La sorcière

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Apparue chez les libraires en 2008 avec La princesse des glaces, Camilla Läckberg a bénéficié de l’effet Millénium, la trilogie de feu son compatriote Stieg Larsson, pour s’imposer. Mais pas uniquement. Forte d’un ADN classique qui doit autant à Simenon qu’à Agatha Christie, la maman virtuelle d’Erica Falck, son héroïne, n’a pas son pareil pour trousser des récits efficaces et infaillibles grâce à une écriture fluide qui n’occulte pas le fond, que du contraire. Avec La sorcière, son 10e opus et sans doute l’un de ses meilleurs ouvrages, Camilla Läckberg confirme que sa place dans le top 10 (avec Paula Hawkins, pour ne citer que la génitrice de La fille du train) des écrivains les plus vendus est loin d’être usurpée.

L’avantage avec les personnages récurrents, c’est que dès les premières pages, on se retrouve en territoire connu. Ce côté rassurant est sans doute l’une des raisons de l’immense succès de cette maman de quatre enfants qui articule ses intrigues dans un environnement géographique qui ne bouge pas – la ville côtière de Fjällbacka – avec une dizaine d’hommes et de femmes qu’on voit grandir et évoluer au fil de la série. Ainsi, dans La Sorcière, on découvre une Erica Falck qui évoque, avec Patrik Hedström, son époux de policier, le mariage de sa belle-mère. L’histoire aborde aussi le come-back de Marie Wall, ” la star célébrée d’Hollywood, de retour à Fjällbacka pour le tournage d’un film sur Ingrid Bergman “.

Ça tombe bien parce qu’Erica travaille justement sur un livre où Marie Wall figure en bonne place. Trente ans plus tôt, cette dernière faisait l’actualité avec sa copine Helen Persson pour avoir enlevé et tué la petite Stella, un petit bout de chou âgé de quatre ans. C’est tout l’art de Läckberg que de poser les bases de son récit à tiroirs dès les premières lignes. Ainsi, on apprend avec stupéfaction qu’à peine Marie Wall revenue au pays, Nea, une fillette du même âge que Stella, est retrouvée nue dans la forêt, assassinée. Pour Patrik Hedström et toute l’équipe du commissariat (Martin, Paula, etc.), la coïncidence est plus que troublante. Maîtrisant les codes propres au roman noir (une disparition d’enfant, dans le cas présent), la miss part de l’enquête proprement dite pour nous mener par le bout du nez pendant quasi 700 pages. En prenant le temps de tisser sa toile.

Déjà secouée par ce meurtre, la tranquillité toute relative de la communauté est aussi ébranlée par l’arrivée de réfugiés syriens, générant, comme partout ailleurs, des réactions contrastées. A travers La sorcière, l’écrivain signe un vibrant plaidoyer pour l’ouverture à l’autre, sans doute un peu cliché, mais tellement nécessaire en ces temps d’intolérance nauséabonde. Le lecteur fait très vite aussi la connaissance d’Elin Jondsdotter, de Fjällbacka également, une femme condamnée et exécutée pour sorcellerie en 1672, qui apparaît en filigrane de l’histoire sans qu’on ne sache très bien pourquoi jusqu’à la toute dernière page. Comme dans Les dix petits nègres, notre perception de la vérité est à chaque fois remise en question par la construction quasi architecturale de l’histoire, où plusieurs intrigues se déroulent en parallèle. Au final, ce polar contemporain, de par sa forme et ses thématiques abordées, ravira les adeptes de Camilla Läckberg, comme les amateurs du genre.

Camilla Läckberg, ” La sorcière “, traduit du suédois par Rémi Cassaigne, éditions Actes Noirs/Actes Sud, 696 pages, 24 euros.

PHILIPPE MANCHE

“Elles avaient les mêmes gestes, la même façon de parler, et le regard d’Helen rappelait celui de Marie. Un néant. Une vacuité calme.”

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