“Le marché s’est emballé, il n’y a plus aucune logique”

a lasne, on préserve les atouts de la commune malgré la pression immobilière. © photos: Debby Termonia

Demande qui explose, offre en berne, pression foncière qui s’accentue encore suite au Covid: un cocktail détonant qui fait tourner la tête à tout le marché immobilier de Lasne, La Hulpe, Rixensart et Waterloo. Résultat, les prix de ces communes situées aux portes de Bruxelles partent dans tous les sens.

Le panneau n’est pas resté vierge bien longtemps. Planté devant cette villa en brique rouge de 12 ares, dominant un jardin bosselé, mais avec une vue sur toute la vallée du Carpu à Genval, il a très vite vu un sticker “vendu” ceinturer l’affiche d’un demi-mètre carré qui y est accolée. Vingt-quatre heures tout au plus entre l’envoi au listing d’abonnés de cette agence et la première visite. “Cet exemple est une belle description de notre quotidien, lance Michel Dussart, agent immobilier à Waterloo. Il faut alors annuler les 25 rendez-vous déjà fixés. Nous vivons une période un peu folle. La demande est énorme. Le marché s’est complètement emballé. Il n’y a plus aucune logique dans les prix. Je n’ai jamais vu cela en 40 ans de carrière.”

Un bien estimé à 550.000 euros se vend parfois 50.000 à 100.000 euros plus cher que son prix réel.” Michel Dussart (Immo Dussart)

Une vente express qui ne fait que refléter la santé du marché immobilier à Lasne, La Hulpe, Rixensart et Waterloo ces derniers mois. Autant de communes situées dans la proche périphérie de Bruxelles et dont le marché était déjà particulièrement dynamique, tant au niveau des prix que de la demande. Et qui, Covid oblige, s’est envolé dans une nouvelle dimension suite aux envies d’ailleurs de bon nombre de locaux et de Bruxellois. Un questionnement sur la qualité de son habitat et de son environnement qui entraîne une multiplication des demandes. “Notre fichier de candidats acquéreurs ne cesse de se remplir, fait remarquer Grégory Schulte, cofondateur de l’agence immobilière Trevi Venturi. Quand nous rentrons un nouveau bien, nous le transmettons directement à nos abonnés. L’annonce n’est même plus publiée sur Immoweb. Notre métier d’agent immobilier est en train d’évoluer. Vu le contexte, il est relativement facile de vendre un bien. Nous devons donc davantage mettre en avant nos atouts de négociateurs. Faire comprendre que notre expertise permettra de vendre le bien plus cher que s’il était vendu par un particulier.”

Les atouts de ces communes, sorte de triangle d’or du Brabant wallon, sont bien connus. Ils se sont encore renforcés par les rêves persistants de villa avec jardin et cette volonté pour certains de “quitter Bruxelles à tout prix”. Même si, dans certaines communes, le côté verdoyant perd de sa superbe, asphyxié par d’inextricables problèmes de mobilité et une urbanisation intensive. “Nous assistons clairement à un effet Covid, lance Grégory Schulte. Je n’ai jamais vu cela en 27 ans. Il y a toujours eu un intérêt de la part des Bruxellois qui étaient attirés par l’idée de vivre dans une maison avec jardin tout en pouvant rejoindre le centre-ville assez rapidement via le train. Le marché immobilier situé le long de la ligne 161 Bruxelles-Namur fonctionne très bien. Cela s’est encore renforcé. Sans parler des habitants de la région qui souhaitent également déménager.”

Un marché à sec

Le problème, c’est qu’il n’y a pas beaucoup de maisons ou de villas qui sont mises en vente actuellement. Un déficit de l’offre qui bouleverse tout le marché. “Certains propriétaires sont inquiets suite au contexte économique et repoussent la mise en vente de leur bien, estime Roxane Notarpietro, notaire à Rixensart. Cela ralentit quelque peu le marché.” Et Michel Dussart de renchérir: “Il devient de plus compliqué de rentrer un bien en agence. Le marché est vraiment à sec. Le plus inquiétant, c’est que personne ne sait dire pendant combien de temps cette situation va perdurer”.

