La démocratie au bord du gouffre

KAÏS SAÏED veut accroître les prérogatives propres au président. La Tunisie réunit tous les ingrédients d'un avenir autocratique. © GETTY IMAGES

Si le président Kaïs Saïed est largement considéré comme honorable et incorruptible, ses successeurs potentiels ne le sont pas.

Quelques jours après avoir licencié le Premier ministre, suspendu le Parlement et repris les rênes du pouvoir exécutif en juillet 2021, le président de Tunisie, Kaïs Saïed, convoquait des journalistes du New York Times dans son bureau. Les opposants du président avaient qualifié ses actions de coup d’Etat. M. Saïed voulait donc écarter toute impression d’actes autoritaristes. “Pourquoi voulez-vous qu’à 67 ans, je commence une carrière de dictateur?”, demanda-t-il, citant les mots de Charles de Gaulle lors de son retour au pouvoir en 1958.

Agé de 63 ans, M. Saïed doit effectivement se prendre un peu pour le général. En 1958, la France était rongée par l’instabilité politique et au bord de la guerre civile. De Gaulle avait alors été invité à réformer les institutions politiques de son pays.

Cette réforme avait entraîné la création de la cinquième république, en vertu de laquelle le président détient un pouvoir important. La première personne à avoir été élue à ce poste étant de Gaulle lui-même…

Espoirs douchés

En 2019, près de trois quarts des Tunisiens ont voté pour M. Saïed. Beaucoup pensaient que cet ancien professeur de droit constitutionnel serait un réformateur honnête qui allait relever le système. Berceau du printemps arabe, la Tunisie est souvent considérée comme le seul pays à avoir connu un destin favorable après les manifestations révolutionnaires qui ont embrasé la région en 2011. Toutefois, 10 ans de démocratie n’ont pas conduit à la prospérité et les politiciens ont déçu les Tunisiens.

C’est dans ce contexte qu’est arrivé M. Saïed, qui avait qualifié sa victoire de “nouvelle révolution”. Mais ce n’est qu’en 2021 que l’on a découvert le vrai visage de cette révolution. M. Saïed gouverne pour l’instant par décret, contournant la constitution. Il souhaite aussi proposer une nouvelle loi fondamentale, sans doute pour renforcer les pouvoirs du président, et s’est engagé à organiser de nouvelles élections en décembre 2022. Un nombre croissant de critiques l’ont en effet déconseillé de concentrer trop de pouvoir entre ses mains. Pour autant, l’opinion publique semble n’avoir aujourd’hui que faire de la démocratie: ce que les gens veulent surtout, ce sont des emplois.

M. Saïed pourrait avoir du mal à leur en offrir. Ses décisions devraient, du moins provisoirement, mettre un terme à la paralysie politique qui a entravé les efforts de réformer l’économie. Les politiciens se sont longtemps plaints de ce système politique hybride (en partie présidentiel et en partie parlementaire) qui rend toute décision difficile. A cet égard, un régime présidentiel plus direct pourrait être une bonne idée. Toutefois, M. Saïed n’a aucune expérience économique, encore moins un plan de développement.

Par ailleurs, le président pourrait préparer la Tunisie à bien pire. Bien qu’il soit largement considéré comme honorable et incorruptible, ses successeurs potentiels ne le sont pas. Prenez Abir Moussi, par exemple, une démagogue populiste qui débite toutes sortes de théories du complot. La démocratie tunisienne ne survivrait pas si quelqu’un comme elle devenait présidente. Que M. Saïed veuille ou non devenir un dictateur, bien d’autres politiciens tunisiens semblent convoiter ce rôle.

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