Philippe Ledent

L’inflation ne rend pas la dette soutenable

Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

La multiplication des chocs depuis trois ans et la manière dont la politique budgétaire y a répondu en Belgique ont provoqué une forte augmentation de la dette publique: elle devrait avoir grimpé d’une centaine de milliards d’euros entre 2019 et la fin de cette année, pour atteindre 575 milliards d’euros! Est-ce soutenable à long terme? La réponse est non évidemment.

Certes, les circonstances sont tout à fait exceptionnelles compte tenu des chocs endurés. On peut rationnellement penser (ou plutôt espérer) que la série noire ne se poursuivra pas trop longtemps. Ceci dit, l’arrêt des chocs négatifs ne sera pas suffisant pour stopper l’hémorragie: il semble qu’une série de dépenses publiques exceptionnelles deviennent au fil du temps structurelles, faute d’accord politique pour les adapter ou les supprimer. Il faudrait y ajouter l’augmentation des dépenses liées au vieillissement de la population et celles liées à la transition énergétique et à la lutte contre les changements climatiques. Bref, les sonnettes d’alarme sont tirées de toutes parts dans une économie qui, rappelons-le, éprouve de plus en plus de difficultés à générer une forte croissance de son activité économique (donc de sa base taxable…).

Au-delà du cas exceptionnel de 2022, à quoi faut-il s’attendre en matière d’évolution de ce ratio? On peut en discuter des heures autour d’un verre de vin chaud. Mais en intégrant un nombre d’effets induits dépassant de loin la capacité de nos intuitions, seules les modélisations donnent des éléments de réponse objectifs à cette question. A ce titre, une simulation réalisée par la Banque centrale européenne est intéressante. L’idée est de mesurer les effets sur le ratio dette/PIB d’un choc prolongé d’inflation par les coûts (comme c’est le cas actuellement via les coûts de l’énergie et bientôt les coûts salariaux à l’échelle européenne). La simulation montre bien l’effet baissier de la hausse des prix sur le ratio d’endettement, à l’image de ce qui a été observé, à grande échelle, en 2022. Mais au fil du temps, cet effet est bien plus que compensé par la faiblesse de la croissance de l’activité économique, par la hausse des taux et surtout par la dégradation croissante du budget de l’Etat. Au final, on observe, suite à ce choc prolongé sur l’inflation, une dégradation grave du ratio d’endettement public.

On entendra parfois que le problème n’est pas si grave car, paradoxalement, malgré la forte augmentation de la dette publique, le ratio d’endettement (dette/PIB) a fortement diminué en 2022. Cela tient bien évidemment à l’inflation, qui a la vertu de diminuer la valeur réelle de la dette, qu’elle soit publique ou privée d’ailleurs. Autrement dit, le PIB augmentant plus rapidement que la dette en raison de l’effet de la hausse des prix, le ratio d’endettement diminue effectivement. Et c’est d’autant plus vrai que les taux d’intérêt, qui ont certes augmenté, demeurent à des niveaux raisonnables au regard de l’histoire.

La simulation est réalisée au niveau de l’ensemble de la zone euro. Elle est probablement une bonne illustration de ce qui peut se passer au niveau de la Belgique, sachant que l’indexation automatique des revenus pousse encore plus l’inflation par les coûts vers le haut et dégrade davantage les finances publiques, alors que celles-ci sont déjà dans un état… délicat. Le choc d’inflation de 2022 demeure donc une très mauvaise nouvelle pour l’ensemble de l’économie. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il augmente davantage la pression à moyen terme sur les finances publiques et la nécessité de maîtriser la trajectoire des dépenses. Mais comment?

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