Lambin comme un lambic

L'Oude Kriek demande des lambics jeunes qui sont mélangés avec des griottes fraîches entières pour une macération d'environ six mois. © PG

Vingt ans après leur dernier brassage, la Brasserie Eylenbosch, ressuscitée par la famille, remet sur le marché ses Oude Kriek et ses Oude Gueuze suivant la recette ancestrale. Des produits haut de gamme qui nécessitent de la patience liée à l’élaboration et au vieillissement du lambic.

C’est une autre histoire de renaissance. Comme les frères Van Vyve avec le chocolaterie familiale Meurisse, les De Keersmaeker ont ressuscité la Brasserie Eylenbosch. Ce fleuron familial, créé en 1886, avait disparu en 1991. Il avait été sacrifié par le groupe Heineken qui, au gré des alliances successives, en était devenu propriétaire. Eliminé au profit de Mort Subite qui, fin des années 1980, correspondait davantage au goût de l’époque: celui des bières, singulièrement les krieks, plus marquées en sucre. Les bâtiments de Schepdaal, symboles du riche passé brassicole du Pajottenland, ont servi d’entrepôt avant de voir disparaître l’ensemble du matériel de brassage. Entre le rachat de la marque et des bâtiments en 1999 et 2018 par la famille fondatrice, il ne s’est pas passé grand-chose. Le projet immobilier de reconversion des lieux s’est même enlisé dans les tracas administratifs…

Nous allons être sélectifs. Pas la peine d’arroser tout l’horeca ou d’être présent dans tous les magasins.

“Après 30 années passées à l’international, je me suis retrouvé sans travail à 52 ans, confie Erik De Keersmaeker. The Walt Disney Company, pour laquelle je fus commercial director pour la Belgique et le Luxembourg, puis retail and category director pour le Benelux, a décidé de quitter Bruxelles et ne me voulait ni à Amsterdam, ni à Paris. J’avais envie d’un vrai beau projet pour finir ma carrière. Et pourquoi pas dans la brasserie? Car après tout, nous sommes des brasseurs depuis cinq générations. C’était aussi le bon moment pour nos anciennes Oude Kriek et Oude Gueuze. Le marché belge est mature et raffole des bières qui sortent de l’ordinaire. Et le goût sucré est moins recherché.”

Klaas Vanderpoorten, maître brasseur, et Erik De Keersmaeker,
Klaas Vanderpoorten, maître brasseur, et Erik De Keersmaeker, “managing director” La Brasserie Eylenbosch a pu faire déguster ses deux premiers bébés il y a quelques jours.© PG

Patience… pour patienter

Evidemment, sans matériel, sans brasserie, pas simple de tout recommencer. Erik De Keersmaeker s’associe alors avec Jeroen Lettens, un vieil ami, et avec Klaas Vanderpoorten (25 ans), un bio-ingénieur doublé d’un maître brasseur. Il conclut aussi un accord avec la brasserie De Troch à Wambeek pour produire les lambics, la Oude Gueuze et la Oude Kriek. Les deux familles, concurrentes au 19e siècle, ont fini par tisser des liens. “Nous ne sommes pas une société qui vend de la bière élaborée par d’autres, explique Erik De Keersmaeker. Nous ne faisons que louer les installations. Nous brassons nous-mêmes et suivons, de près, l’évolution de nos lambics et de nos bières.”

Vu le temps nécessaire à l’élaboration d’une Oude Gueuze ( lire l’encadré), les trois associés ont décidé de mettre d’autres produits sur le marché. Des bières à fermentation haute appelées opportunément Patience for Eylenbosch. “Klaas les brasse lui-même à la brasserie De Ranke à Dottignies, poursuit Erik De Keersmaeker. Nous avons commencé par une Saison, une bière… wallonne typique! Et vu le succès, nous avons enchaîné par une Pale-Ale et une Special Blond. Elles ont attiré Delhaize qui, soucieux de doper son rayon de bières spéciales, les a ajoutées à son assortiment. Ce sont des bières assez complexes mais accessibles au plus grand nombre.”

