Google et MasterCard : l’accord secret qui dérange

Amid Faljaoui Rédacteur en chef de Trends-Tendances

C’est Bloomberg, l’agence d’informations financières, qui a vendu la mèche. Selon ses sources, Google aurait acheté pour plusieurs millions de dollars les données bancaires d’internautes disposant d’une carte MasterCard. Fort égoïstement, le lecteur belge sera soulagé d’apprendre qu’il s’agit des données de clients américains et non pas européens. Pourtant, malgré cette nuance, l’information reste perturbante. Ne serait-ce que parce que les clients américains de MasterCard n’étaient visiblement pas au courant de cette transaction. Evidemment, la première question qui vient à l’esprit, est celle-ci : pourquoi cet accord ” secret ” avec Google ?

Dans le monde de la publicité, il y a une boutade célèbre, qui dit qu’un annonceur sait que la moitié de ses dépenses publicitaires ne sert à rien, mais le problème, c’est qu’il ignore généralement quelle moitié ! Fort heureusement, avec l’arrivée de la publicité online, la question ne se pose plus : les annonceurs savent désormais qui a cliqué sur leur publicité et peuvent voir si cette opération a débouché sur un acte d’achat sur leur site d’e-commerce. Et c’est cette possibilité de suivi très précis des clients qui a permis à Facebook et Google de siphonner les trois quarts de la publicité online mondiale. Ne cherchez par exemple pas plus loin les difficultés actuelles de la presse écrite et même de la télévision : le coupable n’est autre que ce duopole…

Nous, consommateurs digitaux, sommes aussi naïfs que les Amérindiens qui vendaient leurs précieuses terres aux conquistadors en échange de quelques breloques.

En revanche, que se passe-t-il si l’internaute a regardé une publicité en ligne pour une marque de téléviseurs mais qu’au final, il a acheté ce dernier dans un magasin physique ? Jusqu’à présent, il était très difficile d’établir un lien entre les deux démarches. Et la problématique était particulièrement aiguë pour les annonceurs qui vendent des appareils électroniques ou du mobilier d’une certaine taille, donc pour lesquels l’internaute se renseigne d’abord sur un produit via le Web, mais se rend ensuite dans un magasin physique pour se le procurer.

C’est en partie pour résoudre cette équation que Google suit notre localisation tout le temps, grâce aux modules GPS présents dans nos smartphones. Mais c’est aussi la raison pour laquelle MasterCard et Google ont signé cet accord confidentiel. Si son application n’est pas remise en cause et passe le stade de test (elle est encore en version beta), Google pourra désormais préciser aux annonceurs si une personne ayant cliqué sur une pub a effectué ensuite un achat dans les 30 jours dans un magasin physique. L’annonceur en sera informé et saura ainsi que ses campagnes sont efficaces. Et Google gagnera encore plus d’argent. Bravo.

Mais la question éthique ne tarde pas à arriver: que peut-on faire contre cette énième intrusion dans notre vie privée ? D’abord, il faut se réjouir de vivre en Europe car le RGPD (règlement général de protection des données) la rend plus difficile. A tout le moins, Google et MasterCard seraient obligés de nous demander notre autorisation préalable pour établir ces corrélations. Par ailleurs, il est possible d’éviter que nos données personnelles soient traquées en désactivant l’option ” Web and App Activity ” de vos comptes Google. Mais c’est fastidieux et qui sait ce genre de choses ?

Histoire d’amortir le choc de l’information, les communicants de deux sociétés ont affirmé avoir renforcé leurs protocoles de sécurité afin que ces données bancaires ne fuitent pas. Manquerait plus que ce ne soit pas le cas… Mais ce deal secret éventé par Bloomberg nous rappelle que nos données personnelles sont devenues le carburant des entreprises. Les data ont remplacé l’or noir. Sauf que le grand public n’a généralement pas conscience de la valeur de ses données personnelles. Il les échange sans trop discuter contre des services dont l’utilité est discutable. L’historien israélien Yuval Noah Harari a tout résumé dans une métaphore saisissante : nous, consommateurs digitaux, sommes aussi naïfs que les Amérindiens qui vendaient leurs précieuses terres aux conquistadors en échange de quelques breloques.

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