Voitures électriques: le tout nouveau business de la charge ultra-rapide
La start-up néerlandaise estime que la charge rapide sera essentielle pour développer le parc des voitures électriques. Elle espère ouvrir un millier de stations en Europe, dont une centaine en Belgique et 200 en France. Avec une approche très particulière.
Les stations de charge rapide les plus visibles sur les autoroutes belges sont sans doute celles de Fastned. Elles se voient de loin, avec leurs hauts mâts dominés par le logo jaune de l’entreprise et l’immense toit jaune couvert de panneaux solaires qui protège les véhicules de la pluie. Fastned exploite actuellement 12 stations en Belgique, les dernières ayant été installées sur l’E19 Bruxelles-Anvers, à Peutie, et sur l’E40 à Everberg, entre Bruxelles et Louvain, avec des bornes ultra- rapides de 300 kW.
Fastned est un acteur indépendant des entreprises pétrolières et des constructeurs automobiles. Elle est cotée sur Euronext Amsterdam. C’est sans doute la start-up la plus ambitieuse dans la charge rapide. “Nous avons l’ambition d’ouvrir un millier de stations”, avance Michiel Langezaal, CEO de l’entreprise née aux Pays-Bas en 2012. Actuellement, elle en compte 197, mais a signé des contrats de localisations pour en ouvrir au total 331.
Surtout sur les autoroutes
Il pense qu’à terme, Fastned pourrait ouvrir une centaine de stations en Belgique (12 actuellement, dont sept sur des autoroutes), 200 en France, en Allemagne et aux Pays-Bas. En général le long des autoroutes. “Nous cherchons à nous installer sur des emplacements les plus grands possibles, le long de grands axes très fréquentés, explique Michiel Langezaal. Ce sont des investissement à long terme, où nous pouvons augmenter le nombre de chargeurs selon l’évolution de la demande, jusqu’à huit et même davantage.”
Pour Michiel Langezaal, la charge rapide est l’instrument nécessaire pour que les voitures électriques se multiplient. Les bornes dans les rues, plus lentes, lui paraissent insuffisantes. Elles ne sont pas extensibles et ne peuvent charger que deux ou trois voitures par jour. Il estime que leur tarif, moins élevé que celui des bornes rapides, devrait finir par s’ajuster. “Les prix actuels sur les bornes AC (courant alternatif) sont aidés par les pouvoirs publics”, note le CEO de Fastned. En Belgique, les bornes sur la voie publique facturent environ 40/44 centimes par kWh contre 69 centimes pour Fastned. “Sans aides, le kilowattheure y coûterait aussi cher, si pas plus cher, que pour des bornes rapides.” Si une borne rapide est facilement 10 fois plus chère qu’une borne lente, elle peut réaliser des dizaines de charges sur une journée. Quant aux charges à domicile, elles ne sont pas à la portée de tous: “Beaucoup de gens vivent en appartement”.
Toujours plus de charges rapides?
“Des études de McKinsey ou du Boston Consulting Group (BCG) montrent que c’est la tendance, poursuit Michiel Langezaal. Actuellement, 90% des charges sont lentes, par courant alternatif, et 10% sont rapides, en courant continu. McKinsey estime que la part des charges rapides montera à 32%. Cela va sans doute continuer car les automobilistes veulent de plus grosses batteries, de l’autonomie et des charges rapides.”
Ce plaidoyer pour la charge rapide au quotidien est surprenant. Les constructeurs vantent les performances de charge rapide de leurs derniers modèles mais conseillent, mezza-voce, de n’y recourir que pour les longs trajets pour ne pas user trop vite les batteries. “Vous pouvez faire des charges rapides tous les jours, assure Michiel Langezaal. Les voitures sont prévues pour cela. Cet usage entre dans le périmètre de la garantie.” Quel que soit le type de charge, les batteries tendent à s’user. La plupart des marques garantissent les batteries pour huit ans ou 160.000 km, à une capacité de charge minimale de 70%.
“Ensuite, il y a beaucoup d’autres choses qui usent autant, si pas davantage, une batterie. Ne pas utiliser longtemps une voiture électrique, par exemple. Les batteries qui se détériorent le plus sont celles des véhicules chargés à 100% sous un soleil ardent. Il est préférable de charger jusqu’à 80%. Au-delà, la charge devient plus lente.
