La Bourgogne hors des sentiers battus

A Bouzeronle cépage aligoté n'est pas condamné au bas du coteau au profit du chardonnay et du pinot noir. © BIVB/Jessica VUILLAUME

A côté des vins stars comme Gevrey-Chambertin, Meursault ou Vosne-Romanée, d’autres appellations, moins connues, méritent qu’on s’y intéresse. Avec une belle accessibilité en termes de prix et énormément de plaisir à la dégustation. Bouzeron, par exemple, démontre que l’aligoté vaut bien mieux que le kir.

Vous pensiez que les appellations des vins de Bordeaux étaient difficiles à comprendre ? En Bourgogne, c’est encore pire ! Pour faire simple, le huitième vignoble français en termes de surface (29.500 hectares) comporte 84 appellations d’origine contrôlée. Trente-trois sont des grands crus comme Montrachet, Echezeaux ou Clos de Vougeot. Quarante-quatre sont des AOC Villages dont une petite partie peut être qualifiée de premier cru. Exemple : Meursault et Meursault Clos des Perrières Premier Cru. Enfin, les appellations régionales, responsables de plus de la moitié de la production, sont regroupées dans sept AOC. C’est ici que l’on retrouve tous les bourgognes identifiés comme Bourgogne Chitry, les bourgognes non identifiés, les Mâcon avec un nom de villages (exemple : Mâcon Chaintré), les Mâcon Villages, le Bourgogne Passe-tout-grains, le crémant de Bourgogne, etc.

Il existe 1.000 climats différents en Bourgogne. Chacun porte un nom, parfois mystérieux, qui lui est propre et qui est lié à sa situation ou à son histoire.

Le mystère des climats

Il n’est pas question de se lancer dans une étude météorologique de la Bourgogne mais d’expliquer ce qui rend le vignoble bourguignon si unique. De Dijon à Mâcon en passant par Chablis et l’Auxerrois, personne ne parle de terroir mais de climat. Une spécialité toute bourguignonne qui a été classée en 2015 sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. La définition est simple et en même temps compliquée : les climats sont des parcelles de terre précisément délimitées bénéficiant de conditions géologiques et climatiques spécifiques. Combinées au travail des hommes et ” traduites ” par les deux grands cépages, chardonnay et pinot noir, elles ont donné naissance à une exceptionnelle mosaïque de crus hiérarchisés et mondialement réputés. Chaque climat bénéficie donc d’un relief, d’une exposition, d’une altitude et d’une nature géologique uniques qui le caractérise. Il existe 1.000 climats différents. Chacun porte un nom, parfois mystérieux, qui lui est propre et qui est lié à sa situation ou à son histoire. Par exemple, Montrachet signifie absence de végétation au sommet d’une colline. Les nombreux Meix rappellent les anciens clos villageois dépendant d’un seigneur, les Velles évoquent d’anciennes exploitations agricoles gallo-romaines. Un vignoble planté sur l’ensemble d’un coteau peut être constitué d’une série de climats. Leur qualité détermine dans quelle appellation ils sont affectés. Avec typiquement les grands et les premiers crus en haut de coteau et les appellations régionales en bas. Dans l’exemple du Meursault cité plus haut, le climat Clos des Perrières est donc classé en premier cru.

La folie des prix

Dans ce monde français du vin si particulier, Bordeaux a été critiqué pour les prix de ses grands crus et la valeur de ses propriétés. La Bourgogne n’est pas en reste. Si le prix moyen à l’hectare avoisine les 100.000 euros, il explose dès que l’on monte en gamme. L’hectare d’un grand cru se négocie autour des 6 millions. Pour un bourgogne blanc premier cru, on parle d’un bon million et demi. Pas étonnant, dès lors, que le prix des bouteilles rende ces vins inaccessibles au commun des mortels. La production réduite et la forte demande pousse certaines bouteilles largement au-delà des 1.000 euros. Boire du bourgogne semble devenu un luxe dont les Belges ne se privent pourtant pas puisque notre pays demeure à la quatrième place (8 %) des pays importateurs derrière les Etats-Unis (20 %), la Grande-Bretagne (19 %) et le Japon (10 %). En 2017, 183 millions de bouteilles ont été commercialisées (chiffre d’affaires : 1,48 milliard) dont la moitié s’est vendue à l’export.

