La révolution indicielle en marche

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Les fonds indiciels européens commencent à avoir autant de succès que les fonds indiciels américains. En cause, du moins en partie : les piètres performances des fonds activement gérés (même si les fonds obligataires performent mieux).

Les fonds indiciels semblent opérer une irrésistible percée. Les sommes qu’ils gèrent ont été multipliées par deux au cours des cinq dernières années grâce, il faut bien le dire, à l’intervention de la référence en matière d’investissement actif : Warren Buffett. En 2014, l’oracle d’Omaha a annoncé que 90 % de l’héritage personnel qu’il laisserait à son épouse seraient investis dans un fonds qui réplique l’évolution de l’indice S&P 500. Outre-Atlantique, les fonds indiciels constituent d’ores et déjà plus de 20 % du marché d’actions. Les fonds activement gérés y ont cédé du terrain au cours des deux dernières années, au profit des fonds indiciels (voir le graphique ” Afflux nets dans les fonds passifs et actifs “). En Europe également, les fonds indiciels gagnent en popularité, même s’ils sont encore loin d’avoir comblé la distance qui les sépare des fonds américains.

Les fonds indiciels répliquent un indice (d’actions ou d’obligations), moyennant des frais de gestion significativement moins élevés que dans le cas des fonds activement gérés. Ils rapportent à l’investisseur un rendement identique à celui de l’indice – pas plus, mais pas moins. Ils disposent, pour répliquer l’indice, de diverses techniques (lire l’encadré ” Comment fonctionnent les fonds indiciels ? “). Nombre d’entre eux sont aujourd’hui cotés en Bourse, sous la forme d’ETF (exchange traded funds, également appelés trackers). Les ETF ne sont toutefois pas limités aux fonds indiciels. Au contraire, un nombre sans cesse croissant de fonds activement gérés inscrivent à la cote une variante ETF qui est leur réplique exacte ; cela permet aux investisseurs de négocier en permanence le fonds en Bourse. Ne confondons surtout pas investissement en fonds indiciel et investissement passif (stratégie dite de buy & hold, qui consiste à acquérir des titres et à les conserver ” indéfiniment “). Il est également possible d’investir de façon passive dans des actions ou dans des fonds activement gérés. Enfin, nombreux sont les investisseurs qui investissent activement, c’est-à-dire en achetant et en cédant continuellement des fonds indiciels.

Popularité croissante

La popularité croissante des fonds indiciels s’explique par le fait que de plus en plus d’investisseurs sont convaincus de l’incapacité des fonds activement gérés à faire mieux, sur le long terme, que les indices. Les chiffres semblent leur donner raison : d’après les statistiques de Standard & Poor’s, près des trois quarts des fonds d’actions européens ont fait moins bien que l’indice S&P Europe 350 au cours des cinq dernières années. Sur les 10 dernières années (qui couvrent la crise financière et le krach de 2008-2009), la proportion atteint même 88,25 %. Les chiffres relevés aux Etats-Unis sont comparables (85,82 % sur cinq ans et 82,87 % sur 10 ans).

Les statistiques de S&P montrent encore à quel point il est difficile, pour les fonds d’investissement, de se maintenir au sommet. Des 631 fonds investissant dans des actions américaines qui figuraient parmi les 25 % des fonds les plus performants en septembre 2014, 18 seulement sont parvenus à demeurer en tête au cours des trois années qui ont suivi. S&P constate que plus la période de mesures est longue, plus il est difficile, pour un fonds activement géré, de continuer à mener la danse.

Soulignons que parmi les fonds activement gérés, les obligataires se portent relativement mieux que les fonds d’actions. Ainsi l’analyste Morningstar a-t-il calculé qu’au cours de la décennie écoulée, 44,4 % des fonds activement gérés investis en obligations d’une durée moyenne libellées en dollar, ont mieux performé que leur indice de référence – un pourcentage de deux à trois fois supérieur à ce qu’il est dans le cas des fonds d’actions. Plusieurs explications peuvent être envisagées (lire l’encadré : ” L’exception des fonds obligataires “).

