réglementation allégée
“En Belgique, un family office ne constitue pas une structure réglementée, précise Mathieu Saudoyer. Ces termes sont parfois utilisés par certains types de sociétés de conseil pour tous les aspects de la gestion de fortune, y compris le conseil fiscal et juridique.”
D’un point de vue légal, un family office est donc avant tout une appellation commerciale en Belgique. Cela ne signifie toutefois pas qu’une entité se présentant comme telle n’est soumise à aucune réglementation.
Au contraire, elle devra respecter toutes les règles et disposer de tous les agréments liés aux activités réellement exercées. Un family office belge ne bénéficie donc pas d’une réglementation allégée. Toutefois, il peut être considéré comme un investisseur professionnel en raison de l’importance des capitaux et des connaissances des spécialistes en investissements.
Un investisseur professionnel bénéficie d’un niveau de protection réglementaire moindre, mais peut aussi par conséquent investir dans des produits plus sophistiqués/risqués, le plus courant étant le private equity, c’est-à-dire des investissements dans des entreprises qui ne sont pas cotées en Bourse. Le seuil d’entrée pour de tels investissement est généralement de 250.000 euros.
Traditionnellement, la véritable plus-value d’un family office ne se situe toutefois pas au niveau des services d’investissement, mais des autres services annexes. Pour l’Association française du family office (AFFO), “celui-ci organise et produit dans la durée un ensemble de conseils et de services pour l’harmonie et l’intérêt économique des familles dans une vision transgénérationnelle”. Elle rappelle que la notion même de ce service est née “au 19e siècle aux Etats-Unis en réponse aux besoins des familles qui déployaient des activités industrielles diversifiées et se trouvaient confrontées à la nécessité de constituer des équipes pour les assister dans la gestion de leur fortune”.
Chef d’orchestre des autres conseillers
Le family office est souvent qualifié d’intendant des familles fortunées. Son rôle est de superviser sur le long terme tous les aspects du patrimoine familial: biens immobiliers, entreprise familiale, portefeuille de titres, collection d’oeuvres d’art, etc. Il est un peu le chef d’orchestre de l’ensemble des autres conseillers/experts (comptable, avocat, fiscaliste, notaire, etc.). Son aide peut se révéler précieuse lors de certaines étapes cruciales comme la vente de l’entreprise familiale ou la transmission du patrimoine. En matière d’investissements, il sélectionne les meilleurs gestionnaires en fonction du profil de la famille. En France, les enquêtes d’AFFO montrent que la majorité des family offices ont un profil équilibré à risque modéré alors que les profils offensifs sont très rares (2%), bien loin de l’image véhiculée par Archegos. En résumé, un family officer est une personne de confiance dont les principales qualités, outre l’expertise professionnelle, sont généralement l’écoute et la discrétion.
Pour les très gros patrimoines
Ce type de structure s’adresse à ce qu’on appelle les ultra high net worth individuals, c’est-à-dire globalement les familles disposant d’un patrimoine d’au moins 30 millions de dollars (environ 25 millions d’euros). Selon Knight Frank, cela concerne un peu plus de 2.000 familles en Belgique et 500.000 dans le monde.
A noter qu’il existe encore une distinction parmi ces gestionnaires de patrimoine. Le multi- family office réunit une équipe de spécialistes s’adressant à plusieurs familles. Un mono- family office ne s’occupe par contre que d’une seule famille (extrêmement fortunée).
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