Distribution sélective

Il y a quelques jours, la Brasserie Eylenbosch a pu faire déguster ses deux premiers bébés, sous l’égide de Yannick Dehandschutter, sommelier et propriétaire du Sir Kwinten (restaurant étoilé du Pajottenland) et meilleur sommelier de Belgique en 2013. Même si l’un est prématuré… “L’Oude Kriek est entièrement la nôtre, confie Klaas Vanderpoorten. Par contre, le lambic de trois ans d’âge qui entre dans la composition de l’Oude Gueuze appartient à la famille De Troch. Nous avons donc apposé Prematuurke sur l’étiquette. Parce qu’elle est arrivée plus tôt que prévu. En effet, ce n’est qu’à l’automne 2022 que nous pourrons mettre une Oude Gueuze 100% Eylenbosch sur le marché. Mais cette version prématurée est déjà magnifique. Nos lambics évoluent bien aussi. C’est toujours, quelque part, une angoisse car élaborer un lambic est quasiment incontrôlable puisqu’il faut laisser faire la nature.”

L'Oude Gueuze est obtenue en mélangeant des lambics d'âge différent qui ont vieilli en fûts de chêne.
L’Oude Gueuze est obtenue en mélangeant des lambics d’âge différent qui ont vieilli en fûts de chêne.© PG

Aucun doute, les amateurs vont se retrouver dans ces deux produits très haut de gamme. Ce sont de grandes bières et on comprend aisément l’intérêt d’un meilleur sommelier de Belgique. Clairement, la Brasserie Eylenbosch se positionne dans le sillage des Cantillon, Tilquin, Oude Beersel, Boon, De Cam ou Drie Fonteinen. Des brasseries artisanales et authentiques. Une qualité qui se paie puisque les bouteilles de 75 cl valent 11,90 euros pour la kriek et 8,91 euros pour la gueuze.

“Nous avons produit 7.000 bouteilles, sourit Eric De Keersmaeker. Elles ont leur place sur le marché mais ce n’est pas pour Monsieur Tout-le-Monde. Elles sont destinées à un public averti qui sait les apprécier. Nous allons donc être sélectifs dans notre distribution. Pas la peine d’arroser tout l’horeca ou d’être présent dans tous les magasins. D’ici à la fin de l’année et des productions supplémentaires, nous verrons aussi si nous suivons Delhaize dans sa demande de les proposer dans son assortiment national. Toutes nos bières, y compris la gamme Patience, sont aussi disponibles en ligne sur notre site www.eylenbosch.beer (la gueuze y est déjà épuisée mais pas la kriek, Ndlr).”

Si la famille et les associés financent en partie le projet, la brasserie s’est aussi tournée vers le financement participatif.

5.000 hectolitres maximum

Si la famille et les associés financent en partie le projet, la brasserie s’est aussi tournée, à l’instar des vignobles wallons (lire en page 48), vers le financement participatif. Elle propose ainsi des packs qui s’étalent de 50 à 3.000 euros. Ils garantissent à l’amateur un accès aux deux Oude et offrent d’autres avantages qui vont de verres gratuits à la gravure du nom du contributeur sur un foudre de la brasserie en passant par le casier en bois personnalisé. Pas moins de 282 amateurs y ont déjà souscrit pour un montant approchant les 90.000 euros. L’argent est investi dans le matériel (foudres, tonneaux, etc.) et vise à permettre à la brasserie de s’installer dans ses murs.

