Le blues des petites banques en ligne

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Taux d’intérêt très bas et numérisation fulgurante de l’industrie financière rendent les petites banques d’épargne 100 % en ligne nettement moins sexy que par le passé.

Sale temps pour les petites banques en ligne. Depuis le 4 décembre, les comptes d’épargne à haut rendement Distingo et Distingo Plus de PSA Bank ont disparu de la circulation. La filiale du constructeur automobile français PSA Peugeot Citroën a en effet décidé de se retirer du marché belge, deux ans à peine après avoir débarqué chez nous. Présent en Belgique depuis le début des années 2000, Fortuneo a lui aussi fermé boutique pour se faire avaler par le leader du marché de l’investissement en ligne Keytrade. Quant à Rabobank.be, le pionnier de l’épargne online depuis plus de 15 ans et qui compte en Belgique 250.000 clients, il draine aujourd’hui moins d’argent, à tel point que le volume global des sommes déposées par les clients sur ses comptes Rabo et Plus Account a diminué l’an dernier de 200 millions d’euros (- 2 %). Bref, ça sent la fin de l’âge d’or. Les trublions du secteur rentrent dans le rang. Et cela, pour cinq raisons.

1. Coincées par les taux bas

Il y a d’abord les taux d’intérêt. Ces banques en ligne se sont lancées à la conquête des épargnants dans le courant des années 2000 avec une recette simple : offrir des taux alléchants en misant d’une part sur des coûts de fonctionnement bien moins élevés que ceux des banques traditionnelles grâce à l’absence de réseaux d’agences physiques et d’autre part sur une gamme de produits très peu étendue. A l’époque, ce modèle low cost était profitable. A vrai dire, ” collecter de l’épargne par Internet n’a jamais coûté très cher d’un point de vue technique “, situe Geoffroy de Schrevel, patron et fondateur de la start-up Gambit spécialisée dans l’édition de logiciels de services financiers et en particulier dans l’aide au conseil en investissement. ” D’un autre côté, les taux sur les prêts étaient à l’époque relativement élevés. L’écart entre le taux accordé aux déposants et celui demandé sur un crédit pouvait facilement se monter à 2 %, hors prime de risque, ce qui faisait de l’épargne en ligne un business effectivement très rentable. ”

Seulement voilà : aujourd’hui, avec la chute des taux, ” la marge bénéficiaire s’est réduite “, reconnaît le general manager de Rabobank.be, Johan Vanhulle. Difficile en effet de dégager des revenus quand les possibilités pour replacer l’argent des épargnants affichent des rendements tout aussi faibles (obligation d’Etat, prêt bancaire), que l’environnement économique reste relativement incertain, que déposer de l’argent à la BCE coûte de l’argent et qu’on ne dispose pas des mêmes leviers que les grandes banques pour contrecarrer la chute des taux.

Outre cet aspect purement financier, la pression sur les taux a aussi des conséquences sur le terrain marketing. ” Se démarquer de la concurrence pour attirer de nouveaux clients est devenu nettement plus compliqué, note Grégoire Tondreau, consultant spécialisé dans les services financiers chez Roland Berger. Même offrir un taux qui est le double du minimum légal n’est pas très vendeur. ” Le pouvoir de séduction d’un compte affichant un rendement de 0,25 % au lieu de ce plancher légal de 0,11 % (taux de base de 0,01 % + prime de fidélité de 0,10 %) n’est en effet pas bien terrible auprès du client. Quelques euros de plus par an : ce n’est pas cela qui va vraiment inciter l’épargnant à changer de banque. Par ailleurs, ” le marché est aujourd’hui beaucoup plus compétitif que par le passé, reprend Johan Vanhulle. Outre le fait qu’il y a plus d’acteurs, le compte d’épargne subit la forte concurrence d’autres produits de placements, comme les fonds ou les comptes non réglementés. ” Résultat des courses ? Les meilleures offres ne sont plus nécessairement celles des petites banques en ligne. Exemple avec le Ritmo de bpost qui donne pour le moment encore 0,60 %, loin devant les Rabobank.be (0,25 %), MoneYou (0,25 %) et autres NIBC Direct (0,20 %). Bref, l’argument commercial du meilleur taux s’est dégonflé.