Leur structure de coûts contribue sans conteste à expliquer pourquoi maints fonds activement gérés sont si peu rentables. Plus les frais de gestion sont élevés, plus le fonds a des difficultés à performer mieux que son indice de référence. Les fonds activement gérés qui investissent dans de grandes entreprises américaines portent en compte une indemnité de gestion fixée à 1 % en moyenne. Par comparaison, Vanguard S&P 500 ETF facture 0,04 % et iShares Core S&P 500 ETF, 0,07 %. Ce qui explique la pression exercée sur les gestionnaires pour qu’ils réduisent leurs prétentions, au profit d’une amélioration du rendement hors coûts. ” Les fonds qui survivent sont ceux dont les gestionnaires sont peu gourmands, qui investissent dans leurs propres fonds et qui conservent longuement leur position “, commente Ben Granjé (Morningstar Benelux).

Un marché inefficace

Les fonds indiciels présenteraient l’inconvénient d’empêcher les marchés financiers d’influer aussi efficacement qu’ils le devraient sur les cours des actions individuelles. Ils achètent, en effet, l’intégralité d’un indice, sans se soucier des cours des titres qui le composent. Le groupe des investisseurs qui, en vendant et en achetant des titres, en influencent le cours – à la hausse, quand tout va bien, à la baisse, dans le cas contraire – s’amenuise à mesure que les fonds indiciels gagnent en popularité. On constate d’ores et déjà une intensification de la corrélation entre les actions qui composent l’indice S&P 500 (les 500 entreprises américaines dont la capitalisation boursière est la plus élevée) et une baisse de la corrélation entre les entreprises constitutives de l’indice et celles qui ne s’y trouvent pas. En cause, apparemment : l’énorme importance des fonds qui répliquent l’indice S&P 500. En d’autres termes, compte tenu de la masse d’acteurs qui investissent dans l’indice S&P 500 par le truchement des fonds indiciels, les titres qui le constituent évoluent de plus en plus en bloc, indépendamment du reste du marché.

Même Jack Bogle, le fondateur de Vanguard, admet que ce serait une catastrophe financière si tout le monde investissait via les fonds indiciels – une probabilité qui, selon lui, est nulle. Lors d’une interview récente, il a calculé que les fonds indiciels constituaient actuellement 23 à 24 % du marché d’actions américain. ” Ce chiffre peut grimper jusqu’à 50 % sans nuire au fonctionnement des marchés financiers “, a-t-il ajouté. Ben Granjé ne s’émeut pas, lui non plus, du succès des fonds indiciels. ” La participation dans les trackers, par exemple, est actuellement minime par rapport aux actifs investis dans les fonds ordinaires, tout particulièrement pour ce qui concerne les grands indices, tient-il à rassurer. De surcroît, une grande partie de l’argent qui afflue en direction des trackers provient de fonds d’investissement qui, en substance, sont également des trackers, et qui pèsent eux aussi sur la liquidité au sein des marchés financiers “, ajoute-t-il.

Bulles

” Les investissements dans des fonds indiciels peuvent présenter un inconvénient majeur : les indices sont entraînés dans la formation des bulles, avertit Knut Huys, expert en fonds d’investissement chez Deutsche Bank. Le poids des actions prisées au sein de ces indices augmente à mesure que la bulle enfle. L’importance de certaines actions japonaises dans l’indice MSCI World s’est accentuée dans les années 1980 ; celle des actions TMT au sein de l’indice S&P 500 a augmenté à la fin des années 1990 ; enfin, l’immobilier et les banques ont pesé de plus en plus lourd à l’approche de la crise financière. Au moment où ces bulles ont éclaté, les indices, de même que les fonds indiciels qui y étaient liés, ont été entraînés dans la chute, rappelle Knut Huys. En évitant bulles et krachs, les gestionnaires de fonds activement gérés capables de s’abstenir de s’emballer ont une vraie valeur ajoutée. ”

Knut Huys souligne par ailleurs la valeur des gestionnaires de fonds mixtes activement gérés qui, en échange de leur rémunération, répartissent l’argent des investisseurs entre les différentes classes d’actifs (actions, obligations, etc.), de même que l’importance des fonds payant un revenu régulier, par exemple. C’est la raison pour laquelle il plaide en faveur d’une combinaison de fonds activement et de fonds passivement gérés. Il se félicite également de constater que les fonds indiciels chassent les fonds faussement actifs du marché.

Mathias Nuttin

“Ce serait une catastrophe financière si tout le monde investissait via les fonds indiciels.” – Jack Bogle (Vanguard)

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