La fleur de sel, trésor de Camargue

© photos : Jean-Marc Favre

Ses fins cristaux formés et récoltés manuellement à la surface de l’eau sont renommés depuis des millénaires. Face à une concurrence de plus en plus vive, la fleur de sel s’aromatise pour séduire de nouveaux marchés.

Il faut la voir briller cette fleur de sel, sur les cristallisoirs des salins d’Aigues-Mortes. Elle ressemble à de la poussière de diamant. Ce trésor s’est déposé grâce à l’action du vent sur les rives des bassins et se détache dans un camaïeu de roses sur le ciel bleu qui brille sur la cité médiévale camarguaise.

Fraîche, la fleur de sel a, en effet, cette couleur légèrement rosée, due à la présence dans l’eau d’une algue, la dunaliella salina, qui peut survivre dans des milieux très salés en produisant du béta-carotène, qui donne cette superbe teinte rose aux bassins les plus chargés en sel. C’est aussi grâce à cette algue que les flamants qui peuplent les paysages de Camargue sont d’un rose du plus bel effet. Ils se régalent en effet de petits crustacés qui se nourrissent de cette algue rose. La couleur se transmet donc tout au long de la chaîne alimentaire…

11.500 terrains de foot

Les salins d’Aigues-Mortes s’étendent sur quelque 8.000 hectares, soit la surface de 11.500 terrains de foot, plus ou moins équivalente à celle de Paris intra-muros. Au nord se détachent les remparts, construits par Saint-Louis au 13e siècle. Au sud s’étend la Méditerranée, dans laquelle le Groupe Salins pompe les 50 millions de mètres cubes d’eau nécessaires pour produire annuellement 250.000 tonnes de sel. Au milieu, se trouvent 7.500 hectares de bassins : des bassins de circulation (ou de partènements), des bassins de réserve pour la saumure (eau saturée en sel) et enfin, des bassins de cristallisation ou tables salantes, où sera récolté le sel.

Plus on se dirige vers la mer, moins l’eau est chargée en sel et plus les oiseaux sont nombreux. Près de 200 espèces peuplent ce site classé en zone Natura 2000. Des avocettes élégantes, des mouettes mélanocéphales et rieuses, des hérons, des aigrettes, etc. habitent cet écosystème original, particulièrement riche et varié. En se baladant, on croise les ruines de quelques maisons de sauniers qui, autrefois, travaillaient et habitaient sur place, mais aussi les camelles, ces montagnes blanches qui stockent jusque 300.000 tonnes de sel chacune. Les salins d’Aigues-Mortes produisent du sel fin, du gros sel et de la fleur de sel, écoulés sous deux marques : La Baleine et Le Saunier de Camargue.

La fleur de sel, trésor de Camargue
© photos : Jean-Marc Favre

Le pompage de l’eau dans la Méditerranée débute en mars. Grâce à un densimètre, les sauniers vérifient constamment le taux de salinité de l’eau. En cas de fortes pluies ou de caprices du Rhône, l’eau de mer ne sera pas assez concentrée en sel, on stoppe alors le pompage. De mars à juin, l’eau va circuler à travers les différents bassins pour se charger progressivement en sel.

290 g de sel par litre

Au départ, la concentration en sel est de 29 g par litre d’eau. En quatre mois, l’eau aura parcouru 60 km et grâce à l’action du vent, Mistral et Tramontane, et du soleil, l’eau (évaporée à 90 %) va atteindre son seuil de saturation : 290 g de sel par litre. Les cristaux de sel vont alors se former et retomber au fond des tables salantes, qui font une quinzaine de centimètres de profondeur.

Mais ce phénomène de concentration ne doit pas être trop rapide. Les différents bassins sont donc contrôlés en permanence par les six sauniers et leurs deux assistants. Lesquels doivent connaître par coeur chaque recoin de ce gigantesque salin et faire circuler l’eau, selon les caprices de la météo. En cas d’importantes averses, il leur faudra par exemple évacuer l’eau de pluie (plus légère que l’eau salée et restant donc à la surface des bassins). Et ce, même s’il est 4 h du matin… Car si le fonctionnement du salin est modélisé par ordinateur, toutes les portes de communication entre les différents bassins doivent être manipulées à la main. Autrefois, le métier de saunier se transmettait de génération en génération. C’est de moins en moins le cas aujourd’hui. Et comme il n’y pas d’école pour devenir saunier, on estime qu’il faut cinq ans d’apprentissage sur le terrain pour maîtriser toutes les ficelles du métier.