2. Rattrapées par les banques traditionnelles

La technologie, ensuite. Si les petites banques d’épargne en ligne ont pris un coup de vieux, c’est aussi parce que les banques traditionnelles ont évolué. La plupart proposent aujourd’hui une version online de leur compte d’épargne assortie d’un taux qui résiste à la comparaison. C’est notamment le cas des grandes banques dont l’offre en matière de compte online n’a plus rien à envier à leurs petites concurrentes 100 % en ligne. Exemple : le compte Epargne + de Belfius. Assorti d’un rendement qui reste appréciable (0,51 %), il peut être ouvert et géré en agence comme à distance (via PC ou mobile). Sur le terrain technologique aussi, se différencier est donc devenu moins évident, explique Geoffroy de Schrevel : ” Au départ, les banques en ligne de la première génération offraient la même chose que les banques traditionnelles, mais simplement via un autre canal, c’est-à-dire l’Internet au lieu de l’agence bancaire. Grâce à cette structure de coûts moins élevée, elles ont pu proposer des meilleurs taux. Jusqu’au jour où tout le monde a commencé à faire de l’épargne en ligne. Depuis, il y a une espèce de saturation du marché, et, pour ne pas s’endormir, ces banques directes de la première génération doivent se réinventer et interagir de manière innovante avec leurs clients, notamment à travers de nouveaux services. ” Avec la crise de 2008, les acteurs traditionnels se sont en effet réveillés. Ils investissent aujourd’hui massivement dans le numérique pour garder la confiance du consommateur et ” réinventer l’interaction avec le client en termes d’expérience d’utilisation et d’instantanéité “, observe Grégoire Tondreau.

3. Ringardisées par la banque 3.0

Autre élément technologique : la banque 2.0 a fait place à la banque 3.0. Après la vague des banques 100 % en ligne, la tendance est en effet aujourd’hui aux banques 100 % mobiles, conçues pour n’être accessibles que sur smartphone ou sur tablette. C’est précisément sur ce mode que Hello bank ! , la banque digitale de BNP Paribas Fortis, a été lancée. En réalité, ” on ne conçoit plus aujourd’hui une banque en ligne comme il y a 10 ans, avance Michael Anseeuw, head of retail banking, également responsable de la marque Hello bank ! pour la Belgique. Jamais notre but n’a été d’être avec Hello bank ! une banque d’épargne en ligne attractive. Dès le lancement en 2013, nous avons choisi d’adopter une approche différente, c’est-à-dire beaucoup plus relationnelle avec une proposition allant au-delà du simple produit d’appel. ” En plus d’un compte d’épargne, l’offre de la banque bleue incorpore en effet des cartes de paiements, du crédit à la consommation, du crowdfunding et même depuis quelques mois du crédit hypothécaire en ligne. Objectif : séduire de nouveaux clients qui ne cherchent pas uniquement de meilleurs taux.

Portés par le succès du mobile banking, les grands réseaux bancaires gagnent également du terrain par rapport aux banques de niche en innovant via leurs applications. Chez BNP Paribas Fortis, on s’apprête par exemple à mettre prioritairement à la disposition des clients haut de gamme, avant un déploiement à plus grande échelle, de nouvelles solutions digitales innovantes comme par exemple une clef unique utilisant des données biométriques pour accéder à ses comptes et procéder à des transactions. Et pour cause : ” Le mobile est aujourd’hui devenu le principal canal entre la banque et ses clients “, appuie Michael Anseeuw, citant le chiffre de 155 millions de sessions ouvertes l’an dernier par les clients au départ de l’application mobile maison Easy Banking sur un total de 250 millions (soit 62 %).

Et puis, une nouvelle génération d’applications incorpore aussi des chatbots, ces fameux assistants virtuels, qui répondent au client à coups d’intelligence artificielle. KBC a ainsi lancé à l’automne la première application bancaire pour jeunes dotée d’un robot conversationnel (K’Ching). Quant à Belfius, elle permet désormais à ses clients de faire des virements en parlant à son smartphone. De quoi ternir encore un peu plus l’image high-tech des ” vieilles ” banques en ligne.

