L’hallucination d’un retour aux sources

Simon Liberati, " Occident ", éditions Grasset, 496 pages, 22 euros. © PG

Lire du Simon Liberati, c’est toujours un voyage intense. Que dire alors de cet Occident, roman-monstre de près de 500 pages que l’on annonce comme une introspection d’ “un Occident en déliquescence “, à en croire la quatrième de couverture ? Mis en concurrence avec le Sérotonine de Michel Houellebecq lors de la rentrée littéraire de janvier, Liberati partage avec son ami cette envie de porter un regard singulier sur l’époque à travers des personnages en décalage. ” Michel est, me semble-t-il, plus dominateur, plus agressif dans ses romans et ses personnages “, analyse Simon Liberati, acceptant pourtant sans souci la comparaison avec l’auteur-star de ce début d’année. ” Moi, je pense être plus opportuniste, à prendre les choses comme elles viennent et à bricoler pour m’en sortir. ”

L’art était mon seul rempart contre le désordre.

A l’instar de son personnage Alain Leroy, aurait-on envie d’écrire. Fil rouge d’un roman moins rabougri et défaitiste que celui de Houellebecq, ce peintre, à l’abri dans son atelier en province proche de Paris, ne monte à la capitale que pour s’assurer une clientèle pour ses oeuvres. C’est que l’homme a connu une jeunesse extrême-droitiste qui a vu dans la montée de la gauche, au début des années 1980, un tsunami dévastateur. Simon Liberati se souvient : ” En 1981, j’ai vu des gens partir aux Etats-Unis pour échapper au communisme que représentait l’arrivée de François Mitterrand à l’Elysée. ”

Effondrement

” Pour Alain, je me suis basé sur des témoignages. Je voulais parler de ce côté eurodroite du gars qui se mouche dans le drapeau national. ” C’est la crainte d’une inexorable chute, d’un ” effondrement ” qui s’exprime ici. Une fatalité acceptée, puisque Alain y a finalement survécu. Mais le romancier prend ses distances avec son personnage, lui qui ne s’est jamais engagé en politique, si ce n’est au PC en 1989 pour s’opposer au Traité de Maastricht.

Ce faux double de lui-même, l’auteur de Jayne Mansfield 1967 ne l’a d’ailleurs pas construit dès l’entame des 10 ans d’écriture ” en cadavre exquis ” qu’a nécessité le roman. Ce sont les personnages féminins qui lui sont d’abord venus sous la plume. Poppée d’abord, femme-enfant menant en bateau Alain qui redécouvre avec elle une passion charnelle. Cette épouse d’un potentiel acheteur d’art fascine et tétanise le peintre, notamment quand elle lui annonce une grossesse dont elle refuse de révéler le géniteur. Un jeu du chat et de la souris dans lequel le héros se laisse prendre avec délectation. ” Poppée est un personnage d’audacieuse permettant au désir libertin et érotique d’Alain de s’exprimer. Il la laisse croire qu’il souffre de la situation. Mais je ne pense pas qu’elle soit aussi cynique qu’elle ne le pense. ”

Ensuite il y a Emina, muse inconsciente qu’Alain découvre avoir peint de manière répétitive dans ses toiles. ” Elle a une ambition, une force de vie “, celle de l’emmener dans une quête politique et mystique aux racines de l’Occident chrétien et notamment en Andalousie.

OEuvre-monde

Occident se lit comme il s’est écrit, ” en se laissant porter par la fiction “. L’écrivain s’est amusé à remettre plusieurs fois sur le métier les chapitres de cette oeuvre-monde, à la manière du peintre venant retoucher une ombre. Le style de Simon Liberati, ciselé mais baroque, échappant à une quelconque volonté d’épure mais intransigeant avec la précision des sentiments, s’apprivoise comme il semble avoir été conçu : halluciné. C’est en cela qu’il pourra laisser en bord de chemin ceux qui avaient apprécié les précédents livres de ce dandy plus roublard que suicidaire (” trop narcissique “) qui semble ici vouloir faire acte de littérature de manière un peu trop explicite. ” Fonder une oeuvre ? On n’échappe pas à ce genre de désir. Si on écrit, c’est pour rester. La littérature, c’est beaucoup de vanité, mais elle est généreuse. “

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