” L’or fait de moins en moins office de valeur refuge “

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Quiconque envisage d’investir en or fera bien de tenir compte de l’évolution du cours du dollar, de la politique monétaire et des taux d’intérêt, autant de facteurs déterminants pour le cours du métal jaune, rappelle Georgette Boele, spécialiste des métaux précieux chez ABN Amro. Par ailleurs, l’ouverture du marché de l’or aux ETF, il y a 16 ans, a engendré une nouvelle dynamique.

La crise sanitaire a lancé tous les actifs, dont l’or, dans une course folle. Au deuxième semestre de 2019, son cours fluctuait entre 1.400 et 1.600 dollars l’once. Au début de cette année, il franchissait de peu la barre des 1.700 dollars, pour retomber sous les 1.500 dollars durant les deux premières semaines de la pandémie. Une chute que peu d’investisseurs avaient anticipée et qui met à mal la conviction selon laquelle l’or est la valeur refuge par excellence. Stratégiste principale pour les devises et les métaux précieux chez ABN Amro, Georgette Boele suit pas à pas l’évolution du cours du métal jaune. Elle sait parfaitement qui sont les investisseurs en or et quel rôle ils ont joué durant les premières semaines de la crise.

Le dollar est l’un des principaux vecteurs de l’évolution du cours de l’or. Quand le dollar augmente, l’or ne le suit presque jamais.

TRENDS-TENDANCES. Qu’ont fait les investissements en or durant cette période ? Que retiendrez-vous de celle-ci ?

GEORGETTE BOELE. L’an dernier, l’écart de rendement avec les obligations souveraines avait incité de nombreux investisseurs à se tourner vers l’or. La politique monétaire accommodante de la Banque centrale européenne avait en effet provoqué la plongée en territoire négatif du taux de nombre d’obligations d’Etats européens. L’or n’étant assorti d’aucun taux d’intérêt, les investisseurs avaient étoffé leurs positions, faisant grimper le cours de ce métal précieux. Mais la crise les a incités à se tourner vers des actifs très liquides, comme le dollar et le yen. Tout le monde a cherché refuge dans le billet vert, cédant pour ce faire l’intégralité de la gamme des instruments d’investissement. Y compris l’or, dont le prix a dégringolé.

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Il s’est redressé depuis. Comment expliquez-vous cela ?

Le 23 mars fut une date charnière : c’est là que la Banque centrale américaine a annoncé l’adoption d’un nouveau train de mesures et d’un nouveau programme de rachat de titres du Trésor, ce qui a installé une sorte de plancher sous les marchés financiers. Le sentiment des investisseurs s’est amélioré et les marchés d’actions se sont redressés. L’élargissement des mesures décidé ensuite par les Banques centrales a soutenu davantage encore les prix – les assouplissements monétaires sont toujours favorables à l’or. A l’époque, la demande d’or physique était de surcroît extrêmement importante ; cela a également contribué à faire grimper le cours.

Au plus fort de la crise, les investisseurs se sont tournés vers le dollar. On pense pourtant que c’est l’or qui rassure…

Certains investisseurs, qui estiment que le système financier n’est pas fiable, voire pas viable, continuent effectivement à chercher leur salut dans l’or. D’autres, très nombreux, ont commencé à acheter de l’or à cause des différences de taux ou pour spéculer, par exemple. Le statut de valeur refuge de l’or s’en est trouvé affaibli. On l’a vu aux fluctuations du cours : il lui est arrivé de grimper ou de culbuter avec les marchés d’actions, ce qui n’aurait pas été le cas si l’or avait véritablement été un havre dans la tempête. Il faut aujourd’hui, bien plus qu’avant, tenir compte du type d’investisseurs actifs sur ce marché, et de ce qui motive leur choix.

Quand ces nouveaux investisseurs en or ont-ils fait leur apparition ?

En 2004, année de l’ouverture du marché de l’or aux ETF ( Exchange Traded Funds), ou trackers. Cette décision a engendré un afflux de nouveaux investisseurs en or, rendant le prix du métal jaune plus sensible à l’évolution du cours du dollar.

Quelles conséquences l’afflux de ces nouveaux investisseurs a-t-il eues sur le marché de l’or ?

