La note bleue du Gers

JaZZ in Marciac Pendant trois semaines, la localité de 1.350 âmes se métamorphose pour accueillir 250.000 visiteurs et des dizaines de musiciens de classe mondiale. © Francis Vernhet/PG

Lancé en 1978, Jazz in Marciac s’est lentement mais sûrement imposé comme le rendez-vous estival que les amateurs de jazz ne peuvent manquer (du 25 juillet au 15 août cette année). Tous les grands y ont joué : de Toots Thielemans à Lionel Hampton en passant par Dizzie Gillespie et Oscar Peterson. Un exploit pour une petite ville de 1.350 âmes perdue au milieu du Gers.

“Mais, il n’y aura que des vaches dans la salle ! ” Cette exclamation du bluesman Memphis Slim, l’une des premières stars mondiales à avoir joué à Marciac, résume bien l’incrédulité exprimée par de nombreux musiciens au moment de découvrir cette petite ville du Gers, perdue entre Pau, Tarbes et Auch. Située de surcroît à deux heures de l’aéroport le plus proche : Toulouse. ” Souvent, explique Jean-Louis Guilhaumon, maire de Marciac et président de Jazz In Marciac, les musiciens arrivent tard la veille et sont proprement éberlués quand ils se rendent compte qu’ils sont venus de l’autre bout de la terre pour jouer dans un gros village… ”

Depuis Memphis Slim en 1980, grâce au bouche à oreille et l’événement exceptionnel mis en place par l’équipe française, toutes les stars mondiales du jazz sont venues se perdre dans ce coin rural du sud-ouest de la France : Ray Charles, Oscar Peterson, Chick Corea, Diana Krall, Melody Gardot, Dizzie Gillespie, Ibrahim Maalouf, Stan Getz, Dee Dee Brigdewater, Toots Thielemans, Lionel Hampton, etc. Venu pour la première fois en 1991, Wynton Marsalis est tombé littéralement amoureux du village et de la ferveur peu commune qui y règne. Il est devenu le parrain du festival, y joue chaque année et a même le privilège d’avoir sa statue sur la place principale. Mais comment diable cette localité de la France profonde a-t-elle réussi un tel exploit ?

Toutes les stars mondiales du jazz sont venues se perdre dans ce coin rural du sud-ouest de la France.

Retombées économiques spectaculaires

L’histoire débute en 1976. Jean-Louis Guilhaumon, professeur d’anglais au collège de Marciac, est chargé par le maire de l’époque de mettre sur pied un foyer des jeunes et d’éducation populaire et d’y organiser des manifestations dans ce qui, à l’époque, est un territoire dévasté sur un plan culturel. Deux ans plus tard, l’arrivée dans le village de l’instituteur André Muller, passionné de note bleue et fondateur d’un festival de jazz dans le Val-d’Oise, va conduire à l’organisation d’un premier concert dans les arènes de Marciac, plus habituées aux courses landaises (une forme de tauromachie) qu’au saxophone. Claude Luter, compagnon de route de Sidney Bechet et de Boris Vian dans les caves de Saint-Germain-des-Prés, est à l’affiche. ” Ce fut un gros succès, se rappelle Jean-Louis Guilhaumon. L’année suivante, nous avons osé un week-end. Dans un lieu tout aussi improbable : une usine de meubles dont nous profitions des congés annuels pour transformer le grand atelier en salle de concert. Elle était installée dans le quartier St- Germain de Marciac. Ce devait être prédestiné… Nous ne sommes passés au chapiteau de cirque qu’en 1983. Le jazz avait pris racine chez nous. La musique n’est qu’un prétexte, si vous voulez. Le festival a été le moteur d’un développement culturel et économique. La légende est née parce que les musiciens en ont parlé entre eux. Charmés par l’accueil, le contexte, la ferveur, la douceur de vivre. ”

La note bleue du Gers
© Francis Vernhet/PG

Pendant trois semaines l’été, Marciac se transforme en capitale mondiale du jazz. Il règne une ambiance de fête permanente et tout le village se met au diapason. La place principale abrite un podium qui accueille des concerts gratuits et des stands des partenaires mais aussi de producteurs locaux. Car, après la billetterie, le shopping est évidemment le deuxième poste de dépenses des festivaliers. La région comporte six appellations d’origine contrôlée qui touchent au foie gras, au vin, au porc noir, etc. Pendant le festival, le village bruisse aussi de bars et de restaurants éphémères établis partout où c’est possible, même dans des maisons transformées pour l’occasion. Une soixantaine de commerces de bouche supplémentaires ouvrent pour l’occasion, sans oublier les extras engagés par les commerçants ou restaurateurs habituels. Dame, 250.000 visiteurs dans un village de 1.350 personnes, cela ne passe pas inaperçu… Mille bénévoles venus de la région participent à l’accueil et à l’organisation du festival.