La fleur de sel  est le résultat d'un choc thermique. Elle se forme certains après-midis d'été, lorsque l'écart de température provoqué  par la brise permet  une fine cristallisation.
La fleur de sel est le résultat d’un choc thermique. Elle se forme certains après-midis d’été, lorsque l’écart de température provoqué par la brise permet une fine cristallisation.© Photos PG

Un produit unique et magique

Une fois que le gâteau de sel a atteint une épaisseur d’environ 10 cm dans les tables salantes, entre août et septembre, il est prêt à être découpé par de grosses machines récolteuses et à être stocké en camelle. Il sera enfin lavé à haute pression, avant d’être commercialisé.

Comme le sel, la fleur de sel naît, elle aussi, dans les bassins cristallisoirs. Mais il s’agit d’un produit unique, qui se différencie par sa méthode de récolte manuelle, son prix de vente, son goût et l’usage que l’on en fait. A l’époque de la gabelle, la fleur de sel de Camargue était le privilège des propriétaires de salins et des maîtres sauniers, exemptés de taxe sur le sel, et qui s’octroyaient ce produit à la granularité et à la saveur si particulières.

La fleur de sel est en fait le résultat d’un choc thermique. Elle se forme principalement les après-midis d’été, lorsque l’écart de température provoqué par la brise permet une fine cristallisation. Les cristaux de fleur de sel sont alors piégés en plaques à la surface des bassins. Et comme ils sont beaucoup plus fins que ceux du gros sel, ils restent en surface. Ils sont aussi plus blancs que gris.

15 fois plus cher que le sel ordinaire

La ” cueillette ” de la fleur de sel débute mi-juillet, réalisée par des saisonniers simplement armés de pelles à pousser et à charger, s’activant le long des berges des tables salantes. A Aigues-Mortes, on ne ramasse que 500 à 700 tonnes de fleur de sel par an. C’est cette rareté, ainsi que la main-d’oeuvre nécessaire pour la récolter, qui explique le prix élevé (15 fois supérieur au sel classique) de ” l’or blanc ” de Camargue.

La particularité de la fleur de sel, c’est aussi qu’elle est le reflet de son terroir puisque, contrairement au gros sel, celle-ci n’est pas nettoyée à haute pression mais triée à la main et nettoyée au pinceau pour en ôter les impuretés. Elle contient donc encore tous ses minéraux naturels et sa saveur change légèrement d’une région à une autre. Ce qui fait également la différence, c’est cette texture si particulière, légèrement craquante dans un premier temps et qui fond ensuite délicieusement en bouche. Pour toutes ces raisons, on ne l’utilisera qu’en fin de cuisson ou sur des aliments crus.

Pour couronner l’excellence de ce produit d’exception, la fleur de sel d’Aigues-Mortes, mais aussi le sel fin et le gros sel, viennent d’obtenir la dénomination IGP (indication géographique protégée). Une belle récompense pour ce produit millénaire !

La découverte des salins d’Aigues-Mortes peut se faire à pied, en petit train, à vélo ou encore en 4×4. L’occasion d’observer les nombreuses espèces d’oiseaux qui habitent cet espace naturel préservé. www.visitesalinsdecamargue.com.

L’évolution du marché

Le Saunier de Camargue est leader sur le segment de la fleur de sel en France. Mais, avec ses 143 millions d’euros de chiffre d’affaires, le Groupe Salins – la Compagnie des Salins du Midi et des Salines de l’Est – domine surtout le marché domestique français grâce au sel de table (avec la marque La Baleine), le sel de déneigement et le sel destiné à l’agroalimentaire. Le site de production des Salins du Midi fournit à lui seul la moitié de la réserve française de sel. Le Groupe Salins possède également la griffe Le Paludier de Guérande.