D’importants projets d’appartements devraient toutefois permettre de relancer le schéma classique en vigueur en Brabant wallon ces dernières années et favoriser le cycle des générations.

A savoir quitter sa villa pour rejoindre un appartement neuf situé à proximité de lieux de services. Et donc remettre des biens supplémentaires sur le marché, de quoi, d’ici quelques mois, relâcher quelque peu la pression. Les 130 appartements de la phase 3 des papeteries de Genval viennent par exemple d’être vendus. “Même si, dans ce cas, on retrouve environ deux tiers d’investisseurs”, précise Gregory Schulte. D’importants projets d’appartements sont également sur la table à La Hulpe alors que Lasne tente de résorber quelque peu son retard en la matière. “Mais la pression actuelle est moins forte chez nous, tempère l’échevine de l’Aménagement du territoire de Lasne, Julie Peeters-Cardon. Il reste encore des terrains à bâtir, de quoi digérer les besoins de nouveaux habitants. Mais les demandes de permis se concentrent pour le moment particulièrement sur des rénovations ou des extensions de villas.”

genval           A l'écart des affres de sa densification, la commune respire encore un peu.
genval A l’écart des affres de sa densification, la commune respire encore un peu.© photos: Debby Termonia

Ce contexte de raréfaction de l’offre se reflète bien évidemment sur les prix. Il ne faut pas être économiste pour appréhender ce phénomène. Reste que les proportions atteintes deviennent surprenantes. “On pensait ces dernières années être arrivés à un certain plafond en matière de prix, explique la notaire Roxane Notarpietro. Or, on constate qu’il n’en est rien.” Et Grégory Schulte d’ajouter: “Les estimations de bien que nous effectuons sont déjà des estimations hautes. Mais on constate qu’une fois que le bien est mis en vente, il est encore vendu 3 à 5% plus cher suite aux enchères entre candidats. Je me demande clairement où cela va s’arrêter”. Même constat chez Michel Dussart: “Il n’y a plus aucune logique dans les prix. Un bien estimé à 550.000 euros se vend parfois 50.000 à 100.000 euros plus cher que son prix réel. Ce n’est vraiment pas sain”. Reste à voir ce qu’il en sera de ces prix une fois que l’offre sera plus fournie et que le marché pourra se réguler quelque peu: resteront-ils dans ces standards élevés ou reviendront-ils dans des proportions plus réalistes? “Il est peu probable que les prix baissent, estime Michel Kumps, notaire à La Hulpe. Le marché devrait s’équilibrer autour de ces nouveaux standards.” Une situation qui va rendre le contexte immobilier encore plus tendu pour ceux qui ne disposent pas d’importants revenus ou d’un soutien familial. “D’autant que les budgets des acquéreurs semblent avoir évolué, s’étonne Michel Dussart. Auparavant, la demande classique concernait une maison de trois ou quatre chambres pour un budget de 450.000 euros. Or, aujourd’hui, le budget moyen a grimpé à 600.000 euros. Je ne comprends pas.”

Il n’y a pas beaucoup de maisons ou de villas qui sont mises en vente actuellement. Ce déficit de l’offre bouleverse tout le marché.

Le terrain à bâtir, cette denrée rare

Si l’attrait pour ces entités ne se dément pas, l’espace disponible pour accueillir de nouveaux habitants touche doucement à sa fin. Du moins dans sa configuration actuelle. Si bien que le principe du “Stop au béton” s’y concrétisera d’ici peu, faute de terrains disponibles… A Rixensart, commune la plus urbanisée du Brabant wallon avec Waterloo, on dénombre aujourd’hui 22.600 habitants. La limite a été fixée à 25.000 habitants. “Et elle ne sera pas franchie, affirme Christophe Hanin, échevin de l’Urbanisme de Rixensart. Nous sommes soumis à une grosse pression foncière et la difficulté est d’y résister. Il reste quelques ZACC (zones d’aménagement communal concerté), mais notre objectif n’est pas de toutes les libérer. Nous sommes confrontés également à des rachats de grandes bâtisses construites sur 50 ou 60 ares et où un promoteur souhaite les valoriser via un immeuble à appartements. Le Guide d’urbanisme va être revu pour nous mieux nous prémunir contre ce type de situation.”