Le Maconnais regorge de vignobles à découvrir  comme à Fuissé, au pied de la Roche de Solutré.
Le Maconnais regorge de vignobles à découvrir comme à Fuissé, au pied de la Roche de Solutré.© BIVB_Armellephotographecom

La solution pour continuer à se faire plaisir ? Se tourner vers les appellations moins connues. Oubliée la Côte de Beaune et ses volnay ou autre aloxe-corton. Laissée de côté la Côte de Nuits et son gevrey-chambertin ou son nuits-saint-georges. Il est temps de se risquer hors des sentiers battus et d’explorer les quatre autres régions viticoles : la Côte Chalonnaise, le Mâconnais, Chablis avec le Grand Auxerrois et le Châtillonnais.

L’honneur de l’aligoté

Cet été, nos pérégrinations nous ont conduits à explorer les deux premières en long et en large à la recherche de pépites. Premier arrêt en Côte Chalonnaise : les petits villages de Bouzeron et Chassey-le-Camp. Les vignerons de ces deux communes ont obtenu le graal en 1997 : l’AOC Bouzeron, à base du seul cépage aligoté. Oui, vous avez bien lu, ce même aligoté que le chanoine Kir, ancien-député maire de Dijon, a rendu mondialement célèbre dans l’apéritif qui porte son nom. Qui dit aligoté suppose la plupart du temps une bibine de mauvaise qualité et un vin très acide. Juste bon donc à être associé à une dose de crème de cassis. Et pour cause, après la crise du phylloxéra, l’aligoté a été condamné au bas de coteau au profit du chardonnay et du pinot noir. Sur ces terres riches et argileuses, il s’avère très prolifique et n’atteint que rarement la maturité.

A Bouzeron, les vignerons ont, depuis toujours, fait l’inverse : ils réservent les beaux flancs de coteau à l’aligoté et relèguent les deux autres en bas. En altitude et sur des sols faits de marne et de calcaire, l’aligoté se concentre sur sa maturation. Avec à l’arrivée une expression remarquable dans les vins : un bel équilibre entre fraîcheur et rondeur, entre vivacité et gourmandise. Voilà donc un blanc à découvrir sans plus attendre d’autant que les vignerons commencent à proposer de longs élevages en foudres ou dans des fûts de plusieurs vins. En France, un Bouzeron s’achète entre 9 et 15 euros. Autant dire que c’est une belle affaire ! Plusieurs domaines méritent le détour : le Domaine de l’Ecette et son Bouzeron Les Corcelles (Vincent Daux y produit aussi un remarquable Rully rouge Clos St-Jacques), le Clos de la Fortune de la Maison Chanzy (le plus gros propriétaire de l’AOC) et, évidemment, le Domaine De Villaine. Aubert de Villaine, le cogérant de la Romanée-Conti, est présent à Bouzeron depuis les années 1970. Il s’agit ici de son domaine personnel qui est aujourd’hui géré en biodynamie par son neveu Pierre de Benoist. Il produit toute une série de vins mais un seul AOC Bouzeron, assemblage des 17 parcelles qu’il détient. Il est disponible en Belgique auprès de Melchior Vins à Mons (tél. 065 84 26 32).

Un historien néerlandais

L’histoire de Roelof Ligtmans et de son épouse Marlon force le respect. Installé à Mercurey depuis 2007, ce couple néerlandais a littéralement cassé sa tirelire pour développer le Domaine de la Monette. Historien de formation, Roelof a, par les hasards de la vie, atterri chez Capgemini aux Pays-Bas avant de créer, avec des associés, sa propre société de services informatiques appelée Solidium. En 2005, ils décident de la revendre à Ordina, une des plus grosses sociétés indépendantes du secteur dans le Benelux. Avec son pactole, Roelof met le cap sur la Bourgogne pour réaliser son rêve. Avec son épouse, il achète alors ce Domaine de la Monette. L’hectare et demi du début (2007) a bien grandi. Le couple exploite aujourd’hui 11 hectares, tout en bio. Et ce ne fut pas une mince affaire. ” Nous avons suivi une formation au Lycée Viticole de Beaune, se souvient-il. Dans la partie qui évoquait les maladies du vin, les formateurs ont évoqué les pesticides. J’ai alors eu un flash et j’ai revu ces scènes d’effroi lors du crash de l’avion-cargo d’El Al sur des immeubles résidentiels à Amsterdam. Il y avait des spécialistes en combinaison bleue qui inspectaient les ruines puisque l’avion contenait des éléments constitutifs d’armes chimiques. Cette catastrophe m’a beaucoup marqué. Et en entendant pesticides et pulvérisations, je me suis vu en combinaison bleue et je me suis dit que ce n’était pas pour moi. Et nous avons opté pour le bio. Mais faire du bio en Bourgogne en 2007, vous n’y pensiez pas ! Les gens nous regardaient de travers… ”