” Aujourd’hui, le budget du festival s’établit à 4,8 millions d’euros, poursuit le maire de Marciac. Mais les retombées économiques sont estimées à 20 millions d’euros avec de nombreux emplois à la clé. Il y a clairement eu le développement d’une économie de festival. Quand je suis devenu maire en 1995, je me suis efforcé d’aider à la construire. A l’époque, le grand supermarché avait fermé et l’hôtel suivait le même chemin. Aujourd’hui, un hôtel cinq étoiles, excusez du peu, s’est installé dans une ancienne école élémentaire destinée aux garçons. Notre ancienne gendarmerie est devenue une maison médicale. Nous avons bénéficié de nombreux investissements privés liés au tourisme et à la musique. Un gymnase va bientôt s’ouvrir, le Café de l’Hôtel de Ville, un joyau du 19e siècle, va être rénové dans sa forme originelle et transformé en brasserie. Une galerie d’art contemporain complète le tableau. C’est vrai que quand je rencontre des collègues maires de localités comparables, ils me regardent avec envie. Chez nous, plus de désert culturel, commercial, médical ou scolaire… ”

Le trompettiste Wynton Marsalisse produit chaque année depuis 1991 à Marciac. Devenu parrain du festival, il a le privilège d'avoir sa statue sur la place principale.
Le trompettiste Wynton Marsalisse produit chaque année depuis 1991 à Marciac. Devenu parrain du festival, il a le privilège d’avoir sa statue sur la place principale.© Francis Vernhet/PG

Des formations originales

Le festival a aussi engendré la création d’un réseau dense de maisons d’hôtes et de gîtes destinés à absorber l’afflux de visiteurs. Une économie d’accueil qui a permis à certains locaux de changer de métier et embelli le quotidien d’agriculteurs qui y ont trouvé de nouveaux débouchés. Une autre raison de la forte culture d’appropriation tient en l’exploitation intelligente du succès du festival. Il y eut d’abord des formations au jazz. Le principe ? Un artiste vient donner un concert et en profite pour donner des cours pendant tout un week-end. Une idée qui a fait rire dans certains milieux mais ce projet culturel de territoire a eu un succès tel qu’aujourd’hui, Marciac dispose de sa propre salle de spectacle et espace de formation : l’Astrada (qui signifie la destinée en occitan). Une salle de 500 places dans un village de 1.350 personnes ? C’est totalement surréaliste et pourtant…

Devenu, début des années 1990, principal du collège, Jean-Louis Guilhaumon était confronté, comme bon nombre de ses collègues de la France profonde, à un manque cruel d’élèves. Au point que son établissement menaçait de fermer. Il eut alors l’idée de créer le concept des ateliers d’initiation à la pratique du jazz. Des cours destinés aux élèves du secondaire de la 6e à la 3e.

” Là aussi, la lutte fut ardue, confie Jean-Louis Guilhaumon. Nous sortions clairement du moule et, à une époque, nous avons même été exclus de la réforme des collèges par le ministère. Mais nous avons eu gain de cause grâce à l’enthousiasme du recteur et de l’inspecteur et grâce à notre financement particulier. Nous enseignons la pratique du jazz à des jeunes. En insistant sur la pratique de groupe et l’improvisation. Cette dernière permet aux jeunes de laisser libre cours à leur créativité. Le but n’est pas de créer des musiciens professionnels mais de permettre à des enfants de tous les milieux de s’épanouir et de développer des valeurs d’écoute et de respect du collectif. Je suis très fier aujourd’hui de constater qu’un certain nombre de nos élèves sont devenus des musiciens professionnels. Le succès fut immédiat. En trois ans, nous avons doublé la fréquentation du collège. Succès qui continue aujourd’hui avec des pensionnaires en internat qui viennent parfois de très loin. ”

Le trompettiste Wynton Marsalisse produit chaque année depuis 1991 à Marciac. Devenu parrain du festival, il a le privilège d'avoir sa statue sur la place principale.
Le trompettiste Wynton Marsalisse produit chaque année depuis 1991 à Marciac. Devenu parrain du festival, il a le privilège d’avoir sa statue sur la place principale.© Belgaimage

Pour parachever l’oeuvre, Marciac fait vivre son festival toute l’année avec une cinquantaine de concerts à l’Astrada et des événements festifs mis sur pied par les 60 associations du village.