Les bâtiments de l'ancienne Brasserie à Schepdaal vont accueillir des appartements et des commerces.
Les bâtiments de l’ancienne Brasserie à Schepdaal vont accueillir des appartements et des commerces.© PG

“Une brasserie sans brasserie, cela ne va pas, sourit Eric De Keersmaker. L’idée est de s’atteler à ce projet dans les deux ans mais, d’ici là, il faut distribuer et vendre ( rires). Jusqu’ici, nous squattons chez les autres. Et notamment dans une vieille grange de la ferme Hof Van Piemont, près de Zellik. Nous pourrions y installer la brasserie en plein milieu de la nature et des vergers qui ont fait la réputation de la ferme. A propos de vergers, je voudrais signaler que nous souhaitons rendre à la griotte de Schaerbeek la gloire qu’elle mérite. Si nos premières cerises viennent de la criée de Borgloon, nous avons replanté une centaine de griottiers à Kobbegem. Histoire de nous ancrer pleinement dans notre terroir.”

Et pour parapher ce souci d’authenticité, la brasserie Eylenbosch compte utiliser l’eau qui coulait sous l’ancienne brasserie dans l’élaboration de ses bières. L’idée est de retrouver l’équilibre minéral qui avait fait le succès, notamment à l’Expo 58, des Oude Gueuze et Oude Kriek. Si une pompe a déjà été installée, il va falloir attendre la fin du projet immobilier de rénovation.

Le quatrième Cru de Colruyt à Schepdaal

“Tout a fini par se débloquer et le projet immobilier dans l’ancienne brasserie de Schepdaal suit enfin son cours, conclut Erik De Keersmaeker. Le promoteur va y installer 45 appartements tout en conservant son caractère authentique. On y trouvera aussi quelques commerces dont le quatrième magasin Cru du groupe Colruyt. Il va de soi qu’on devrait y vendre nos deux Oude. Nous allons aussi pouvoir y stocker des fûts de lambic. Je regrette de ne pas avoir gardé de plus grands espaces. Il n’y a plus de place pour y mettre notre brasserie mais, et c’est ma première option, on pourrait y acquérir deux maisons à proximité immédiate et construire un ensemble entièrement vitré. C’est mon rêve de rester près de nos racines. Nous verrons bien. Dans mon business plan, j’envisage une production comprise entre 1.500 et 5.000 hl. Cinq mille hectolitres, c’est ce que produit Drie Fonteinen au bout d’une vingtaine d’années. C’est donc ambitieux, d’autant qu’il faudrait une superficie équivalente à trois terrains de foot pour stocker les lambics produits.”

5.000 hectolitres

Dans son “business plan”, Eric De Keermaeker envisage une production comprise entre 1.500 et 5.000 hl.

Vallée de la Senne et Pajottenland

Ne devient pas lambic, le moût qui veut! Contrairement aux bières à fermentation haute ou basse, l’élaboration d’un lambic se produit par fermentation spontanée à l’air libre d’octobre à mai suivant l’adage qui dit “en hiver, brasse qui veut et en été, brasse qui peut”. A la belle saison, l’air contient en effet trop de bactéries néfastes. Cette fermentation spontanée dans de grandes cuves ouvertes est l’oeuvre de levures appelées brettanomyces, celles que les vignerons fuient comme la peste pour les arômes désagréables d’écurie ou de chien mouillé qu’elles confèrent au vin. Dans le cas du lambic, elles sont au nombre de deux et bien nommées: brettanomyces lambicus et brettanomyces bruxellensis. On ne les trouve que dans l’air ambiant de la vallée de la Senne et du Pajottenland. Suivant la légende, le mot lambic dériverait de la commune de Lembeek (Hal).

L’Oude Gueuze est obtenue en mélangeant des lambics d’âge différent qui ont vieilli en fûts de chêne. Elle doit contenir au moins 10% de lambic de trois ans. Le mélange appelé aussi coupage provoque une nouvelle fermentation qui va permettre une légère prise de mousse dans la bouteille. Ce n’est qu’après six mois en bouteille que la bière est prête à être dégustée. Il faut donc être patient! Pour l’Oude Kriek, le processus est plus court puisqu’elle demande des lambics jeunes qui sont mélangés avec des griottes fraîches entières pour une macération d’environ six mois.

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