Le fantôme du tableau

Yslaire, Mademoiselle Baudelaire, Collection Aire Libre, Dupuis, 160 pages, 26 euros. © PG

Dans “Mademoiselle Baudelaire”, Yslaire choisit de célébrer le poète français à travers les yeux de sa muse Jeanne Duval.

En cette année du bicentenaire de la naissance de Charles Baudelaire, tombe une pluie d’ouvrages qui évoquent sa vie et son oeuvre, mais un seul et unique roman graphique. Or, s’il y avait bien un auteur de bandes dessinées qui devait s’attaquer à ce vaste et périlleux sujet, c’est bien notre compatriote Yslaire, auteur de la saga des Sambre qui se déroule dans une France contemporaine de l’auteur des Fleurs du Mal. Entre l’oeuvre du poète et celle du dessinateur et scénariste, les ponts sont en effet nombreux. A commencer par la place de la femme dans leurs inspirations respectives. Pour raconter “son” Baudelaire, Yslaire a travaillé pendant cinq ans et choisi comme narratrice Jeanne Duval, la maîtresse et muse du poète, celle qui fut surnommée la “Vénus Noire” et dont on sait si peu de choses.

Mademoiselle Baudelaire prend la forme d’une longue lettre écrite par Jeanne à la mère de Baudelaire au lendemain de sa mort, survenue en août 1867, à l’âge de 46 ans. Elle réclame un héritage, mais lequel? Pour justifier sa requête, elle se raconte et le raconte. Baudelaire et ses démons. Baudelaire et la bohème partagée avec Nadar ou de Nerval. Baudelaire et les femmes, l’alcool, l’opium. Baudelaire et les mots, la maladie, la mort. Page après page, c’est un double portrait, à la limite du maléfique, que dessine cet album somptueux, redonnant une place légitime à cette femme que l’histoire a effacée, comme l’aurait effacée Gustave Courbet de son tableau L’atelier du peintre où elle figurait auprès d’un Baudelaire pensif, isolé, à part, dans un coin de l’image. Précédé par la publication de trois recueils de dessins préparatoires sous le titre des Cahiers Baudelaire, ce roman graphique est l’oeuvre d’un artiste au sommet de son art, maîtrisant à la perfection à la fois son sujet, sa narration et, bien entendu, son trait.

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