La proie des ” émirs “

Yasmina Khadra, " Khalil ", éditions Julliard, 264 pages, 19 euros.

Le 13 novembre 2015, Khalil est dans le métro parisien. Le jeune homme s’apprête à se sacrifier pour la cause. A l’heure convenue, il appuie sur le bouton… et rien ! La ceinture d’explosifs, destinée à meurtrir des dizaines de passagers, ne se déclenche pas. D’où vient l’erreur ? Au même moment, la panique s’empare de la capitale française qui vient d’entendre les rafales du Bataclan après les explosions au Stade de France. Pour Khalil, il faut fuir. Il appelle un ami et rentre en Belgique. Originaire de Molenbeek, il va chercher à découvrir les raisons de ce geste manqué. Rongé par la crainte d’être considéré comme un lâche, Khalil devra remonter son propre réseau et retrouver les siens. Aura-t-il une seconde chance pour prouver son engagement envers ses ” frères ” ?

J’avais choisi sous serment de servir Dieu et de me venger de ceux qui m’avaient chosifié.

Si le personnage est fictif, le nouveau roman de Yasmina Khadra s’ancre dans la réalité on ne peut plus solide de ces heures sombres, au coeur des toiles officieuses d’un extrémisme religieux et terroriste qui a séduit de nombreux jeunes en perte de repères. Comme il l’avait fait pour L’Attentat en 2005, le romancier algérien rapproche le lecteur d’événements horribles, dans les plus intimes questionnements de ses personnages. Pour expliquer la radicalisation, l’auteur dépasse la pédagogie, animé d’une volonté profonde : ” Je voudrais que les gens retrouvent le cours normal de leur vie de tous les jours et échappent à la psychose. Je voudrais que les enfants évoluent dans des sociétés saines et tranquilles. ” Pour ce faire, il place Khalil face à ses doutes…

Flagornerie meurtrière

Au cours de sa fuite, le jeune homme retrouve ses soeurs et ses amis, qui le renvoient à ses propres contradictions, théologiques notamment. A quoi ça sert de se sacrifier pour une vie dont on ne profitera pas ? Jusqu’où est-on prêt à défendre ce qui nous semble juste ? Khadra connaît son sujet et tente de nous montrer par l’exemple le pouvoir du discours séducteur des ” émirs “, prêcheurs de haine à la voix mielleuse. ” Je suis allé dans les mosquées écouter ces gens au verbe flamboyant. Le verbe a toujours été l’outil le plus efficace pour la domestication des masses. C’est comme ça que les politiques nous embrouillent à chaque coup. Quelqu’un qui n’a pas de culture et qui entend un discours au vocabulaire difficile a envie d’accéder au savoir du savant. ” De ” la flagornerie meurtrière “, que tente de vaincre ” la sincérité de la sagesse ordinaire ” du vieux Mokka, le sage de cette histoire.

” Ce sont des malades ”

Point d’excuse pour autant dans le discours de l’écrivain. Khadra n’entend pas tomber dans ce piège et renvoie son protagoniste à sa propre responsabilité. ” Khalil s’est interdit toute émancipation. Personne ne l’a obligé à quitter l’école, avance-t-il. En renonçant à leur vie et à leurs rêves, en renonçant à tout ce qui pourrait les aider à avancer dans leur vie, ces jeunes se sont retrouvés dans un monde qui leur échappe tout doucement et qu’ils ne comprennent pas. Certains sont vraiment convaincus mais c’est une minorité. Ce sont des malades ! ”

L’écriture de Khadra va droit au but, ne cherche pas la fioriture. Peu de gants dans la manière, une philosophie parfois un peu facile. Mais l’accessibilité du récit le rend d’autant plus humain. L’enjeu était évidemment de prendre Khalil en empathie, de suivre son parcours de victime consentie. Le héros se pense prédateur, il n’est que la proie de promesses d’un monde meilleur que celui qu’il est prêt à mettre à sang.

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