Sting et les Jacksons

L’autre succès du festival est d’avoir réussi à attirer un remarquable groupe de partenaires et de mécènes qui sont le reflet de la France économique d’aujourd’hui : Total, Colas, Vinci, Banque Populaire, Ponticelli, Caisse des Dépôts, Vivendi, Airbus, Air France, Pierre & Vacances, France 3, France Inter, Le Monde, Le Point, la Fnac, etc. Ils apportent, outre du soutien logistique ou des services, 22 % du budget total du festival. La billetterie et les recettes annexes comptent pour 70 % des 4,8 millions. Le solde (8%), ce sont les différents subsides publics. Un niveau relativement bas pour un festival d’une telle magnitude. Aujourd’hui, Jazz In Marciac occupe six équivalents temps plein toute l’année. Autant dire que construire l’affiche n’est pas tellement compliqué vu la notoriété du festival. Cette année, pour la 42e édition, le grand chapiteau (6.000 places assises tout confort) et l’Astrada vont encore vivre de grandes soirées du 25 juillet au 15 août. Au programme ? Sting, les Jacksons, Wynton Marsalis, Gregory Porter, George Benson, Chucho Valdés, Chick Corea, Melody Gardot, Thomas Dutronc et les Esprits Manouches, Manu Dibango, Gilberto Gil, etc. Suivant les soirées, le prix des places démarre à 22 euros. Des abonnements sont possibles pour qui veut rester plusieurs jours.

Plus d’informations sur www.jazzinmarciac.com

La note bleue du Gers

Un sponsor historique

Le Gers est un véritable pays de cocagne. Il y a fait très beau l’été mais la région est aussi connue pour ses pluies diluviennes, surtout l’hiver, sous l’influence des Pyrénées. C’est la région du foie gras, des canards et du maïs qui sert à les engraisser. Mais aussi le principal pourvoyeur de kiwis en France. Et, comme nous sommes dans le Sud-Ouest, c’est aussi une jolie région viticole. Avec quelques appellations (AOC et IGP) : Saint-Mont, Madiran, Pacherenc-du-vic-bilh (blancs secs et moelleux) et Côtes de Gascogne. A l’origine de cette dernière, un homme : André Dubosc, le fondateur de Plaimont, le plus grand producteur viticole du Gers. En fait, il s’agit d’un groupement de coopératives, de domaines et de châteaux. Soit 850 familles qui exploitent 3.500 hectares de vignes. Plaimont accompagne Jazz in Marciac depuis ses débuts. Pour reconnaître les producteurs dans le village, ce n’est pas compliqué, il suffit de repérer les bérets gascons, véritables emblèmes du groupement…

Plaimont produit 35 millions de bouteilles par an. Certaines cuvées se retrouvent dans les rayons de la grande distribution belge comme le Diable Rose (un rosé en l’honneur de nos Diables Rouges à moins de 5 euros) ou la Réserve des Lauriers (un chouette rouge de soif en appellation Saint-Mont) chez Colruyt. Mais à côté de ces vins ” commerciaux “, le groupement réalise aussi un beau travail de mise en avant du patrimoine local et du terroir. Ainsi, à Saint-Mont, le monastère, jusqu’il y a peu propriété de la famille Laborde (Françoise et Catherine ont fait carrière à la télévision française, leur soeur Geneviève est toujours adjointe au maire de Saint-Mont), a été racheté par le groupement et transformé en hôtel 4 étoiles avec restaurant gastronomique et bar à vins. Il est géré par deux Belges, Jean-Paul et Béatrice Tossens, anciens exploitants de l’Hostellerie du Mont-Kemmel (13,5/20 au Gault& Millau). Plaimont met aussi en exergue les cépages ancestraux dont certains avaient disparu. Il dispose ainsi, dans un lieu tenu secret, d’un conservatoire ampélographique d’où est ressorti le manseng noir, de la même famille que le tannat, cépage roi de la région. A partir d’un seul pied, les vignerons de Plaimont l’ont fait renaître et le vinifient dans deux cuvées très intéressantes : Manseng Noir (100 %) et Moonseng (avec du merlot). Elles sont disponibles chez nous auprès de la Cave des Sommeliers (13,73 et 6,69 euros – www.la-cave-des-sommeliers.com). Enfin, à Sarragachies, Plaimont dispose de la seule vigne inscrite aux Monuments historiques. Et pour cause, elle date de plus de 150 ans et a résisté au phylloxéra. On y trouve, complantés, une vingtaine de cépages dont ce tardif qui vient d’être inscrit au catalogue national. Très épicé, il n’a plus été vinifié depuis 100 ans !

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