La prison guette les CEO négligents

RUDY VAN RILLAER Le patron de PostNL Belgique aura passé plusieurs semaines en détention provisoire. © Imagedesk

Le CEO de PostNL est soupçonné de diriger une organisation criminelle parce que son entreprise travaillerait avec de faux indépendants. En théorie, en Belgique, les membres d’un conseil d’administration n’ont même pas besoin de savoir que des infractions pénales ont été commises pour être effectivement condamnés…

Le CEO et le directeur opérationnel de PostNL Belgium ont été libérés après plusieurs semaines de détention provisoire. Ils sont notamment soupçonnés de traite d’êtres humains, de gestion d’organisation criminelle, de faux en écriture. La sévérité des accusations a surpris de nombreux experts. “Généralement, les dirigeants qui finissent en prison sont actifs au sein d’entreprises qui ont été créées à des fins illégales, par exemple en vue d’une fraude à la TVA ou à la faillite, explique l’avocat anversois Kris Luyckx, du cabinet Desdalex. Un CEO d’une entreprise ordinaire comme PostNL en prison reste une exception.”

L’avocat spécialiste du droit du travail Herman Van Hoogenbemt, du cabinet Tilleman-Van Hoogenbemt, confirme: les cadres supérieurs des grandes entreprises ne sont presque jamais emprisonnés pour des infractions sociales. “Sauf qu’ici, le CEO est apparemment aussi soupçonné de trafic d’êtres humains. C’est une allégation particulièrement grave.”

Jusqu’à trois ans de prison

En travaillant avec des employés d’entreprises de transport de colis extérieures, la direction aurait également commis une infraction au droit du travail: le “détachement de personnes”. Cela se produit lorsqu’un employeur prête ses employés à un tiers qui a le pouvoir de leur faire exécuter des tâches. Ce travail temporaire est bien sûr autorisé, mais dans des conditions strictes.

Une entreprise qui prête ou loue illégalement du personnel risque une amende pénale pouvant aller jusqu’à 8.000 euros par personne mise à disposition. Cette sanction concerne également le CEO, le conseil d’administration ou toute direction qui autoriserait ce procédé. Si ces personnes travaillant sous un un statut illégal sont des étrangers, l’amende peut atteindre 24.000 euros par personne. Et l’auteur de ce crime risque jusqu’à trois ans de prison…

Jusqu’en 1999, les entreprises ne pouvaient pas être elles-mêmes sanctionnées. Un directeur pouvait certes être inculpé et condamné, mais seulement à une amende. Dans la pratique, c’est la société qui payait car elle était responsable de ses administrateurs. “Aujourd’hui, le tribunal peut traiter directement avec une entreprise, explique Herman Van Hoogenbemt. La démarche auprès de PostNL peut aussi être une manière de rendre l’entreprise partiellement responsable du préjudice, de la sécurité sociale éventuellement éludée. L’auditorat du travail de Malines veut apparemment aussi donner un signal fort à l’ensemble du secteur du commerce électronique: respectez les règles ou vous pouvez être poursuivis.”

La prison guette les CEO négligents
© K. Van Exel

En cas d’infraction au droit du travail, les chefs d’entreprise courent donc désormais un risque plus élevé de sanction. Et ils sont déjà considérés comme complices s’ils ont été négligents en les commettant. La loi suppose, dans certaines circonstances, que la direction aurait dû savoir que des infractions avaient été commises. “Les membres du conseil d’administration doivent être très vigilants, poursuit Herman Van Hoogenbemt. Ils doivent être en mesure de démontrer qu’ils ont tout fait pour prévenir les infractions, par exemple en faisant appel à du personnel spécialisé ou à des conseillers externes.”

