L’eau comme remède à l’ennui

" Qui peut avoir oublié le slogan 'Perrier, c'est fou' ? " © Hatim Kaghat

Perrier s’est de tout temps positionnée comme une marque plutôt décalée. Sa dernière campagne en date entend bien, elle aussi, rompre avec la banalité du quotidien et séduire les jeunes. Car la marque doit se renouveler pour continuer de croître et Perrier, c’est toujours fou.

Regarder, l’oeil goguenard, un hippopotame qui engloutit l’un après l’autre les bagages déposés sur le tapis roulant d’un aéroport, avant de penser à sauver le sien de justesse. Voir un aileron de requin fendre la table de réunion devant laquelle on est sur le point de périr d’ennui… Voilà quelques-unes des situations surréalistes mises en scène dans la nouvelle campagne publicitaire Perrier. A l’attention, essentiellement, de la génération Y.

L’eau minérale gazeuse et son élégante bouteille verte s’écoulent à plus d’un milliard d’exemplaires par an dans 140 pays. ” Perrier est une marque connue de longue date, qui a toujours eu un côté jeune, provocant et avant-gardiste, résume Fabienne Liégeois, marketing manager chez Nestlé Waters, la maison mère de Perrier-Vittel. Qui peut avoir oublié le slogan ‘Perrier, c’est fou’ ? Ceci dit, ce côté un peu déjanté s’était légèrement émoussé et Perrier avait évolué jusqu’à devenir un classique bien établi. En partie parce que ses consommateurs avaient vieilli. ”

Comme d’autres marques iconiques, Perrier doit aujourd’hui séduire un public plus jeune si elle veut préserver sa croissance. D’où sa campagne intitulée #SayNoToOrdinary, qui s’inscrit dans la stratégie de rajeunissement mise au point en 2015. ” Dites non à l’ordinaire “ s’adresse essentiellement à la génération Y, moins familiarisée avec le produit, affirme Fabienne Liégeois.

Remède contre la banalité

Les moins de 35 ans ont en commun le rejet de la perspective d’une vie routinière. Ils sont constamment en quête de nouveaux stimuli. Reste qu’ils n’échappent évidemment pas à la banalité du quotidien, contre laquelle Perrier se profile comme un remède. Il est, certes, un peu étrange qu’un produit aussi commun et sans histoire qu’une eau s’engage dans ce segment. ” Cela peut sembler bizarre en effet, réagit Fabienne Liégeois. Mais le fait qu’une boisson puisse être non seulement rafraîchissante mais aussi fun est le message que Perrier a toujours voulu faire passer. Il s’est toujours agi, pour la marque, de transformer les moments barbants en quelque chose de spécial. En France, sa patrie, Perrier n’est pas perçue comme une simple eau : en terrasse, personne ne commande ‘une eau minérale’, mais bien ‘un Perrier’, ce qui est beaucoup moins vrai pour les marques concurrentes. Perrier peut avoir perdu du terrain à la table des repas, où la mode est actuellement aux bulles plus fines et plus légères, mais le caractère intensément pétillant et extrêmement rafraîchissant de cette eau convient très bien à la confection de cocktails parce qu’elle se mélange plus facilement à l’alcool. ”

La marque à la bouteille verte se positionne depuis 2015 comme la boisson saine par excellence, à toute heure du jour et de la nuit. Elle se veut également un substitut rafraîchissant aux sodas, marché désormais en perte de vitesse – à un point tel qu’au niveau planétaire, il est depuis quelques années surclassé par celui de l’eau en bouteille. ” Le consommateur se détourne de plus en plus du sucre et des calories. C’est vrai pour tout le secteur alimentaire, y compris le segment des boissons. ” La recherche concomitante de la saveur et du plaisir explique le succès des eaux aromatisées, un marché dans lequel Perrier a fait son entrée de plain-pied. ” L’eau aromatisée représente 4,5 % de notre chiffre d’affaires. Ses ventes ont explosé de 34 % en Belgique l’an passé. ”

Géolocaliser les ” millennials ”

Perrier utilise la géolocalisation pour repérer son groupe cible, constitué de gens vivant des situations potentiellement ennuyeuses (embouteillages, attente dans gares ou les aéroports, réunions soporifiques, files aux caisses des supermarchés, etc.), qu’il cherche ensuite à surprendre au moyen de cinq courts métrages. Chaque petit film extrait le personnage central d’un contexte terne, frustrant et insipide, pour en faire le ” héros ” du spot. Les réseaux sociaux et les plateformes, comme le service de musique Spotify, diffusent également une série d’informations pertinentes, dont des playlists.

” La campagne, qui fait appel aux technologies les plus avancées, est préprogrammée pour identifier d’une manière entièrement automatique le groupe-cible des millennials “, explique Arnaud Tillon, global brand director chez Perrier. Il ne s’agit donc pas de consommateurs qui se sont enregistrés ou fait connaître comme fans de Perrier, mais d’un groupe cible identifié sur la base des résultats de l’analyse de termes de recherche utilisés sur des sites comme YouTube ou des signaux émis par les smartphones des consommateurs qui appellent, envoient des SMS, accèdent à WhatsApp, écoutent de la musique, regardent des films en streaming ou sont actifs sur les réseaux sociaux. ” La génération Y enclenche systématiquement la fonction de géolocalisation de son téléphone. Elle ne se prive par ailleurs pas d’indiquer où elle se trouve, par le biais des check-in, par exemple. Le comportement des moins de 35 ans nous permet de savoir s’ils sont ouverts à notre communication sans que nous ayons à les identifier. C’est important car nous voulons surprendre les gens au moment opportun sans pour autant nous immiscer dans leur vie privée. Nous pouvons les atteindre avec du contenu pertinent au moment où ils sont réceptifs. Ce que les médias classiques ne permettent pas de faire. ”

Vous bullez au resto ? Perrier est là

Loin de se limiter aux outils numériques, la campagne descend sur le terrain, ici aussi dans le but de rompre avec la monotonie. Ainsi a-t-on pu voir ici et là des hôtesses distribuer des bouteilles dans des files d’attente et des équipes faire le tour de bureaux pour y véhiculer des messages et servir des cocktails à base de Perrier.

L’horeca n’a pas été négligé. Dans certains cafés, des équipes ont distribué des petites bouteilles à des clients en train d’attendre leur rendez-vous. Si elles étaient encore seules au bout d’un quart d’heure, ces personnes se voyaient offrir un cocktail préparé à base de Perrier. Après 30 minutes de vaine attente, la marque prenait en charge une partie de la note. Dans plusieurs magasins Carrefour, les clients qui attendaient leur passage à la caisse ont été invités à disputer un match de tennis virtuel. L’initiative faisait appel à la réalité augmentée, qui consiste à installer une couche logicielle par-dessus le programme ouvert dans le smartphone. Perrier étant sponsor de Roland-Garros depuis près de 40 ans, le choix du tennis n’était pas un hasard. La campagne a duré jusqu’à l’été. Pour Fabienne Liégeois, les courts métrages ont été bien accueillis. ” La plupart des consommateurs les regardent jusqu’au bout, ce qui n’est pas le cas de bien des films que l’on voit sur YouTube “, se réjouit-elle.

Karin Eeckhout

” La génération Y enclenche systématiquement la fonction de géolocalisation de son téléphone. ”

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content