La stratégie de Fastned est claire: participer à un maximum d’appels d’offres pour accéder à des aires le long des autoroutes. Ses marchés sont les Pays-Bas, la Belgique, la France, l’Allemagne, la Suisse et le Royaume-Uni. En Belgique, les autorités flamandes semblent être en pointe (Agentschap Wegen en Verkeer), ce qui explique que les stations Fastned sont situées, pour l’heure, uniquement dans le nord du pays. Et la Wallonie? “Cela aurait du sens que des appels d’offres s’organisent aussi dans le sud du pays, comme cela se fait ailleurs, en France ou en Flandre. Cela multiplierait les stations de charges rapides”, estime Michiel Langezaal.
Pas avec les pétroliers
Fastned préfère rester indépendant. Le régime des concessions des zones de services en Belgique concerne la totalité de l’aire et tous les services (carburant, restauration, etc.). Si une compagnie pétrolière remporte la concession, Fastned ne peut y entrer qu’en négociant avec cette société. “Nous pensons que la recharge rapide est un nouveau service et doit faire l’objet d’un appel d’offre distinct, déclare notre interlocuteur. Nous ne pouvons donc pour l’instant nous installer que sur des aires de service qui ne font pas l’objet d’une concession.”
Ainsi, Fastned a ouvert sur des aires de parking, à Peutie et Everberg, des deux côtés des autoroutes, où il sera libre de se développer. Cette approche très carrée vise à obtenir des implantations sur des durées plus longues, de 15 à 30 ans. Négocier une installation sur le site d’une station-service existante en Belgique permettrait d’ouvrir plus vite des stations mais serait moins bon pour la rentabilité future. Ces accords supposent souvent un important partage des revenus et un contrat de durée plus courte (cinq à sept ans) et pas forcément une exclusivité. Ils permettent à des réseaux comme Ionity d’afficher 400 stations actuellement, sept ans après son lancement.
En France ou aux Pays-Bas, l’approche est différente. “Les concessions sont attribuées pour une fonction, une pour un pétrolier, une – éventuellement – pour la restauration et une autre pour une station de charge électrique”, continue Michiel Langezaal. Les possibilités d’installation sont nettement plus nombreuses.
Les chiffres financiers
C’est une course de vitesse. Fastned cherche à ouvrir le plus de stations possible avec des contrats à long terme, pour pouvoir générer de bons revenus une fois que le nombre de voitures électriques sera important. “Actuellement, nous parvenons à un taux d’utilisation moyen des stations existantes de 10,4%, avec un taux de pénétration de 2% des voitures électriques ( taux moyen fin 2021 pour les Pays-Bas, l’Allemagne et le Royaume-Uni, Ndlr). Qu’est-ce que cela sera quand le taux atteindra les 20%? , s’interroge le CEO de Fastned. Une station produit actuellement un revenu moyen annuel de 113.000 euros, on pourrait alors aller vers le million d’euros.”
La stratégie de développement à marche forcée n’est pas idéale pour arriver rapidement à la rentabilité. Actuellement, l’entreprise perd plus d’argent qu’elle ne dégage de revenus. ING estime, dans ses prévisions, que la société pourrait arriver à l’équilibre en 2023. Les analystes de la banque prévoient un revenu total de 13 millions d’euros pour 2021, quasi double de celui de 2020, ainsi qu’ une perte de 15 millions d’euros. Et un revenu de 78 millions d’euros en 2023.
“Nous serons profitables quand
il y aura un nombre significatif de voitures électriques, assure Michiel Langezaal. Déjà maintenant, nous avons des stations profitables sur des axes de 50.000 à 60.000 véhicules par jour, avec juste 2% de taux de pénétration des voitures électriques. Si on réduisait nos investissements pour ouvrir de nouvelles stations, nous serions plus rapidement rentables. Mais si vous accélérez, nous pensons que dans ce business, vous augmentez le potentiel de développement de valeur, vous serez rentable plus tard. C’est la conséquence de notre stratégie.” Surtout qu’il faut du temps pour qu’une station sorte de terre: entre deux et cinq ans.
