Christophe De Caevel
Vivaldi: la politique des Pokémon
Le seul moment où le gouvernement De Croo semble avoir réussi à dépasser ses lignes de fracture, c’est lors de la confection du plan de relance.
Le budget 2022 devait sonner le véritable lancement de la coalition Vivaldi, dont les premiers mois ont été accaparés par la crise du Covid-19 (beaucoup) et l’élaboration du plan de relance (un peu). Malheureusement, le moteur hoquette toujours et l’on peine à trouver, dans les décisions du gouvernement De Croo, ne serait-ce que l’amorce de la construction d’un récit pour l’avenir du pays. On supprime la vieille cotisation de crise, mais pas tout à fait ; on veut assouplir la législation du travail dans l’e-commerce, mais pas vraiment ; on veut décourager de prendre l’avion, mais sans réduire le trafic dans les aéroports ; etc. Dans une carte blanche publiée par Het Laatste Nieuws, Noël Slangen, ancien spin doctor de Guy Verhofstadt, a utilisé cette image, à notre sens pertinente, d’un gouvernement Pokémon: les sept partis s’échangent mesures et trophées électoraux comme des écoliers s’échangent des cartes Pokémon dans la cour de récréation, sans le moindre souci de créer un projet cohérent.
Le seul moment où le gouvernement De Croo semble avoir réussi à dépasser ses lignes de fracture, c’est lors de la confection du plan de relance.
Or, justement, c’est l’élaboration d’un projet cohérent qui permet aux uns et aux autres d’assumer de vrais compromis. Et qui permet, plus largement, l’acceptation sociale des efforts demandés à certaines catégories de la population. Sans un élan fédérateur, il semble impossible de surmonter les divergences idéologiques entre les sept partis pour construire l’avenir du pays. La Belgique apparaît alors comme “la terre du surplace”, incapable qu’elle est de mener les vraies réformes en profondeur pour répondre aux défis des pensions, du climat ou de l’emploi. Noël Slangen invite à se tourner vers l’Allemagne où sociaux-démocrates, écologistes et libéraux semblent parvenir à définir une ambition commune (en l’occurrence, l’enjeu climatique).
Il faut remonter à l’arc-en-ciel de Guy Verhofstadt (d’où peut-être le texte de son spin doctor…) pour retrouver une coalition avec ce genre d’élan, d’enthousiasme communicatif. C’était peut-être une question de personnes et d’époque (plusieurs vice-Premières ministres, les partis chrétiens dans l’opposition, etc.) mais certainement aussi une affaire de moyens: la forte croissance du début des années 2000 permettait de satisfaire les demandes politiques de chacun sans trop se préoccuper de l’état des finances publiques. L’histoire retiendra que cette période fut aussi une occasion manquée d’organiser la soutenabilité à long terme de notre régime de pensions.
Le seul moment où le gouvernement De Croo semble avoir réussi à dépasser ses lignes de fracture, y compris régionales, c’est sans doute lors de la confection du plan de relance, avec des objectifs ambitieux et relativement clairs. Cela tend à confirmer que quand il y a de l’argent à distribuer (et là, l’Europe en amenait pas mal sur la table), on peut oublier les divergences idéologiques.
Cette coalition Vivaldi semble en fait minée par sa genèse: un regroupement par défaut, seule formule mathématiquement praticable pour éviter un gouvernement avec la N-VA. Une option par défaut suscite rarement l’enthousiasme. D’autant que dans les semaines qui précédaient, le plus grand parti de cet attelage (le PS) avait longuement négocié avec ceux que l’on a finalement voulu contourner. Paul Magnette et Bart De Wever avaient échafaudé un improbable accord – en gros une politique de gauche contre une radicale réforme de l’Etat – susceptible de faire bouger durablement les lignes de la politique belge. Ils n’ont pas réussi à convaincre des partenaires de les rejoindre autour de ce pari un peu fou. Cet épisode a laissé derrière lui un parfum d’occasion manquée que la Vivaldi n’a jusqu’ici pas réussi à éclipser.
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