La démocratie mise à l’épreuve

GABRIEL BORIC, élu le 19 décembre dernier, devra cohabiter dans un premier temps avec la Convention chargée de rédiger une nouvelle constitution chilienne. © BELGA IMAGE

L’Amérique latine sera-t-elle plus colérique ou plus pragmatique en 2022? L’actualité politique chilienne et colombienne devrait donner un début de réponse.

En 2022, la principale inquiétude des Latino-Américains sera le retour à la normale à mesure que la pandémie recule. Cela se traduit par une stagnation économique, un mécontentement social et le discrédit des politiques démocratiques. Exacerbés par la pandémie, ces maux ont provoqué une certaine colère populaire dans plusieurs pays en 2021. Une aide d’urgence et des relances fiscales et monétaires ont toutefois pu partiellement l’atténuer. Grâce à cela, la région a retrouvé une grande partie de son rendement économique qu’elle avait perdu en 2020. Mais en 2022, la reprise va ralentir: la remontée de l’inflation pousse les banques centrales à augmenter les taux d’intérêt tandis que de nombreux gouvernements ont épuisé leur arsenal fiscal limité. Résultat, l’économie d’Amérique latine, prise dans son ensemble, peut s’estimer heureuse si elle enregistre une croissance de plus de 3% en 2022.

Les sirènes de l’autoritarisme progressent insidieusement, après s’être longtemps cantonnées à Cuba, au Nicaragua et au Venezuela.

Le dégagisme est le dénominateur commun des récentes élections en Amérique latine. Mais la grande question est de savoir si oui ou non la colère va laisser la place à une orientation plus pragmatique sur les bases de la croissance économique et la protection sociale. Le Chili et la Colombie seront les principaux tests en 2022.

Assemblée constituante

Après l’élection présidentielle chilienne de décembre 2021, le nouveau président Gabriel Boric et le Congrès cohabiteront dans un premier temps avec la Convention chargée de rédiger une nouvelle constitution, choisie après qu’une explosion sociale fin 2019 a remis en question ce qui était une économie de marché libre florissante. Contre toute attente, l’extrême gauche a obtenu de bons résultats aux élections des 155 membres de cette assemblée. Celle-ci a jusqu’au mois de juillet pour convenir d’un nouveau projet constitutionnel qui fera ensuite l’objet d’un référendum. Elle exigera certainement des prestations supplémentaires de l’Etat dans les soins de santé et les pensions, ce qui pourrait jeter les bases du nouveau contrat social souhaité par de nombreux Latino-Américains. Cette nouvelle charte pourrait également impliquer un basculement bien plus décisif vers la gauche, avec des restrictions sur l’exploitation minière et une liste coûteuse de droits sociaux. Mais il est possible qu’un large groupe de négociateurs parvienne à élaborer un texte combinant ces droits à une certaine responsabilité fiscale.

GUSTAVO PETRO pourrait devenir le premier président de gauche de Colombie.
GUSTAVO PETRO pourrait devenir le premier président de gauche de Colombie.© GETTY IMAGES

Lors des dernières élections, la polarisation a affaibli les forces centristes d’Amérique latine. Mais le scrutin prévu en Colombie au mois de mai pourrait raviver la flamme, à condition qu’il s’unisse derrière un seul et même candidat. Deux prétendants solides se dégagent. D’une part, Sergio Fajardo, ancien maire de Medellin qui a entamé la reconstruction de la ville et qui a manqué de peu le deuxième tour des précédentes élections présidentielles en 2018. De l’autre, Alejandro Gaviria, économiste, écrivain renommé, ancien ministre de la Santé ayant survécu à un cancer et dont l’histoire est bouleversante. Quel que soit le vainqueur du premier tour au mois de mars, il devra affronter Gustavo Petro, un populiste de gauche. Fait remarquable, celui-ci pourrait devenir le premier président de gauche de Colombie, pays où la droite pourrait effectivement s’affaiblir après la décevante présidence d’Ivan Duque.

Le Costa Rica connaîtra lui aussi des élections en février, avec un deuxième tour au mois de mai. José Maria Figueres, ancien président centriste, et Fabricio Alvarado, pasteur évangélique et populiste conservateur, pourraient se dégager de la mêlée. S’il veut rester l’un des pays les plus prospères et calmes de la région, le Costa Rica devrait augmenter ses taxes tout en réformant l’Etat pour rendre ses dépenses publiques plus efficaces.

Erosion constante

Ce conseil s’applique à l’ensemble de la région. En effet, de manière générale, les Latino-Américains souhaitent que les soins de santé et les services publics soient mieux financés. Mais l’augmentation des déficits ces deux dernières années a poussé la dette publique de la région au-delà des 70% de son PIB. A mesure que les taux d’intérêt recommencent à augmenter, les intérêts deviennent de plus en plus coûteux à rembourser. Cependant, l’augmentation des taxes est lourde d’un point de vue politique, d’autant que la région a désespérément besoin de mesures incitatives pour attirer des investissements privés.

Tout échec dans cette périlleuse recherche d’équilibre se traduira par un risque pour la démocratie. En effet, les sirènes de l’autoritarisme progressent insidieusement, après s’être longtemps cantonnées à Cuba, au Nicaragua et au Venezuela. En 2021, Nayib Bukele, le jeune président populaire du Salvador, était le dernier dirigeant élu en date à fonder une autocratie, prenant le contrôle du pouvoir judiciaire, intimidant les journalistes indépendants et autorisant sa propre réélection pour un second mandat.

A ce jour, ces quatre pays font exception. Mais cela pourrait changer, surtout si Jair Bolsonaro parvient à renverser les élections au Brésil en 2022 et si Andrés Manuel López Obrador au Mexique met à profit sa victoire probable dans un référendum révocatoire pour intensifier son siège de l’autorité électorale indépendante et des tribunaux. Les sondages d’opinion continuent de montrer une érosion constante et préoccupante du soutien à la démocratie en Amérique latine. Les démocrates sont prévenus.

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