La tablette, symbole résilient

Présentation du premier iPad par Steve Jobs, en janvier 2010. L'objet s'est depuis écoulé à 400 millions d'exemplaires. © belgaimage

Effacer les frontières entre PC et smartphones, c’était le pari originel des tablettes tactiles. Pari… gagné ? La tablette, véritablement née en 2010 avec la sortie de l’iPad d’Apple, pourrait n’avoir été qu’un produit de transition pour la tech. Pourtant, sa vigueur demeure manifeste.

Samedi 3 avril 2010, c’est la cohue devant les Apple Store américains. Depuis des heures, les fans de la marque font la queue pour être les premiers à mettre la main sur ce que Steve Jobs présentait, trois mois plus tôt, comme la future révolution technologique du groupe : l’iPad. Version grand format de l’iPod Touch, lancé trois ans plus tôt, l’iPad est d’abord un outil de loisirs numériques plus que de production. Mais les observateurs y voient un dessein prometteur : une ardoise à même de remplacer l’ordinateur.

Steve Jobs n’a pourtant pas inventé la tablette tactile : dès 2001, Bill Gates pensait que les tablettes deviendraient un nouvel outil de travail incontournable. ” D’ici à cinq ans, je prédis que la tablette sera la forme la plus courante de PC vendus en Amérique “, expliquait alors, sans ciller, le fondateur de Microsoft en présentant le système d’exploitation Tablet PC. L’oracle ne s’est jamais totalement réalisé… Mais Apple a réussi à en faire un produit élégant et ultra-simple à utiliser.

Navigation sur Internet, échange d’e-mails, lecture de vidéos, affichage de photos, jeux… S’il a été conçu pour le grand public, l’iPad se fait rapidement une place dans l’univers des créateurs. Stylistes, photographes, architectes et designers apprécient son grand écran. Et au fil du temps, sa clien-tèle et ses usages évoluent. Il séduit le monde de l’éducation, de la recherche, de la santé et l’ajout d’un clavier physique et la reconnais- sance du stylet en font une excellente alternative à un ordinateur. Plébiscité par le grand public, l’iPad pénètre alors aussi le monde de l’entreprise, ce que Steve Jobs lui-même n’avait pas forcément prévu. Les usages se démocratisent auprès des cadres dirigeants mais aussi dans les fonctions commerciales.

Objet symbole

Dix ans plus tard, que reste-t-il de cette ” nouvelle révolution ” ? Le constat est que l’emblématique patron décédé en 2011 s’était un peu emballé car, contrairement à l’iPod qui a chamboulé le monde musical ou à l’iPhone qui a bouleversé nos moyens de communication, l’iPad n’a pas réussi à transformer véritablement notre quotidien. A quelques détails près… En fin de compte, l’iPad rappelle, avec l’iPhone, combien nous avons basculé dans l’ère d’une consommation de plus en plus individualisée de nos loisirs digitaux. A l’époque de la télévision reine et de la chaîne hi-fi, l’audiovisuel était un produit qui s’appréciait en général en groupe et dans le salon. Aujourd’hui dans sa chambre ou les transports en commun, on regarde de plus en plus ses séries face à l’écran de sa tablette. En solitaire. Mais si la magie technologique promise par l’ancien patron d’Apple n’est pas encore au rendez-vous, la tablette n’est pas un échec. Bien au contraire. Socialement parlant, l’objet a largement trouvé sa place en s’installant dans les foyers. Durant le confinement, on lui a même retrouvé un regain d’intérêt. ” Une tablette, au départ, c’est un outil multimédia. Lorsque l’on n’a pas d’ordinateur portable, l’outil est incroyable. Il est très utile dans les foyers où il y a seulement un ordinateur fixe “, rappelle Christophe Dejaeghere, product manager chez Samsung Electronics Benelux. Et de préciser : ” Pour les enfants c’est très pratique, ils peuvent facilement lancer YouTube ou regarder une série ou un dessin animé sur Netflix, alors qu’on a moins tendance à leur prêter un ordinateur portable qui reste souvent un outil de travail plus cher et précieux “.

La riposte de Microsoft

Commercialement aussi, l’appareil est très loin du flop. Même si ses ventes stagnent, il s’en est encore vendu plus de 144 millions rien que l’an dernier. Un segment dans lequel l’iPad règne en maître : à ce jour, il pèse plus d’un tiers du marché, et le géant de Cupertino en a écoulé quelque 400 millions en une décennie, malgré un pic des ventes survenu à peine quatre ans après son lancement. L’année dernière, l’iPad provoquait même la bonne surprise du groupe puisque c’est lui qui tirait les résultats d’Apple vers le haut. En atteignant les 21,28 milliards de dollars (en hausse de 15,7% en 2019 par rapport à 2018), l’objet renouait avec des montants similaires à ceux de 2013. Microsoft, aujourd’hui le seul concurrent frontal aux iPad, n’a, quant à lui, écoulé ” que ” pour 5,72 milliards de dollars de produits Surface (tablettes, mais aussi ordinateurs et casques audio) sur la même période. En suiveurs, Acer, Lenovo et même Google se sont cassé les dents sur ce marché pris entre deux feux. Alors que ses équipes travaillaient depuis des mois à la conception de deux nouveaux modèles, Google annonçait l’an passé avoir retiré la prise, impuissant face à la domination du produit d’Apple.

Une décennie plus tard, Apple doit pourtant se distinguer de challengers de plus en plus inventifs, tels le chinois Huawei ou le coréen Samsung, qui mettent au point des smartphones dépliables comparables à des tablettes, tout autant que de concurrents plus ” traditionnels “, comme Microsoft, qui a fédéré toute une communauté autour de ses appareils hybrides, mi-tablettes, mi-ordinateurs portables. Sous la direction de l’ingénieur Panos Panay, Microsoft a trouvé la bonne formule en 2014 avec la Surface Pro 3 : une montée en gamme et un positionnement marqué sur les usages au bureau. Là où le produit pensé pour le grand public d’Apple laissait sur leur faim cadres et chefs d’entreprise (car ils n’y retrouvaient pas leurs logiciels de travail), la Surface est présentée comme un véritable PC Windows, mais séduit par sa fonction tablette.

Un avenir incertain

Et le géant de Seattle persiste, puisqu’il a récemment lancé la septième génération de sa Surface Pro. L’appareil ne cesse de se perfectionner. Le concept de ces ordinateurs polyvalents est d’associer un clavier ergonomique à un écran qui se détache pour devenir une tablette. Un produit deux en un qui correspond aujourd’hui à la quasi-totalité des besoins des usagers modernes : mobilité, puissance et utilisation multiple, à la fois pour le travail et les loisirs. Depuis 2015, date de la sortie de la première version, Microsoft capitalise sur ce design réussi, qui voit l’ordinateur se replier sur lui-même, laissant un petit espace au niveau de la charnière entre l’écran et le clavier.

Alors que la dernière version de l’iPad Pro a boosté ses ventes grâce au confinement, il est difficile de savoir si l’iPad parviendra un jour à fêter une seconde décennie d’exis- tence. Face à la polyvalence des nouveaux ordinateurs portables, dont la taille ne cesse d’ailleurs de se réduire, face surtout aux avantages des smartphones de dernière génération, son avenir est incertain. Et la génération biberonnée à la tablette pourrait n’en conserver qu’un souvenir nostalgique.

400 millions

d’iPad ont été vendus en 10 ans.

144 millions

de tablettes ont été vendues en 2019.

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