A Waterloo, la situation est encore plus claire: les promoteurs ne sont plus vraiment les bienvenus. Et les terrains à bâtir sont une denrée rare. “Waterloo a déjà fait sa part du travail en matière de densification, relève la bourgmestre Florence Reuter. Il reste encore quelques possibilités de densifier dans le centre-ville ou aux alentours de la gare. Mais les problèmes de mobilité sont trop importants pour continuer à faire comme avant. Une de mes craintes est que la qualité de vie en pâtisse et que les habitants quittent Waterloo pour aller voir si l’air n’est pas plus respirable ailleurs.”

A La Hulpe, même situation. Pratiquement plus aucun terrain à bâtir, une intense pression foncière et un parc de logements qui penche clairement vers la maison, entraînant une distorsion de la demande. “Et la situation actuelle accentue encore davantage la problématique de la difficulté d’accessibilité au logement pour les plus jeunes”, regrette le bourgmestre Christophe Dister. Des projets d’immeubles à appartements sont dans les cartons, de manière à pouvoir offrir un autre type d’habitat aux La Hulpois. On en retrouve dans les nombreux anciens immeubles de bureau (comme la transformation du site Kodak par Eaglestone), via la réaffectation du site des anciennes papeteries Intermills (13 ha, 210 logements) par Atenor et l’Immobilière du Cerf voire via un ambitieux projet communal de coulée verte entouré de logements abordables situés en plein centre (école des Colibris et site de la Poste, 85 logements). “Il y a, par exemple, un déficit d’immeubles à appartements avec ascenseurs, ce qui empêche les seniors de passer de leur maison à un appartement, ajoute Christophe Dister. Résultat, le renouvellement des générations via des déménagements ne peut pas se produire. C’est aussi une raison qui nous pousse à imposer une maison de repos dans le projet des Berges de l’Argentine (Atenor). Il est certain qu’un parc de logements mieux équilibré avec davantage d’appartements permettra de relâcher la pression sur les prix.”

La quête d’alternatives

Dans ce contexte, chaque commune tente donc de contrer quelque peu la pression foncière avec les moyens du bord, le prix des terrains rendant par ailleurs compliqué les projets de logements publics. Elles doivent donc se montrer particulièrement créatives. Ou tenter d’orienter les désidératas de certains promoteurs. “Nous avons par exemple réussi à réorienter le projet d’un promoteur qui souhaitait construire des appartements le long de la chaussée de Louvain, fait remarquer Julie Peeters-Cardon. Il construira plutôt une série de petites maisons. Ce type de bâti est un manque chez nous. Il pourra rencontrer les besoins des ménages isolés ou des jeunes couples.” Même situation à Rixensart où le site Poirier Dieu, à Genval, propriété de Besix Red, subit une fronde de riverains depuis de nombreuses années. “Nous manquons de projets immobiliers qui visent un autre public que la cible classique qui doit disposer de revenus élevés, qui sont plus diversifiés, lance Christophe Hanin. En concertation avec Besix, nous avons élaboré un projet qui favorise la présence de familles monoparentales, avec des petits logements accessibles à des budgets plus modestes, de même qu’une maison d’habitat groupé Abbeyfield. Cela permet aux jeunes Rixensartois de rester dans la commune. Cette piste serait intéressante à concrétiser dans un contexte immobilier aussi compliqué qu’aujourd’hui en Brabant wallon.”

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