L’ère post-vérité, les ” fake news ” et l’hygiénisme inefficace

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

Pour décrire l’état de notre société dans son rapport pour le moins compliqué à la vérité et à la réalité des faits, certains ont décrété que nous étions entrés dans une nouvelle ère. Celle de la ” post-vérité “. La post-truth era ou post-fact era en anglais, une nouvelle époque où nous serions collectivement devenus indifférents, imperméables voire réfractaires à la vérité et aux faits. Et comment ne pas leur donner raison quand on observe toutes les turbulences et turpitudes de l’époque : la recrudescence des fake news, les bulles de filtres qui obstruent notre vision du réel, la multiplication des théories conspirationnistes sur Internet, les discours ouvertement mensongers des ” populistes “, le pullulement de l’expertise improvisée et même l’émergence des deepfake, ces simulations plus vraies que nature ?

Vouloir encadrer ou éradiquer les fausses informations relève plus que d’un travail herculéen : il s’agit d’un pur fantasme.

Et pourtant, le problème, c’est que l’appellation ” post-vérité ” est elle-même le produit de ce qu’elle dénonce : une fake news, possédant les mêmes caractéristiques que nombre d’autres fake news. Soit cette forme d’évidence quasiment irréfutable (il suffit de prononcer ” Trump ” ou ” Brexit ” comme preuve) et pourtant fallacieuse.

Fallacieuse, elle l’est notamment dans son appellation même, car le préfixe ” post ” laisse entendre qu’il y aurait eu antérieurement une ” ère de la vérité ” où les êtres humains se seraient souciés collectivement de cette vérité, où l’on réagissait rationnellement en partant de faits dans le souci constant de la faire surgir. Or, on a beau chercher, on peine à déceler dans l’histoire de l’humanité la trace d’une époque pareille. Déjà Socrate s’échinait à ” débunker ” les raisonnement retors des Sophistes véritables maîtres en fake news.

Quelle importance ? pourrait-on objecter, puisque l’essentiel est d’être d’accord sur le constat qui est que nous vivons actuellement une époque où la désinformation est galopante . Or, ce n’est pas le constat qui est gênant, c’est le diagnostic que pose ce type d’appellation. Et il l’est pour deux raisons notamment.

D’une part, parce qu’ilpostule que la situation est nécessairement pire qu’auparavant. Il n’est pourtant pas forcément prouvé que nous soyons plus exposés à la désinformation aujourd’hui qu’auparavant. Car si Internet est bien évidemment pourvoyeur d’infox ou de fausses informations en quantité, a contrario, grâce à lui, nous sommes aussi plus aptes que par le passé à pouvoir rectifier notre erreur. Sans remonter à l’aube de l’humanité, dans la seconde moitié du 20e siècle – juste avant Internet donc – il n’était pas évident pour celui qui était confronté de bonne foi à une fausse information de rectifier son point de vue, surtout s’il venait d’un milieu peu ouvert à l’information. Alors qu’aujourd’hui, quelques clics et un peu de bonne volonté suffisent pour sortir de l’ornière. Si Internet et les réseaux sociaux sont le poison, on oublie trop souvent qu’ils sont aussi l’antidote.

D’autre part, parce que l’Appellation ” post-vérité ” accrédite, même si c’est de façon inconsciente, l’idée d’un retour à une situation antérieure. C’est l’apparition d’Internet et des réseaux sociaux qui a créé cette situation en faisant circuler le ” faux ” de façon virale. D’où cette volonté d’encadrer le Web , afin de faire des plateformes numériques des espaces aseptisés, sans fake news. Or, cette approche bute sur deux écueils de taille, l’un physique, l’autre philosophique. Physique car le numérique est par essence un espace incontrôlable. Vouloir encadrer ou éradiquer les fausses informations relève donc plus que d’un travail herculéen (l’hydre aux sept têtes à côté, c’est rien) : il s’agit d’un pur fantasme.

Et quand bien même cela serait possible, ce ne serait pas souhaitable. Car la volonté d’éradiquer les fausses informations de la surface d’Internet expose ses promoteurs – généralement des ” progressistes ” – à une contradiction de taille. Comme les hygiénistes du siècle dernier qui rêvaient d’espace sans microbes dans lequel l’homme pourrait se mouvoir sans danger, vouloir aseptiser les réseaux sociaux, c’est s’exposer à la même déconvenue : affaiblir nos défenses immunitaires et rendre chacun encore plus vulnérable. Et dans le cas des réseaux sociaux, cette défense immunitaire, c’est tout simplement notre liberté de pensée.

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