Pierre Vessigaud, élabore des Pouilly-Fuissé  de haute tenue.
Pierre Vessigaud, élabore des Pouilly-Fuissé de haute tenue.© pg

Dix ans plus tard, cet ancien patineur de vitesse a réussi son pari bourguignon. Achetés sur place, ses vins sont d’un incroyable rapport qualité/prix. On a adoré son Aligoté Les Potets 2017 issu de vignes quasi centenaires. Il est salivant, puissant et épicé. A 9 euros, c’est donné. Les Pertusots, un blanc en Côte Chalonnaise, est de la même veine. Du côté des rouges, sa Côte Chalonnaise En Cortechat 2017 est exceptionnelle (10,50 euros). La parcelle est adjacente à celles classées en Mercurey Premier Cru et franchement, on ne voit aucune différence ! Enfin, son Mercurey Le Saut Muchiau 2016 (16 euros) est juste magnifique, tout en classe et élégance. Certains vins du Domaine de La Monette sont disponibles en Belgique auprès de Bourgogne Wijnen (Edegem – tél. 03 238 48 84 – bourgognewijnen.be) qui présente un remarquable assortiment de vins de Bourgogne. Evidemment, les prix sont plus élevés qu’au domaine mais ils restent très raisonnables pour un tel niveau de qualité.

Viré-Clessé et son ” levrouté ”

Le Mâconnais regorge aussi de jolies pépites qui ne demandent qu’à être goûtées. Jean Manciat pratique à Charnay-lès-Mâcon ce qu’il appelle l’agriculture risquée : il traite le moins possible et au dernier moment. Ce vigneron, sympathique en diable, produit trois rouges au rapport qualité/prix incroyable : son Macon 2017 (8,50 euros à la propriété) est aussi croquant que salivant. Le Mâcon Charnay 2017 (9,50 euros) est tout aussi équilibré. Son Mâcon Les Crays 2017 (12 euros) s’avère ample, opulent et élégant.

Au nord de Mâcon, l’appellation Viré-Clessé a obtenu son AOC en 1999. Les Michel sont présents à Clessé depuis sept générations. Aujourd’hui, Denis perpétue la tradition d’élevage bovin de la famille. Frank a repris la gestion du domaine viticole à son compte. Et nous y avons pris une vraie gifle. Le domaine ne produit quasi que du blanc. Son simple Mâcon Villages 2016 est déjà formidable. En appellation Viré-Clessé, le Tradition 2016, aux notes de fruits exotiques, révèle une belle complexité aromatique. Quant aux cuvées Quintaine et La Barre (toutes deux en 2015), elles se révèlent riches, gourmandes, opulentes et élégantes. Ce sont deux grands bourgognes qui vont épater vos amis. Et ils ne coûtent que 17 euros sur place. Certaines années, les conditions climatiques amènent le chardonnay en sur-maturité. Le raisin prend alors une couleur ambrée. La vendange est dite levroutée, pour rappeler la couleur du pelage du levreau. Sous l’impulsion de Frank Michel et de Jean Thévenet, l’autre star de l’appellation, le Viré-Clessé levrouté est devenu officiel. Il peut contenir entre 8 et 18 g de sucre résiduel par litre. Frank Michel nous a ouvert quelques bouteilles de ces vins un peu particuliers. C’est une belle surprise et une alternative (bien moins onéreuse) au sauternes. En 2009 et en 2013, La Barre ” Vendanges levroutées ” s’est avérée ni molle ni pâteuse mais délicatement sucrée et étonnamment fraîche. A essayer de toute urgence ! Bert Jeuris, le fondateur de The Portugal Collection, possède à Heusden-Zolder (tél. 011 42 89 07) et à Roulers (tél 051 22 28 50) une belle carte de bourgognes regroupée sous le nom de Sapinot. Il distribue en Belgique certains vins de Frank Michel dont le Tradition.

