La vérité est dans le poulet

Gil Bartholeyns, "Deux kilos deux", éditions JC Lattès, 300 pages, 19,90 euros.

Un coin de campagne reculé, une forêt profonde et la neige qui tombe à foison. Un restaurant au bord de la route, les présences répondent ici aux noms de Sully, de Molly, d’Earl et de Paul… L’Amérique ? Pas du tout, c’est bien en Belgique que nous sommes. Point de Far West, mais un “Far East”. Gil Bartholeyns a travaillé aux Etats-Unis. Sully, son héros, vétérinaire devenu inspecteur du bien-être animal a, lui, visité le Saskatchewan. L’auteur a retrouvé dans les Hautes Fagnes, par tous les temps, dans le cadre de son travail d’anthropologue, des ambiances, des lieux et des lumières similaires qui l’ont inspiré pour son livre. “Une sorte d’environnement adultérin alors qu’on le croit naturel.”. En effet, point de forêt primaire en Belgique.

La spéciation était la tristesse originelle de l’homme.

Voilà pour le décor, encore fallait-il trouver l’histoire. “J’avais un début d’intrigue: un jeune gars arrive et perturbe tout.” Et dans le milieu rural, qui de mieux qu’un contrôleur d’un service de bien-être animal du ministère pour venir mettre un peu d’ambiance. Sully a pour mission d’inspecter l’élevage de poulets d’un exploitant bien sous tous rapports et n’ayant rien à se reprocher. Notre enquêteur, déjà perturbé par les conditions climatiques manquera presque de rentrer bredouille. Presque…

Deux kilos deux n’est pas un simple thriller agricole. Pour le chercheur qu’est Gil Bartholeyns, il fallait aller plus loin. Quoi de mieux que l’agriculture pour redéfinir la place qu’accorde l’humain à l’animal? Et donc aboutir à la politique du bien-être animal. En Europe, tout est calibré en matière de volailles: la superficie de leur zone d’engraissement, la température du poulailler, son taux d’humidité, la teneur en graisse des animaux, le poids idéal avant leur abattage. “Les normes de bien-être animal sont terribles pour les animaux. Les exploitants peuvent être de bonne foi, on est face à un système maltraitant”, souligne-t-il. Constat terrible de l’auteur et de son protagoniste qui s’applique à ressasser tout au long de son enquête le bilan carbone et l’incohérence des oiseaux retrouvés étouffés par leurs congénères, à moitié déplumés, mais tout de même bons pour l’assiette. Le livre nous dévoile en plus des éléments nouveaux, le fruit des recherches de l’universitaire qui s’était fait une promesse pour son passage à la fiction: rendre compte d’une vérité que l’on ne peut lire nulle part. “Me documenter, c’est mon métier. Mais je voulais aller sur le terrain pour découvrir autre chose, autrement. Et à ce moment-là, s’offre à vous la possibilité une ‘justice littéraire’.” Cette vérité explose ici à notre figure, par un factuel précis et documenté.

Et si l’auteur se défend de tout militantisme anti-viande, il espère néanmoins nous faire prendre conscience de l’aberration d’une chaîne de production alimentaire qui joue avec les mots, les animaux et notre bonne conscience. On aura beau créer les meilleures conditions d’hygiène possible, pour manger un animal, il faut le tuer, et ça l’humain doit l’accepter. Sully le refuse parce qu’il ne mange pas de viande, c’est son choix. Mais la mécanique dont il est l’un des rouages l’obsède, le rend schizophrène, donnant lieu dans le texte à des variations de styles, parfois perturbantes car abruptes, mais assez intéressantes. Peu de concepts ici – des mots choisis précieusement-, mais les faits et des personnages au coeur d’un ouvrage où l’homme se sent parfois sa propre proie. En effet, en questionnant la condition animale, Deux kilos deux ne nous laisse pas, nous humains, en reste.

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