Dans le passé, l’entreprise et ses cadres ne pouvaient être condamnés conjointement que s’ils avaient commis le délit intentionnellement. Aujourd’hui, le juge peut également tenir des personnes solidairement responsables, même si elles n’étaient pas au courant des infractions. “La simple négligence peut ainsi être punie plus sévèrement”, constate Stijn De Meulenaer, associé du département de droit pénal des affaires du cabinet d’avocats Everest

Certes, légalement, les cadres ne sont pas automatiquement responsables des erreurs commises par les échelons inférieurs. Selon le droit pénal belge, il doit y avoir une faute personnelle. “Mais ça, c’est la théorie, raisonne Dave van Moppes, partner au cabinet Tuerlinckx Tax Lawyers. Dans la pratique, les chefs d’entreprise sont presque automatiquement poursuivis pour les actes ou omissions d’autrui.”

Souvent, la direction plaide l’innocence et tente d’attribuer la cause de la fraude à l’entreprise. “Le tribunal désignera alors un avocat ad hoc qui défendra les intérêts de l’entreprise, si nécessaire contre ceux de la direction”, témoigne Kris Luyckx.

De manière générale, la responsabilité des entrepreneurs s’étend. Stijn De Meulenaer rappelle combien les banquiers, comptables, courtiers, avocats et autres intermédiaires ont, par exemple, le devoir de signaler tout soupçon de blanchiment d’argent par un client. “Ceux qui considèrent à tort une transaction comme légitime courent le risque de se retrouver sur le banc des accusés. Le tribunal peut décider qu’ils auraient dû savoir qu’il y avait fraude…”

Assurer la négligence

La distinction entre intention et négligence fait également une différence pour l’assurance responsabilité civile des administrateurs et des dirigeants. “Celle-ci couvre les erreurs grossières mais pas la fraude intentionnelle, précise Kris Luyckx. Un gestionnaire qui doit payer une amende pénale mais qui n’a pas participé sciemment et intentionnellement à la fraude sera donc couvert par l’assurance. Bien sûr, en principe, il peut aussi être condamné à une peine de prison, mais c’est tellement exceptionnel que c’est un risque négligeable.”

La responsabilité des CEO est surtout invoquée lorsqu’il y a infraction au droit du travail. “Le gouvernement veut surtout récupérer les revenus de l’ONSS et fera rarement appel à la justice pénale s’il y parvient”, assure Herman Van Hoogenbemt. Les autorités fiscales optent elles aussi généralement pour le recouvrement de l’argent des impôts et une amende administrative. Les procureurs eux-mêmes sont également de plus en plus enclins à conclure un accord en cas de fraude fiscale et sociale. Le procureur général de Bruxelles a lui-même récemment déclaré que la fraude d’entreprise n’était pas une priorité en matière de poursuites…

“Un petit dealer de cocaïne en rue a plus de chances d’être poursuivi que les fraudeurs à la sécurité sociale, aux impôts ou aux faillites, confirme Kris Luyckx. Ceux-ci provoquent pourtant souvent plus de dommages à la société puisqu’ils cause un préjudice aux finances de l’Etat. Il peut également s’agir de concurrence déloyale dans

des secteurs sensibles à la fraude, tels que les services de nettoyage. Cela dit, le seuil de poursuite en matière de fraude fiscale et sociale simple a été abaissé ces dernières années.”

D’ailleurs, même lorsqu’ils sont condamnés dans des affaires de fraude majeure, ce sont généralement les seconds couteaux qui en paient le prix. “Dans les grands carrousels à la TVA, par exemple, le butin et les principaux responsables se trouvent généralement à l’étranger, ce qui rend l’exécution des peines problématique”, rappelle Thomas Incalza, professeur de droit à l’UHasselt et à la KU Leuven. Et puis il est difficile d’enquêter sur une fraude d’entreprise bien organisée ayant des ramifications internationales. “La justice n’a pas la capacité de s’attaquer en profondeur à la fraude complexe des entreprises”, conclut Kris Luyckx.

Herman Van Hoogenbemt
Herman Van Hoogenbemt© Imagedesk

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