L’incroyable destin de Pop It, la star des récrés

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C’est le gadget que les enfants s’arrachent. Créé dans les années 1970 par un couple israélien designer de jeux, le Pop It doit son essor tardif aux réseaux sociaux qui en ont fait un must post-confinement.

Dans la famille des fidget toys, je demande les Pop It. Des carrés aux couleurs de l’arc-en-ciel, des dinosaures rose fuchsia, des pommes tie and dye… Ces petits gadgets en silicone qui se déclinent à l’infini s’emportent partout et tiennent dans les petites mains. D’une simplicité déconcertante, ces objets ludiques ont envahi les cours d’école à la sortie du troisième confinement et pris de court les professionnels du jouet, qui ont dû faire face à de nombreuses ruptures de stock.

Le Pop It se manipule seul, comme du papier à bulles que l’on fait éclater, d’où le nom “pop”. On y joue aussi à deux: celui à qui échoit la dernière bulle a perdu. A la manière des hand spinners, ces toupies à main qui ont fait fureur en 2017, les éducateurs s’en servent aussi bien pour améliorer la motricité des enfants, favoriser la concentration, que pour rassurer les petits souffrant de troubles du comportement ou d’autisme. Et les parents apprécient d’occuper leur progéniture autrement qu’avec un smartphone ou une tablette.

Les Pop It s’achètent partout, dans les magasins de jouets mais aussi sur les marchés, chez les buralistes et bien évidemment sur toutes les marketplaces (Amazon, AliExpress, Wish…). Un succès soudain pour un jeu né… il y a plus de 40 ans.

A l’origine, on retrouve un couple de designers israéliens, Theo et Ora Coster, qui ont inventé à eux deux plus de 190 jeux. Le plus célèbre, fondé sur la déduction, est Qui est-ce? , devenu un carton planétaire. Theo naît à Amsterdam en 1928. Il côtoie sur les bancs de l’école une certaine Anne Frank. Le petit garçon juif trouve refuge dans une famille catholique pendant la guerre. En 1955, il décide de changer de vie, enfourche sa moto et traverse les frontières, direction Tel-Aviv. C’est en Terre promise qu’il rencontre l’amour de sa vie, Ora. Le couple, fusionnel, s’associe et monte Theora (contraction de leurs deux prénoms) Design. Dans le duo, la professeure d’arts plastiques est chargée d’inventer des jeux, et l’ingénieur de les concevoir.

Cet objet surfe sur la vague de l’ASMR, ces stimulus sensoriels libérateurs de l’hormone du bonheur.

Des décennies au fond d’un carton

Le premier Pop It est né d’un songe d’Ora Coster. En 1974, elle perd sa soeur, dont elle est très proche, d’un cancer du sein. Un matin, au réveil, elle raconte à Theo avoir fait un étrange rêve. Elle a vu un grand champ recouvert de seins de femmes, où l’on pouvait appuyer sur le téton. Elle met alors son mari au défi de fabriquer un jouet à cette image. Le couple réalise quelques prototypes, mais jette vite l’éponge, faute de trouver une matière première collant à ses attentes (aujourd’hui les Pop It sont fabriqués en silicone à usage alimentaire).

Il y a quelques années, ce sont les enfants du couple qui retrouvent ces drôles de bibelots au fond d’un carton. Pour concrétiser le rêve de leurs parents, ils se rapprochent de FoxMind Games, spécialisé dans les jeux de mathématique et de logique. A la tête de la société canadienne, David Capon, qui se prend d’affection pour l’objet, le débarrasse de l’aspect sexué en enlevant le téton, et le rebaptise Last One Lost (le dernier a perdu). Le boss exhibe son jouet de salon en salon, mais la mayonnaise ne prend pas. Pourtant, c’est un jeu de morpions sous stéroïdes!”, assure-t-il.

L'incroyable destin de Pop It, la star des récrés
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En 2014, ce ne sont que quelques milliers d’unités qui trouvent preneur. En 2019, sous un nouveau nom, le jouet tape dans l’oeil du géant de la distribution Target, qui inonde le marché américain et en vend 700.000 exemplaires. “Nous n’avions clairement pas anticipé un tel succès…”, se rappelle l’homme d’affaires.

Le jouet des influenceurs confinés

Un an plus tard, pendant les différents confinements liés à la pandémie, David Capon, arrose tiktokers, youtubeurs et autres influenceurs qui, coincés chez eux devant leur smartphone, s’emparent du jouet. Très vite, les vidéos autour du Pop It dépassent les 600 millions de vues, et le produit est en rupture de stock. C’est là que tout a basculé, et que les contrefaçons se sont mises à proliférer”, se souvient le patron de FoxMind.

Un scénario qui se déroule à l’identique de ce côté de l’Atlantique. “Nous en avons écoulé plus de 6 millions depuis le début de l’année, c’est énorme, affirme Franck Mathais, porte- parole de JouéClub. A la sortie du troisième confinement, il y a eu une montée en puissance chez les enfants, qui avaient passé beaucoup de temps sur les réseaux sociaux. Du côté des parents, on s’est rendu compte qu’il s’agissait d’achats d’impulsion pour des objets bon marché.” Car le prix de l’article, s’il varie en fonction de sa taille et de sa sophistication, dépasse rarement les 10 euros.

Même son de cloche en France, à La Grande Récré. “Les Pop It étaient dans notre top 5 des ventes cet été, avance Jean-Claude Boungnavong, acheteur pour l’enseigne. D’autant plus que la cible est large: les filles comme les garçons s’en sont emparés, les enfants de trois à douze ans aussi bien que les jeunes adultes – et les moins jeunes.” Ajoutant que l’offre variée permet à chacun de trouver son bonheur.

De l’ananas au pistolet, en passant par la licorne ou le dinosaure, le Pop It ne cesse de se décliner. Certains arborent désormais des têtes de Mickey, de Yoda ou de Peppa Pig, grâce à des licences bien ficelées avec Disney. Car c’est bien là le nerf de la guerre. Selon nous, environ 1 milliard de Pop It se sont vendus, mais une écrasante majorité sont des contrefaçons”, affirme David Capon.

D’après Frédérique Tutt, du NPD Group, qui suit les principaux distributeurs de jouets français (mais pas les marketplaces) “cet objet surfe aussi sur la vague de l’ASMR, ces stimulus sensoriels libérateurs de l’hormone du bonheur”. L’experte insiste sur l’impact des réseaux sociaux sur le succès du petit jouet. Avant, il fallait des mois, voire des années pour qu’un produit traverse les frontières. Mais aujourd’hui, tous les ados sont connectés aux mêmes réseaux sociaux”, analyse-t-elle.

Dans la famille Coster, Ora, nonagénaire, est décédée il y a quelques mois, après avoir savouré l’engouement mondial pour son Pop It. Elle est enterrée dans un cimetière de Tel-Aviv aux côtés de Theo, disparu deux ans plus tôt. Dans un dernier clin d’oeil au monde qui les a inspirés, leurs pierres tombales sont façonnées à l’image des cartes du jeu de Qui est-ce?

1 milliard

de Pop-It ont été vendus dans le monde, selon l’éditeur de jeux FoxMind. En majorité des contrefaçons.

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