Les mesures d’assouplissement décidées par les banques centrales et les dimensions des dépenses publiques sont favorables à l’or, vers lequel se tournent par conséquent une foule d’investisseurs particuliers. Les trackers n’ont jamais autant investi en or. Ce qui n’est pas nécessairement une bonne chose : lorsqu’énormément d’investisseurs prennent des positions identiques, la moindre déception peut engendrer une véritable vague de reventes.

Quel est le lien entre le dollar et l’or ?

Le dollar est l’un des principaux vecteurs de l’évolution du cours de l’or. Quand le dollar augmente, l’or ne le suit presque jamais. Lorsque les investisseurs sont positifs à l’égard du dollar ou cherchent un refuge dans le billet vert, il est rare qu’ils achètent, simultanément, de l’or. Ces deux actifs évoluent presque toujours dans des directions opposées.

Comment investit-on en or ?

Une première méthode consiste à acquérir de l’or physique, sous forme de pièces ou de lingots. Certaines banques en vendent mais les frais de transaction sont relativement élevés. Il est également possible d’investir en bijoux, dont on ne connaît toutefois pas toujours la pureté. Plusieurs banques proposent d’ouvrir un compte en or, exactement comme il en existe en dollar ou en euro, mais ce compte ne fait l’objet d’aucune couverture physique. Il existe enfin des trackers sur l’or en quantités infinies. Certains sont couverts par de l’or physique, d’autres pas. Il faut bien s’enquérir des caractéristiques des ETF dont on envisage l’achat.

Quel rôle l’or peut-il jouer dans un portefeuille d’investissement bien diversifié ?

L’or ne réagit pas de la même manière que les actifs plus cycliques que sont, par exemple, les actions. Même s’il est de moins en moins reconnu comme valeur refuge, l’or chute en moyenne moins lourdement en temps de crise que les actions ou d’autres métaux précieux comme l’argent ou le platine. En mars, ces actifs ont beaucoup plus souffert que lui. Pour bien des investisseurs, l’or est un facteur d’équilibrage du portefeuille.

On entend souvent dire de l’or qu’il est l’ultime protection contre l’inflation. Est-ce exact ?

Cela fait des années que l’inflation est faible. Si elle devait repartir à la hausse, tout dépendrait de la manière dont les banques centrales réagiraient. Si elles échouaient à remonter suffisamment rapidement leurs taux directeurs, ce serait une bonne chose pour l’or. Si, en revanche, les taux directeurs ou les taux nominaux repartaient à la même vitesse que l’inflation, les effets de ces mouvements s’annuleraient mutuellement. Enfin, si ces taux augmentaient plus rapidement que l’inflation, ce serait au détriment de l’or : des taux élevés rendent l’or, qui ne paie pas d’intérêts, peu concurrentiel face aux autres actifs.

Que pensez-vous des ” gold bugs “, ces investisseurs en or fermement convaincus que le métal jaune devrait avoir depuis longtemps franchi la barre des 5.000 dollars ?

Certains investisseurs ne voient pas d’un bon oeil la politique accommodante des banques centrales et les dépenses généreuses des Etats qu’ils accusent de fausser le système. Ils estiment également que l’inflation va inévitablement crever un plafond, et que le cours de l’or suivra. Personnellement, je suis neutre : je me borne à examiner les facteurs environnementaux, déterminants pour l’évolution du cours. Ceci dit, je ne crois pas qu’il arrivera à 7.000 dollars et plus dans quelques années ; je prévois plutôt une progression très modérée.

Sur quoi vous basez-vous, à moyen terme, pour évaluer l’évolution du cours de l’or ?

Tout d’abord sur le dollar. Il va immanquablement baisser sous l’effet conjugué d’une conjoncture et d’une politique monétaire et budgétaire défavorable. Le bazooka dégainé par la Réserve fédérale est tel qu’il va tôt ou tard peser sur la valeur du billet vert. Toute tendance baissière durable du cours du dollar est propice à l’or. Enfin, il ne faut jamais perdre de vue la teneur d’une politique monétaire et ses effets sur les taux d’intérêt réels.

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