4. Concurrencées par les fintechs

A la fois coincées par les taux bas et dépassées par les grandes banques, les Rabobank.be et consorts doivent désormais aussi compter avec les géants du Net (Google, Apple, Facebook, Amazon) et les fintechs, ces start-up qui utilisent des technologies avancées pour proposer des services financiers plus simples et plus performants. Dans le domaine de l’épargne, on pense notamment aux spécialistes de la gestion de portefeuille automatisée comme Birdee (Gambit) ou Easyvest. Mais aussi aux plateformes d’investissement en ligne telles que Keytrade, MeDirect ou BinckBank (lire également l’encadré ” Du trading en Bourse au pseudo-private banking “).

Mais la start-up qui fait actuellement le plus parler d’elle dans le Landerneau bancaire est sans conteste la ” néobanque ” allemande Number 26. Ses services sont disponibles en Belgique depuis quelques jours (appli et web). Rien de bien révolutionnaire pour le moment : il s’agit simplement d’un compte courant et d’une carte de banque. Mais le premier contact est bluffant. Il faut à peine une dizaine de minutes pour ouvrir un compte. Après avoir entré ses coordonnées, il suffit de se munir de sa carte d’identité et de s’installer quelques minutes dans une salle silencieuse. Le temps de discuter avec un interlocuteur qui vérifie vos coordonnées et prend une photo de votre carte d’identité via votre smartphone. Bref, ” des start-up comme N26 posent la question de la viabilité des banques directes si elles ne se renouvellent pas, que ce soit dans l’offre de produits ou dans l’interaction avec le client. Il y a un gros risque pour elles de perdre de leur pertinence et donc de disparaître “, estime Grégoire Tondreau. Même si, bien sûr, il ne faut pas perdre de vue l’aspect psychologique : ” D’autres aspects jouent dans le choix d’une banque en ligne, plaide Johan Vanhulle. Les clients ne choisissent pas uniquement Rabobank.be pour ses taux disons réalistes, mais aussi pour des aspects liés à la transparence de ses services ainsi que pour des raisons de sécurité. Rabobank est l’un des groupes bancaires les plus solides en Europe. C’est sur cette confiance auprès du consommateur que nous misons. ”

5. Menacées par le data marketing

Il est enfin une ultime menace qui plane au-dessus de ces acteurs de la première génération de l’Internet banking : la nouvelle directive européenne sur les services de paiements (PSD2) qui doit entrer en vigueur début 2018 et qui permettra de franchir une étape supplémentaire. Selon certains, elle pourrait même provoquer l’un des plus importants bouleversements du secteur bancaire depuis des décennies. Pourquoi ? Parce qu’elle autorisera les fournisseurs de services financiers à avoir accès aux bases de données des banques, sous réserve bien sûr que le client leur en ait donné l’autorisation. Autrement dit : la mesure contraindra les banques, y compris en ligne, à ouvrir à des tiers l’accès aux données de leurs comptes clients (dépenses, économies, etc.). Pour les banques établies, une telle évolution représente un danger important de désintermédiation (disruption), dans la mesure où elles vont perdre l’exclusivité des données de leurs clients. De fait, ” c’est un nouvel élément à prendre en compte, concède Johan Vanhulle (Rabobank.be), et nous réfléchissons à la meilleure manière d’y réagir. ”

D’autres acteurs pourront en effet accéder à une base de clientèle bien plus large. Exemple ? Les agrégateurs de comptes, qui existent déjà aux Etats-Unis (Mint) et que l’on voit apparaître en France (Linxo, etc.). Ils fournissent aux clients de plusieurs banques – via une application mobile – une vue consolidée de tous leurs comptes, et leur permettent d’optimiser la gestion de leur argent. Avec, à la clef, pour ces nouveaux joueurs la possibilité de s’accaparer la relation directe avec le client (via, pourquoi pas, de meilleures offres d’épargne). Bref, ” ces nouvelles règles du jeu représentent un gros danger pour la plupart des banques qui risquent de voir disparaître ainsi une source supplémentaire de revenus, ajoute Geoffroy de Schrevel. Car cela remet en cause la question surréaliste aujourd’hui qui est de savoir à qui appartient le client d’une banque : appartient-il exclusivement à sa banque ou appartient-il aussi, de manière partagée, à ses autres prestataires de services financiers ? ”

SÉBASTIEN BURON

Avec la baisse des taux, il est devenu beaucoup plus difficile pour ces petites banques d’épargne en ligne de se démarquer des grandes banques traditionnelles.

La start-up qui fait parler d’elle dans le Landerneau bancaire ? C’est la “néobanque” allemande N26.

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