Philippe Ledent
L’emploi résistera-t-il à la crise de l’énergie?
De la capacité du marché du travail à passer au travers du choc actuel dépendra en grande partie la durée d’une possible récession.
Durant la crise du covid, le marché du travail s’est globalement plutôt bien comporté. Après une perte de 50.000 emplois nets durant la première moitié de l’année 2020 (ce qui est très faible au regard de la perte d’activité durant cette période), 200.000 emplois salariés ont été créés au cours des deux années qui ont suivi (jusqu’à mi-2022, dernières données disponibles en matière d’emploi). Voilà de quoi faire pâlir un gouvernement des années 2000 qui s’était fixé un tel objectif durant l’ensemble de sa législature. Il s’agit en effet d’un rythme de croissance particulièrement élevé puisqu’il correspond à 25.000 emplois nets créés chaque trimestre, soit environ 10.000 de plus que ce que l’économie belge crée comme emplois en rythme de croisière. Dès lors, si au milieu de cette année, l’activité économique réelle (le PIB) ne dépasse que de 1,8% son niveau de fin 2019, l’emploi salarié le dépasse déjà de plus de 3%. Il faudrait y ajouter que sur la même période, on dénombre 42.000 travailleurs indépendants de plus. Bref, le marché du travail semble afficher des performances inédites: la croissance économique semble plus intensive en emplois qu’elle ne l’a été par le passé.
A priori, un emploi solide est de bon augure pour amortir les chocs actuels. Même si les pièges à l’emploi sont une réalité, trouver un emploi améliore le revenu d’un ménage, ce qui est bienvenu dans les circonstances actuelles. Pour autant, faisons attention à l’excès d’optimisme en la matière, et ce pour deux raisons.
D’une part, si les chiffres cités ici sont en équivalents temps plein, le nombre d’heures effectivement prestées peut varier en fonction du chômage temporaire (l’emploi existe toujours mais les heures prestées baissent) ou des arrêts maladie. Or, le volume total d’heures prestées n’est, mi-2022, que 1,3% plus élevé qu’à son niveau de fin 2019. Ce chiffre est en ligne avec l’évolution de l’activité mais largement inférieur à l’évolution de l’emploi. Pour l’expliquer, on sait, par exemple, que le chômage temporaire reste davantage utilisé qu’avant mais que d’autres phénomènes peuvent intervenir. En d’autres termes, il faut plus d’emplois pour un même volume d’heures prestées. Une telle évolution est-elle soutenable à plus long terme?
D’autre part, si l’emploi est plutôt un indicateur retardé du cycle économique, certains indicateurs du marché du travail sont précurseurs. C’est le cas de l’activité dans le secteur de l’intérim. Or, l’activité du secteur, qui avait digéré la crise du covid fin 2021, ne cesse de se replier depuis le début de cette année, traduisant un potentiel ralentissement futur de l’emploi. On observe par ailleurs que le nombre de demandeurs d’emplois inoccupés ne diminue plus.
En conclusion, le marché du travail donne en ce moment des signaux très contrastés: l’emploi total se porte plutôt bien et les enquêtes montrent que les entreprises sont toujours désireuses d’embaucher. Mais à l’inverse, la productivité mesurée par travailleur ralentit. Enfin, les indicateurs avancés du marché du travail plaident de plus en plus pour un ralentissement de celui-ci alors que l’activité risque d’être durement affectée par la crise de l’énergie. Une chose est claire, de la capacité du marché du travail à passer au travers du choc actuel dépendra en grande partie la durée d’une possible récession: si l’emploi se maintient, la consommation des ménages est plus à même de résister, supportant l’activité économique. Dans le cas contraire, une baisse du revenu des ménages risque de prolonger les effets négatifs de la facture d’énergie sur l’économie. Les prochains mois seront cruciaux.
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