La reine aux poings serrés

Clara Dupont-Monod, " La révolte ", éditions Stock, 240 pages, 18,50 euros. © pg

Aliénor d’Aquitaine (1122 ? -1204) a marqué l’histoire d’Europe pour avoir été successivement reine des Francs, par son premier mariage avec Louis VII, et reine d’Angleterre, après sa seconde union, avec Henri II Plantagenêt. Inédite performance qui se doit à la convoitise, aussi bien de la France que d’Albion, sur l’Aquitaine, qu’Aliénor dirigeait de main de maître. Elle aimait gouverner. Même mariée, elle a protégé son duché au péril de sa propre liberté, envoyant même ses enfants au combat contre leur père.

C’est sur cette dispute de famille qui a façonné profondément l’Europe médiévale, que revient Clara Dupont-Monod dans son dernier roman. La révolte se construit comme une chanson de geste écrite par le fils préféré de la souveraine. Richard Coeur de Lion, surnommé le Poitevin, voue à sa mère une admiration sans faille. Pourtant, on ne peut pas dire que l’affection de celle-ci fut démonstrative. ” Inutile d’attendre des mots d’amour. Ma mère n’en a jamais prononcé “, lui fait dire la romancière. ” Etre le fils d’Aliénor d’Aquitaine représente un inaccessible. Aliénor n’est pas une mère douce et aimante. Avec l’ambition qu’elle a et les obstacles qu’elle doit franchir, elle ne peut pas se le permettre “, analyse l’auteure. Richard la décrit comme ” une femme aux poings serrés “. ” Mais c’est aussi une main qui garde. Seul Richard est capable d’interpréter l’absence de sa part de mot d’amour. Le mot d’amour engage. Plus on donne, plus on a à perdre. Elle craint que lui soit enlevé tout ce qu’elle a, tout le temps. La meilleure façon de se cuirasser est de faire comme si on n’aimait pas. ”

N’aime jamais, ou tu sera dépouillé.

Aliénor garde des chagrins inconsolés. A l’époque où les souveraines sont principalement appelées à assurer la lignée, la double reine ne manquera pas à ses devoirs, donnant naissance à 10 enfants au cours de ses deux mariages. Mais le décès à l’âge de trois ans de Guillaume, son aîné des Plantagenêt, reste une blessure ouverte pour cette lionne qui a veillé au chevet de son petit à l’agonie. ” Je grandirai avec le fantôme de mon frère disparu, sans jamais savoir si ma mère m’a préféré pour ma ressemblance avec lui “, questionne Richard en quête de sa propre identité.

Femme forteresse

Outre cette tragédie maternelle, Aliénor tient à garder la main sur son Aquitaine. Pas question d’être la suzeraine de son empereur de mari. ” La femme forteresse ” ne se laisse pas faire et envoie en guerre ses propres fils Richard, Geoffroy et Henri le Jeune. En cavale, Aliénor sera capturée. Sa révolte (1173-1174), coeur du roman, se soldera par une quinzaine d’années de captivité outre-Manche. Clara Dupont-Monod profite de cet isolement pour la faire parler. ” Là où l’historien cauchemarde dans les blancs laissés par l’absence de trace écrite, le romancier se nourrit de ces blancs, justifie l’auteure. Toute la force de résistance d’Aliénor se déploie dans sa geôle. Cela me permet de lui offrir un peu d’introspection. ” Dans sa correspondance, Aliénor conseille à Richard, aux portes de Jérusalem, de se méfier de Saladin. Le pessimisme de l’expérience se confronte à la foi en l’avenir du jeune prince qui aspire à une réconciliation des chrétiens et des musulmans. Sur ce clin d’oeil à notre situation contemporaine, sans message appuyé toutefois, la journaliste et chroniqueuse française conclut un passionnant portrait de femme en avance sur son temps.

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