Si les ventes du sel de table sont en légère décroissance, la fleur de sel a, quant à elle, vu ses volumes de vente progresser. Depuis quelques années, le Groupe Salins (qui possède également des sites de production en Espagne, en Italie, en Tunisie et au Sénégal) s’est lancé dans la diversification, en commercialisant une gamme de produits aromatisés. La fleur de sel est ainsi désormais associée à l’ail et au persil, à la tomate et au basilic ou aux herbes de Provence. Plus récemment, elle s’est même acoquinée au citron. Une extension de gamme qui fait souffler un vent nouveau sur ce produit ancestral.

Aux quatre coins du monde

En France, on produit également de la fleur de sel à Guérande (Bretagne), à Noirmoutier (Vendée) ou sur l’île de Ré (Charente-Maritime). Mais on la cueille aussi au Portugal, sur la côte ouest, dans le district d’Aveiro ou dans le sud du pays, en Algarve. Tandis qu’en Espagne, on produit de la flor de sal à divers endroits, à Majorque, dans les îles Canaries ou même dans les Baléares. On en trouve également de haute qualité en Slovénie : la fleur de sel de Piran, produite dans le Parc régional des Salines de Secovl. Tandis qu’en Italie, on produit la fleur de sel de Cervia en Emilie-Romagne, et de Trapani en Sicile.

La fleur de sel n’est toutefois pas un privilège européen. On en cueille au Maroc, dans les marais salants d’Oualidia au bord de l’Atlantique, au Canada, au Mexique – les Aztèques déjà en étaient friands -, aux Etats-Unis dans le Maine, et même en Indonésie. A Bali, l’eau de mer est versée dans des troncs de cocotiers, où son évaporation provoque l’apparition des précieux cristaux.

La gabelle, un impôt salé

Le site d’Aigues-Mortes est occupé depuis les origines de l’Homme. Durant l’Antiquité, une colonie grecque s’y était déjà installée. Mais ce sont les Romains qui sont les premiers à y organiser la production et l’exploitation du sel. Au début de l’ère chrétienne, l’ingénieur romain Peccius fut ainsi chargé d’y organiser la production de sel.

C’est ensuite saint Louis (Louis IX) qui s’intéresse à la ville d’Aigues-Mortes, qu’il développe afin de disposer d’un port d’accès à la Méditerranée, pour faire du commerce avec l’Italie et l’Orient. Il voit aussi dans le développement des salins une manière de financer ses croisades (il mourra à Tunis en 1270 lors de la huitième Croisade). Car le sel, monopole royal, a longtemps été le seul moyen de conserver les aliments, il était donc de première importance. La gabelle – la taxe sur le sel – a été instituée comme une taxe temporaire par Louis IX en 1246, puis reprise par Philippe IV le Bel en 1286 et est devenue permanente sous Philippe VI de Valois, qui la généralise à tout le royaume. Le salin d’Aigues-Mortes est longtemps resté la propriété des moines et rois de France. A la fin du 17e siècle, 17 petits salins étaient exploités dans l’enclos de Peccais. Ils appartenaient à différents propriétaires qui, après les graves inondations de 1842, s’associèrent à un négociant montpelliérain pour fonder, en 1856, la Compagnie des Salins du Midi, connue aujourd’hui sous le nom de Groupe Salins.

Dîner blanc dans les salins

Depuis quelques années, le Groupe Salins organise au coeur des salins d’Aigues-Mortes un dîner au dress-code blanc. Une belle idée que cette soirée raffinée, où les élégantes tenues blanches des invités font ressortir les superbes couleurs roses des bassins qui, au coucher de soleil, se parent des plus beaux reflets. Au programme : apéro au sommet d’une camelle de sel et dîner aux chandelles. Le tout évidemment accompagné de fleur de sel, de produits du terroir et de vins locaux. Cette année, ce dîner (80 euros par personne) s’est déroulé le 19 juillet dernier. Plus d’infos sur : www.visitesalinsdecamargue.com.

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