“L’Europe détourne l’argument environnement et durabilité”

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L’Europe devrait instaurer une nouvelle taxe sur le plastique en 2021. Mais on peut se poser la question : est-ce vraiment une taxe sur les plastiques non recyclés ? D’autant que les Etats membres peuvent décider eux-mêmes du financement de cette contribution. Le secteur dénonce un manque de clarté.

La stratégie européenne qui vise à promouvoir la réutilisation des plastiques dans une économie circulaire, approuvée au mois de mai 2018, se fonde sur de bonnes intentions. L’objectif est de rendre tous les emballages plastiques réutilisables ou recyclables d’ici à 2030. Le fer de lance de cette stratégie est une taxe plastique de 80 centimes par kilo d’emballages plastiques non recyclés, à savoir de plastiques jetables. Mais le manque de clarté est criant depuis le début car, même si la Commission européenne parle de taxe, ce n’en est pas vraiment une. ” La contribution annuelle des Etats membres au budget européen dépend en partie de la quantité de plastiques non recyclés, indique Frank Van Swalm, porte-parole de la Société publique pour les déchets de la Région flamande (Openbare Vlaamse Afvalstoffenmaatschappij, Ovam). Les Etats membres peuvent décider de financer cette contribution par une taxe sur les plastiques non recyclés ou autrement. ”

Une taxe de 80 centimes par kilogramme aura un effet régulateur très limité, voire nul.” Maarten Geerts (Renuo)

Des organisations comme Rethink Plastic Alliance et Zero Waste Europe jugent insuffisant le projet européen et inefficaces les mesures censées décourager l’utilisation du plastique et l’amélioration des collectes. Les fabricants de plastique européens, quant à eux, y voient un pas dans la bonne direction pour éviter les dépôts clandestins de plastiques dans la nature.

Taxe fixe

Mais dans la pratique, la situation pourrait bien être tout autre. Le Conseil européen des chefs d’Etat a décidé fin juillet de consacrer cette nouvelle manne de revenus au financement du plan de relance européen. Les rentrées provenant de la contribution ou de la taxe sont estimées à 6-8 milliards d’euros dont 140 millions d’euros en provenance de Belgique. ” Autrement dit, les rentrées ne contribuent plus à promouvoir le recyclage et la réutilisation des plastiques. L’Europe se sert d’arguments comme l’environnement et la durabilité pour instaurer une taxe fixe, lance Wim Geens, CEO de la société de traitement des déchets Renewi. Du fait de la pandémie et de l’inertie de notre gouvernement, la Belgique pourrait ne pas atteindre les objectifs climatiques de 2030. ”

Frank Van Swalm met en cause la liberté des Etats membres de décider eux-mêmes du mode de financement de leur contribution. ” Ils peuvent taxer les plastiques non recyclés ou non recyclables ou encore d’autres déchets mal recyclés, indique-t-il. La mesure européenne devrait aider à promouvoir une économie plus circulaire. Mais la décision appartient aux politiques. Pour l’Ovam, politique de relance économique devrait rimer avec politique de modernisation circulaire. ”

Cette incertitude quant à la transposition de la mesure européenne en législation nationale interpelle également Denuo, la Fédération des entreprises belges actives dans le traitement et le recyclage des déchets (anciennement Go4Circle). ” Le risque de voir apparaître des réglementations très divergentes dans les différents Etats membres est bien réel, affirme le responsable communication Maarten Geerts. Qui plus est, les Etats membres n’ont pas vraiment le temps d’introduire une taxe sur le plastique mûrement réfléchie. ”

Impact limité

Autre critique : la taxe ne vise pas les bons maillons de la chaîne d’approvisionnement. ” Une surtaxe sur les plastiques neufs aurait plus d’impact, elle renforcerait la demande de plastiques recyclés et augmenterait le taux de recyclage “, assure Maarten Geerts.

Reste la question de savoir si la mesure aura un impact notable sur l’environnement. ” Une taxe de 80 centimes par kilogramme peut sembler dissuasive mais les emballages plastiques sont généralement légers. Pour un emballage de 20 grammes, cela revient à une surtaxe de 1,6 centime, une somme facile à répercuter sur le consommateur. L’effet régulateur sera donc très limité, voire nul “, estime Maarten Geerts.

” Notre gouvernement doit bien réfléchir aux 140 millions d’euros du fonds de relance qui lui seront reversés et à l’usage qu’il compte en faire, insiste le patron de Renewi, Wim Geens. Idéalement, cet argent devrait être investi dans ce pour quoi la taxe a été instaurée, à savoir la durabilité et l’économie circulaire. Il est grand temps de faire en sorte que les produits recyclés soient moins chers que les matières premières qui se raréfient et d’imposer aux entreprises un minimum de produits recyclés. “

La collecte, un réel problème

Dirk De Cuyper, CEO de Resilux spécialisé dans la fabrication de bouteilles PET, doute de l’efficacité de la mesure européenne. Resilux n’a pas vraiment à s’en faire parce que le polyéthylène téréphtalate (PET) est multi- recyclable. ” L’Europe veut imposer une taxe de 800 euros par tonne de plastique, fort bien, mais comment compte-t-elle procéder ? Cette mesure générera-t-elle les rentrées annoncées ? En attendant, nous continuons à exporter toujours les déchets à l’étranger. ”

Le gros problème, selon Dirk De Cuyper, se situe au niveau de la collecte. ” Les fabricants européens de PET produisent chaque année 3 millions de tonnes dont à peine 1,6 million est récupéré après utilisation. En Allemagne où le plastique est consigné, le pourcentage de déchets plastiques collectés atteint les 97%. En Belgique, Fost Plus qui collecte tous les types de déchets plastiques espère pouvoir les séparer en fractions plus pures, un processus nettement plus complexe. J’aimerais investir dans des usines de recyclage supplémentaires mais nous ne trouvons pas assez de produits à recycler, tout simplement. ”

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