Enfin, au pied de la Roche de Solutré, Pierre et Françoise Vessigaud produisent les meilleurs Pouilly-Fuissé qu’il nous a jamais été donné de déguster. Le couple n’est pas propriétaire mais loue, via des baux de longue durée, 11,5 hectares de vignes en conversion bio. Leur bonheur se goûte dans les bouteilles. Les Hauts de Fuissé 2016 en appellation Mâcon-Fuissé est déjà magique. Les quatre Pouilly-Fuissé 2016 – Les Vieilles Vignes, Vers Agnères (qui attend une classification en 1er cru), Vers Pouilly et Pierre aux Canards – se révèlent de magnifiques jus d’une classe folle, d’une belle complexité aromatique tout en gardant de la fraîcheur. Ce sont de très grands vins. Ils sont, presque tous, disponibles à prix doux pour une telle qualité (entre 12,50 et 24,50 euros) à la Maison des Vins à Watermael-Boitsfort (tél. 02 660 18 94). Ce caviste propose aussi le St-Amour (cette appellation du Beaujolais est située juste à côté) des Vessigaud, un autre must !

Michael Baum,  propriétaire  du château  de Pommard
Michael Baum, propriétaire du château de Pommard

Michael Baum : la Silicon Valley à Pommard

Seule exception à cette Bourgogne hors des sentiers battus, nous nous sommes rendus au château de Pommard, propriété depuis 2014 de Michael Baum. Ce quinquagénaire a fait fortune dans la Silicon Valley. Toutes ses start-up ou presque ont été de formidables succès. Notamment Splunk, pionnière en 2003 dans la gestion des big data et qui affiche aujourd’hui un chiffre d’affaires de 1,3 milliard de dollars. Michael Baum l’a quittée en 2012 pour créer une fondation qui aide les jeunes entrepreneurs à se lancer. Le Californien n’est pas inconnu chez nous puisqu’il est actionnaire et membre du conseil d’administration de NewTree, connu pour ses chocolats ” plaisir et bien-être “.” J’ai rencontré Benoît De Bruyn quand il habitait aux Etats-Unis, confie Michael Baum. Ses enfants allaient dans la même école que les miens et nous avons sympathisé. Posséder un domaine en Bourgogne, c’est un rêve qui se réalise. C’est La Mecque du vin. Saviez-vous que les premiers plants de pinot noir de Robert Mondavi viennent du Château de Pommard ? En 2014, nous fûmes les premiers Américains à devenir propriétaires d’un domaine bourguignon. ”

Michael Baum fourmille d’idées pour relancer le Château de Pommard. D’abord au niveau éducatif, son dada. Outre les ” expériences ” à destination des clients, le domaine accueille depuis le début septembre des formations WSET (Wine and Spirit Education Trust) des niveaux 1 à 3. Elles sont reconnues dans le monde entier. Question oenotourisme, les travaux de construction d’un hôtel et d’un restaurant débuteront en janvier. Les équipes du château mettent aussi la dernière main à la création d’une agence de voyages qui permettra, entre autres, aux touristes du monde entier de venir découvrir le savoir-faire bourguignon. Enfin, côté vins, le domaine est en conversion à la biodynamie. C’était le rêve d’Emmanuel Sala, le directeur technique, l’un des seuls survivants de l’équipe précédente.

” La biodynamie permet de faire du meilleur vin, confie Michael Baum. Ce n’est pas très courant en Bourgogne. Et pourtant, son plus grand représentant, la Romanée-Conti, s’est converti il y a bien longtemps. La biodynamie est une vision à long terme. Si je devais suivre le rythme de la Silicon Valley, je deviendrais fou en Bourgogne. Ici, j’ai appris à prendre mon temps. ”

Michael Baum vit la moitié de l’année à Pommard. Il faut dire que la nouvelle équipe fait tout elle-même. Il n’y a plus d’intermédiaires. Elle vend ses vins uniquement en direct et très majoritairement aux particuliers. Vingt-cinq pour cent de la production part dans la restauration. Outre les vins d’appellation issus d’achat ou d’échange de raisins, le domaine produit trois vins : le Clos Marey Monge, un assemblage des sept parcelles qui sont d’abord élevées séparément, Vivant Micault, produit par les vignes les plus jeunes du Clos et Simone, le haut de gamme issu de la plus belle parcelle.

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