L’espace, ultime conquête

LA RUSSIE a lancé avec succès le 14 décembre dernier Angara A5, une fusée de nouvelle génération, la première développée dans le pays depuis la chute de l'URSS. © REUTERS

Des missions spatiales ambitieuses vont se succéder. Pour les pays concernés, les enjeux sont aussi économiques que géopolitiques.

L’année 2021 nous réserve une ribambelle de missions spatiales passionnantes. Pour dévier légèrement l’orbite du satellite d’un astéroïde presque aussi grand qu’un stade, la Nasa lancera dans sa direction un engin de la taille d’une voiture, qui le percutera en 2022. Ni l’astéroïde, Didymos, ni sa lune, Dimorphos, ne menacent la Terre, mais cette collision doit nous apporter des connaissances potentiellement utiles en matière de ” défense planétaire “. La Nasa a également planifié un vol inhabité autour de la Lune et, avec l’aide d’agences spatiales du Canada et d’Europe, le lancement du télescope spatial James-Webb, le plus grand et le plus cher de toute la galaxie. L’Inde, quant à elle, pourrait bien mettre trois astronautes en orbite. Avec la Russie, elle voudrait de surcroît lancer des atterrisseurs lunaires. Et la Chine commencera à envoyer dans l’espace des éléments de sa prochaine station spatiale Tiangong-3, la plus grande qu’elle ait jamais construite.

Voilà des projets ambitieux pour toutes les parties concernées. Le vaisseau de la Nasa qui filera vers l’astéroïde doit éjecter un module d’observation de l’Agence spatiale italienne avant d’atteindre sa cible à une vitesse de 6,6 km/s. Le déploiement du miroir du télescope spatial à près de 10 milliards de dollars et de son bouclier solaire de la taille d’un court de tennis nécessitera des semaines de savantes manipulations robotiques par -230 °C. L’Inde n’a encore jamais tenté de réaliser un vol habité ; son précédent atterrisseur lunaire s’était écrasé. La Russie doit développer de nouveaux systèmes en vue d’un vol balistique difficile dans une région inexplorée de la Lune, proche du pôle Sud, explique Lev Zelenyi, de l’Institut de recherche spatiale de Moscou. Quant à la Chine, elle espère envoyer en orbite tous les modules de sa station spatiale grâce à une dizaine de lancements réalisés en deux ans.

La croissance des investissements dans l’industrie spatiale excédant la croissance économique mondiale, les constructeurs d’engins spatiaux veulent continuer à briller en 2021 tout en essayant de maintenir leurs coûts à de faibles niveaux. En Europe, ArianeGroup espère que le vol inaugural de son grand lanceur Ariane 6 l’aidera à reconquérir des marchés ravis par ses concurrents américains. La Russie aussi se sait sous pression. Elle (ou plutôt l’Union soviétique) a lancé sa dernière fusée à destination de la Lune en 1976, et le lucratif monopole qu’elle détient sur l’envoi d’astronautes vers la Station spatiale internationale (ISS) a été brisé en mai 2020 par la société américaine SpaceX.

Innovations majeures

Il faut également s’attendre à des innovations majeures, mises au point par des acteurs bien établis autant que par des nouveaux venus. En 2021, Rocket Lab, une société américaine et néo- zélandaise spécialisée dans les fusées de petite charge, pourrait même récupérer un étage d’une fusée grâce à un hélicoptère qui attrapera son parachute. Blue Origin, de Jeff Bezos, prévoit d’effectuer le premier vol de New Glenn, une fusée avec un étage réutilisable et un volume de charge deux fois supérieur à celui de ses plus grosses concurrentes. Boeing espère envoyer ses premiers astronautes vers l’ISS (en 2019, un vol inhabité n’avait pas réussi à s’arrimer à la station). Pour ses deux premiers vols, le Vulcan Centaur d’United Launch Alliance lancera un tout nouveau modèle d’atterrisseur lunaire (Astrobotic), ainsi qu’un tout nouveau modèle d’avion spatial conçu pour amener des biens et des astronautes en orbite terrestre basse (Sierra Nevada Corp). Enfin, comme une poignée de sociétés occidentales, l’agence spatiale russe Roscosmos espère envoyer des touristes dans l’espace en 2021.

Mais les enjeux de ces projets sont plus que financiers. Bon nombre d’entre eux répondent à des calculs géopolitiques et militaires. Derrière le vol spatial habité de l’Inde, par exemple, se trouve la compétition avec sa rivale la Chine, explique Raji Rajagopalan, ancienne directrice adjointe du Conseil de sécurité national indien. Et la station spatiale chinoise a une dimension symbolique, mais aussi une ” grande valeur ” pour l’acquisition de compétences en matière de manoeuvres orbitales, explique le Chinois Wang Guoyu, expert en questions spatiales. Selon William Shelton, ancien directeur de l’United States Air Force Space Command, ce projet pourrait permettre à la Chine de développer ses capacités antisatellites. Comme le souligne la ministre française de la Défense, Florence Parly, en parlant des activités menaçantes de la Russie en orbite, la ” nouvelle frontière ” d’hier est devenue le ” nouveau front ” d’aujourd’hui.

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