La cigale et la fourmi, la banque ING et la taxation de la vertu

Amid Faljaoui

Payer pour mettre de l’argent de côté, c’est plutôt original comme démarche. En d’autres mots, ça revient à dire qu’on paie pour épargner! Nos lecteurs et lectrices aisés en savent quelque chose. En Belgique et dans plusieurs pays étrangers, les dépôts d’argent au-delà d’un million ou de deux millions d’euros sont déjà pénalisés par un taux d’intérêt négatif. C’est le cas aussi pour les dépôts des entreprises. La raison de cette double punition? Les banques croulent sous les liquidités et n’en veulent plus car leurs excédents quotidiens de cash sont déposés à la Banque centrale européenne (BCE) qui, elle-même, applique un taux d’intérêt négatif sur tout cet argent. Donc, en un mot comme en cent, nos liquidités coûtent de l’argent aux banques.

J’ai tendance à croire que lorsque l’épargne passe du statut de vertu à celui de paria, c’est que la fin du monde est proche.

Mais la banque ING Belgique a été encore plus loin cette semaine en proposant un taux négatif sur les comptes de plus de 250.000 euros en dépôt chez elle. Pareille taxe (car il ne faut pas se leurrer, un taux négatif, c’est bien une taxe) sera de 0,5% sur le solde dépassant 250.000 euros. Pour se justifier, la banque ING explique que ce taux négatif ne concernera pas 97% des clients. “Ouf, direz-vous, j’ai évité le taux négatif.” Et si vous êtes client dans une autre banque, vous vous direz probablement: “même si ma banque agit comme ING, cela ne concernera que des dépôts au-delà d’un certain seuil, je peux donc dormir tranquille”.

Hélas, vous avez tort. En fait, les Belges, peu importe le niveau de leurs avoirs, perdent tous collectivement de l’argent sur leur compte d’épargne, lequel n’a jamais aussi mal mérité sa dénomination. Officiellement, presque tous ces comptes offrent un taux minimal de 0,11%. En fait, le verbe “offrir” est ici totalement déplacé. Motif? Si l’on décortique ce taux, on constate qu’il s’agit du taux de base de 0,01% + une prime de fidélité de 0,10%. Or, pour encaisser la prime de fidélité, il faut ne pas toucher à son argent pendant un an. En réalité, nous ne récoltons donc bien souvent que le taux de base: 0,01%. Soit rien. Absolument rien.

Notre compte d’épargne nous appauvrit au fil du temps car nous devons encore retirer l’inflation et les frais bancaires. Au final, après ces deux soustractions, ce compte se retrouve avec un taux négatif! Nous perdons donc tous de l’argent sans le savoir, exactement comme Monsieur Jourdain faisait de la prose. A défaut d’avoir une solution, les économistes savent au moins nommer les problèmes. Ils ont une expression délicieuse pour nommer cette spoliation silencieuse: la répression financière”. Autrement dit, notre gouvernement et la BCE ne veulent pas que nous épargnons mais préfèrent que nous consommions.

Pour ma part, mal éduqué sans doute puisque nourri très jeune par les fables de Jean de la Fontaine ( La cigale et la fourmi), j’ai tendance à croire que lorsque l’épargne passe du statut de vertu à celui de paria, c’est que la fin du monde est proche. L’humoriste Pierre Dac aurait fustigé cette drôle d’époque qui nous empêche de “mettre de côté pour en avoir devant soi” ou nous interdit de “prendre les devants pour assurer nos arrières”.

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