Le défi: les emplacements plus que l’argent
Il précise que le défi actuel de Fastned n’est pas l’argent. “La chose la plus importante est d’obtenir de nouveaux emplacements. Nous sommes très bien financés. Il y a deux ans, nous sommes entrés en Bourse, et l’an dernier, nous avons levé 150 millions d’euros.”
Il y a toutefois un coup de pouce: les subsides. Les pouvoirs publics y vont souvent de leur poche pour aider les vainqueurs des appels d’offres des stations de charge rapide. La France a prévu 100 millions d’euros d’aide, jusqu’à 40% de l’investissement des stations. L’Allemagne va encore plus loin.
Fastned affronte une certaine concurrence, notamment celle de Tesla, d’Ionity, qui appartient à des constructeurs automobiles (VW, Audi, Mercedes, etc.), et des pétroliers comme TotalEnergies qui misent aussi sur la charge rapide.
“La concurrence porte surtout sur les emplacements”, avance Michiel Langezaal, qui estime bénéficier de l’effet Pays-Bas. Les pouvoirs publics de nos voisins du nord ont soutenu plus tôt que d’autres pays l’électrification des voitures, au point qu’une petite industrie a pu se développer dans le pays. Fastned en est un exemple, mais il y a aussi EVBox (fabricant de bornes).
Un élément clef est le coût des stations et de leur exploitation. C’est là que se jouera la rentabilité. “En général, les stations à quatre bornes de 300 kW représentent un investissement d’un million d’euros. Nous arrivons à la moitié de cette somme”, assure Michiel Langezaal. Pour l’exploitation, il avance le taux d’utilisation des stations, 10,4% (sur 24 heures) alors qu’Allego, autre groupe d’origine néerlandaise spécialisé (notamment) dans la charge rapide, n’arrive qu’à 6%, selon sa dernière présentation aux investisseurs. Il estime que les emplacements et l’ergonomie des chargeurs expliquent ces performances.
Une question de rapidité
Les bornes à charge rapide ou ultra-rapide, telles que proposées par Fastned, sont moins nombreuses que les bornes plus lentes disponibles dans les rues. Elles permettent de gagner au moins 100 kilomètres pour 30 minutes de charge, parfois 200 kilomètres et plus, le temps d’une pause. Leur puissance, exprimée en kilowatts, va de 50 kW à 300 kW et davantage. La vitesse de charge réelle dépend du véhicule, de la température de la batterie et aussi du niveau de charge. La plus grande vitesse de charge acceptée pour une voiture n’est possible que sur les 30 premiers pour cent de charge, puis décroît avec une borne rapide qui fournit du courant continu. L’appli Fastned indique la courbe de charge du modèle inscrit sur le service. Les bornes plus lentes, disponibles dans les rues, proposent souvent 11 kW de puissance, en courant alternatif, mais ne permettent de gagner que 50 à 70 kilomètres par heure. Cette puissance est moins adaptée pour les recharges lors des longs trajets.
Tarif à la hausse
Fastned facture 69 centimes par kilowattheure en Belgique, dans ses stations rapides, ou 45 centimes pour les membres Gold qui payent 11,99 euros par mois pour avoir accès à ce prix. Fin 2021, le tarif avait augmenté: il était auparavant fixé à 59 centimes, soit une hausse de presque 17%. Rien d’étonnant, car le coût de l’énergie a augmenté. Le prix de gros de l’électricité a grimpé. Alors qu’il était de 7 centimes par kilowattheure ces quatre ou cinq dernières années, il atteignait 18 centimes en janvier dernier. Certes, les stations Fastned sont équipées de panneaux solaires mais cela ne représente que deux ou trois charges par jour, ce qui est marginal, “soit 200 charges par jour pour l’ensemble du réseau”, précise Michiel Langezaal. Tout le monde n’augmente pas ses tarifs. Ionity n’a pas changé son tarif de 79 centimes par kWh (en accès direct). Tesla a augmenté ses prix. Au total, le tarif actuel de Fastned se situe plutôt dans la moyenne du marché.
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